Communiqué de presse

Tadjikistan. Une coalition d’organisations non gouvernementales appelle le gouvernement à mettre fin à la torture et à respecter ses obligations internationales

À l’occasion de la Journée internationale pour le soutien aux victimes de la torture, le 26 juin, une coalition d’organisations tadjikes et internationales de défense des droits humains exhorte les autorités à faire de l’élimination de la torture une priorité absolue et à rendre la justice pour les victimes de torture dans tout le pays.

En décembre 1997, l’Assemblée générale des Nations unies a décidé de faire du 26 juin la Journée internationale pour le soutien aux victimes de la torture, une journée de dénonciation du crime de torture, une journée d’hommage et de soutien aux victimes dans le monde entier. Cette date a été choisie pour célébrer le jour de 1987 où la Convention contre la torture et autres peines ou traitements cruels, inhumains ou dégradants (Convention contre la torture) est entrée en vigueur.

En novembre 2006, lorsque le Comité des Nations unies contre la torture a examiné le rapport du Tadjikistan, il a exprimé ses préoccupations concernant les « nombreuses allégations selon lesquelles la torture et les mauvais traitements seraient d’usage courant parmi les responsables de l’application des lois et les enquêteurs ». Depuis, les autorités ont pris des mesures positives. Ainsi, l’adoption du nouveau Code de procédure pénale, entré en vigueur en avril 2010, est venue renforcer certaines garanties contre la torture. Les responsables gouvernementaux ont réaffirmé leur engagement envers les droits humains à plusieurs reprises. Dans son discours au Parlement le 20 avril 2011, le président Imamali Rakhmon a ainsi souligné la volonté du gouvernement de protéger les droits humains et de respecter l’état de droit et l’ordre. Toutefois, il reste beaucoup à faire, ainsi que l’a montré la Cour européenne des droits de l’homme qui, en 2010, a estimé dans plusieurs affaires concernant des ressortissants tadjiks que ceux-ci ne devaient pas être extradés vers le Tadjikistan du fait de l’usage répandu de la torture dans le pays. En 2011, la Cour a prononcé des mesures d’urgence pour empêcher l’extradition d’un homme vers le Tadjikistan.


Quelques cas

Abdumuqit Vohidov et Ruhniddin Sharopov ont été renvoyés au Tadjikistan en mars 2007 après avoir été incarcérés à Guantánamo. Ils ont été placés en détention à leur arrivée et auraient été privés d’assistance juridique jusqu’à leur procès, au mois d’août de la même année. Leurs familles affirment ne pas avoir été informées de la situation avant la fin avril 2007. Les deux hommes auraient été torturés et passés à tabac au Tadjikistan par des responsables de l’application des lois qui cherchaient à leur extorquer des « aveux » et des éléments les mettant en cause.

Abdumuqit Vohidov a eu les doigts électrocutés, ou brûlés à la flamme, selon les témoignages. Le 17 août, la Cour suprême du Tadjikistan a condamné les deux hommes à 17 ans d’emprisonnement pour être passés clandestinement en Afghanistan en 2001 et avoir combattu en tant que mercenaires dans les rangs du Mouvement islamique d’Ouzbékistan (MIO). Leur avocat a indiqué dans l’appel formulé que les intéressés ignoraient qu’ils étaient recrutés par le MIO ; il a argumenté par ailleurs qu’aucun élément prouvant leur participation effective à des combats n’avait été présenté lors du procès. Le recours a été rejeté à la fin du mois d’octobre 2007. Aucune enquête impartiale et indépendante n’a apparemment été ouverte sur les allégations de torture et de mauvais traitements.

Ilkhom Ismanov
aurait été torturé en novembre 2010 par des policiers du Service de lutte contre le crime organisé du ministère de l’Intérieur à Khoudjand, dans la région de Soghd. Selon les informations recueillies, il a notamment reçu des décharges électriques et a été aspergé d’eau brûlante puis glaciale. Son avocate n’a pas été en mesure de le voir avant l’audience concernant sa demande de remise en liberté, le 12 novembre, soit neuf jours après son arrestation. Le jeune homme a dit au juge qu’il avait été torturé et a proposé de lui montrer les traces des sévices présentes sur son corps, mais le magistrat n’a pas pris en compte ces allégations et a indiqué à l’avocate qu’elle devait en parler à l’enquêteur de la police. Le parquet de la région de Soghd a notifié par écrit à la femme et à l’avocate d’Ilkhom Ismanov qu’aucun acte de torture n’avait été commis. Il n’a toutefois pas précisé de quelle manière il était parvenu à cette conclusion. Les organisations signataires de la présente déclaration craignent que des éléments recueillis sous la torture soient utilisés dans le procès au cours duquel Ilkhom Ismanov, accusé d’appartenance au MIO, va être jugé en compagnie de 52 autres membres présumés de ce mouvement. Elles demandent aux autorités tadjikes de faire en sorte que le procès se déroule publiquement et que des observateurs indépendant soient autorisés à y assister (1).

Safarali Sangov est mort le 5 mars 2011. Il avait été arrêté le 1er mars par des policiers du quartier Sino de Douchanbé. Les agents l’auraient brutalisé au moment de son interpellation, et auraient frappé aussi des membres de sa famille, dont des enfants et une femme enceinte de quatre mois. Aucune enquête n’a été menée à ce jour sur les informations selon lesquelles les proches de Safarali Sangov ont été battus. À la suite des protestations publiques suscitées par cette affaire, et devant les allégations selon lesquelles cet homme avait peut-être succombé à des tortures perpétrées au poste de police du quartier Sino, trois policiers ont été inculpés en mars de « négligence ». L’un d’eux a en outre été mis en cause pour « abus d’autorité », un chef abandonné ultérieurement par le parquet au motif que les témoignages des proches de Safarali Sangov n’étaient pas recevables en tant que preuve. La thèse du ministère public est que Safarali Sangov est tombé dans les escaliers du poste de police puis, après qu’on l’eut ramené dans un bureau, s’est jeté contre un mur et un coffre-fort. Un quatrième policier aurait échappé aux poursuites au motif qu’il était hospitalisé pour une « sinusite aiguë » et se trouvait donc empêché pour des raisons médicales d’apporter son concours à l’enquête. Pour l’avocat de Safarali Sangov, le parquet n’a pas mené une enquête impartiale sur la mort de son client. L’avocat a par exemple demandé au bureau du procureur de Douchanbé en avril de confronter dans un même interrogatoire les accusés et les témoins, dont les dépositions étaient contradictoires. Le bureau du procureur n’a jamais répondu à cette requête ni procédé à un quelconque interrogatoire de ce type. Il n’a en outre pas donné accès aux éléments du dossier de manière équitable à l’accusation et à la défense. Un membre du personnel du bureau du procureur aurait par exemple pu disposer de l’intégralité du rapport d’expertise médicolégale dès le 25 mars, alors que l’avocat de Safarali Sangov n’aurait reçu l’autorisation de consulter ce document que le 17 mai. Le procès des trois policiers s’est ouvert le 2 juin (2).

La police du Tadjikistan a été accusée à maintes reprises d’avoir torturé ou maltraité des détenus dans le but de leur extorquer de l’argent, des « aveux » ou d’autres informations mettant en cause la victime ou des tiers. Dans la plupart des cas, ces sévices sont commis au début de la détention. Les victimes sont très souvent empêchées de communiquer avec le monde extérieur dans les premiers temps de leur privation de liberté. Les personnes détenues dans les locaux du Comité de sûreté de l’État sont particulièrement exposées au risque de torture ou d’autres mauvais traitements, selon des avocats et des défenseurs des droits humains du Tadjikistan qui ont travaillé sur de tels cas. Des avocats et des militants ont également signalé des actes de torture et d’autres mauvais traitements dans des structures dépendant du ministère de la Justice, aussi bien des centres de détention provisoire que des établissements pénitentiaires accueillant des prisonniers condamnés.

Les décharges électriques, le viol et les brûlures de cigarettes sont quelques-unes des méthodes de torture utilisées au Tadjikistan ; une autre pratique consiste à attacher des bouteilles de plastique remplies d’eau ou de sable aux parties génitales des détenus. Il est apparemment courant, aussi, de frapper ces derniers à coups de matraque ou de bâton, et de les rouer de coups de pied et de coups de poing.

Les organisations signataires de la présente déclaration regrettent que les garanties contre la torture de la législation nationale ne soient pas toujours respectées. Par exemple, alors que le nouveau Code de procédure pénale prévoit que les détenus ont le droit de bénéficier des services d’un conseil juridique dès le moment de leur arrestation, les avocats sont dans la pratique à la merci des enquêteurs, qui peuvent les empêcher des jours durant d’entrer en contact avec leurs clients. Le risque de torture et de mauvais traitements est particulièrement élevé durant cette période de détention au secret. Le nouveau Code de procédure pénale a également mis en place l’obligation de comparution devant un juge chargé de statuer sur une éventuelle remise en liberté dans les 72 heures suivant l’arrestation d’un suspect. Bien souvent, toutefois, ce délai n’est pas respecté ; dans de nombreux cas en outre, les juges ne prennent pas en compte les allégations de torture et les éléments attestant de blessures qui sont portés à leur connaissance dans la salle d’audience. Ils s’en remettent généralement à la version des faits présentée par ceux-là même qui sont accusés de torture.

Lorsqu’une personne est amenée au poste de police ou dans un centre de détention provisoire, elle n’est pas systématiquement examinée par un médecin. Un examen médical est effectué au moment du transfert vers un centre de détention provisoire placé sous l’autorité du ministère de la Justice, mais lorsque les membres du corps médical soupçonnent qu’un détenu a été torturé ou maltraité, ils le renvoient généralement dans le centre temporaire jusqu’à ce que les marques de blessure se soient estompées.

Craignant des conséquences négatives, les personnes qui ont subi des violences de la part de responsables de l’application des lois ne déposent que rarement plainte ; ceux-ci jouissent donc le plus souvent de l’impunité. Dans bien des cas, les proches et les avocats des détenus hésitent à porter plainte, par peur d’aggraver la situation de ces derniers.

C’est aux services des procureurs qu’il appartient d’enquêter sur les allégations de torture. L’impartialité des procureurs est parfois mise à mal par les liens étroits existant aux niveaux structurel et personnel entre leurs services et la police. Les autorités n’ont pas publié de statistiques complètes sur les poursuites entamées contre des responsables de l’application des lois pour le crime spécifique de torture ou mauvais traitements – et non pour des infractions plus largement définies, comme l’« abus de pouvoir » ou l’« abus d’autorité ».

Les juges continuent de rendre des décisions fondées sur des éléments de preuve obtenus sous la contrainte.

La définition de la torture du droit tadjik n’est pas entièrement conforme à celle de la Convention contre la torture.

Le Tadjikistan n’a pas autorisé le Comité international de la Croix-Rouge à se rendre dans les centres de détention pour y effectuer sa mission de suivi depuis l’année 2004. Il n’a pas ratifié le Protocole facultatif se rapportant à la Convention contre la torture et autres peines ou traitements cruels, inhumains ou dégradants, qui prévoit un système de visites régulières d’organes indépendants nationaux et internationaux dans les lieux de détention.

Les organisations signataires de la présente déclaration demandent aux autorités du Tadjikistan de mettre œuvre sans attendre les recommandations suivantes :

• Veiller à ce tous les détenus, sans exception, puissent bénéficier des services d’un avocat de leur choix et s’entretenir avec lui, sans restriction et de manière confidentielle, immédiatement après leur arrestation.

• Veiller à ce que les juges statuant sur le placement en détention provisoire se penchent aussi sur la manière dont les personnes privées de liberté ont été traitées pendant la garde à vue, conformément au principe 27 de l’Ensemble de principes pour la protection de toutes les personnes soumises à une forme quelconque de détention ou d’emprisonnement. Si l’enquête, ou les déclarations de la personne détenue, font apparaître des éléments montrant que des actes de torture ou d’autres formes de mauvais traitements peuvent avoir été commis, le juge doit donner des instructions afin que des investigations poussées soient menées.

• Veiller à ce que les suspects soit examinés par un médecin indépendant immédiatement après leur arrestation et au moment où ils sont admis dans un centre de détention provisoire.

• Ouvrir sans délai une enquête approfondie, indépendante et impartiale sur toutes les allégations d’actes de torture ou autres mauvais traitements, et traduire en justice les responsables présumés.

• Faire adopter des dispositions législatives afin que les déclarations ou « aveux » effectués par des personnes privées de liberté hors de la présence d’un magistrat ou d’un avocat ne puissent être pris en compte devant les tribunaux, sauf lorsqu’il s’agit d’éléments de preuve contre les individus accusés d’avoir obtenu les « aveux » par des moyens illégaux.
• Faire adopter dans le droit tadjik une définition de la torture qui soit pleinement conforme à celle de la Convention contre la torture.

• Ratifier le Protocole facultatif se rapportant à la Convention contre la torture et autres peines ou traitements cruels, inhumains ou dégradants.

• Permettre au Comité international de la Croix-Rouge d’accéder aux lieux de détention.

Organisations signataires :

Amnesty International

Bureau des droits humains et de l’état de droit, Tadjikistan

Centre pour les droits des enfants, Tadjikistan

Collège des avocats de la région de Soghd, Tadjikistan

Collège des avocats de la République « Sipar », Tadjikistan

Equal Opportunity, Tadjikistan

Fédération internationale des ligues des droits de l’homme (FIDH)

Ligue des avocates de la République du Tadjikistan, Tadjikistan

Penal Reform International (PRI)

Organisation caritative « Avesto », Tadjikistan

Organisation mondiale contre la torture (OMCT)

Association des jeunes avocats « Amparo », Tadjikistan

(1). Pour en savoir davantage sur ce cas, veuillez vous reporter aux actions urgentes d’Amnesty International : AU 238/10, index AI EUR 60/002/2010, du 15 novembre 2010, et EUR 60/003/2010, du 25 novembre 2010.

(2). Pour en savoir plus sur ce cas, veuillez consulter la déclaration publique effectuée conjointement le 17 mars 2011 par Amnesty International et le Bureau des droits humains et de l’état de droit, intitulée Tajikistan : Detained, then dead. Authorities must promptly conduct an effective investigation into Safarali Sangov’s death (index AI : EUR 60/002/2011).

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