Tanzanie : Menace de l’état envers les associations des droits humains

Des organisations internationales appellent à respecter les libertés d’expression et d’association

Il faut que l’État tanzanien cesse de tenir des propos hostiles à l’égard des groupes de la société civile et de menacer d’entraver leurs activités, ont déclaré 18 organisations non gouvernementales (ONG) nationales et internationales jeudi 6 juillet 2017. Ce discours vise notamment les groupes qui aident des jeunes filles enceintes à achever leur scolarité et ceux qui défendent les droits des lesbiennes, des gays et des personnes bisexuelles et transgenres (LGBT).

Les organisations signataires partagent les préoccupations exprimées dans une déclaration publiée par 25 organisations tanzaniennes, qui réaffirmaient leur soutien à la réintégration des mères adolescentes dans le système scolaire.

« Le président tanzanien et les autres hauts responsables de l’État devraient se concentrer sur la question de savoir comment construire le pays en aidant chacun et chacune à finir sa scolarité et en éliminant les discriminations, a déclaré Elin Martinez, spécialiste des droits des enfants à Human Rights Watch. Protéger les droits est non seulement utile aux intéressés eux-mêmes et à leur famille, mais aussi à l’ensemble du pays.  »

Selon les organisations internationales signataires, les déclarations récentes de certains représentants de l’État pourraient avoir un effet dissuasif sur les groupes concernés. Le 22 juin 2017, John Magufuli a indiqué : « Tant que je serai président, aucune élève ne reprendra les cours après une grossesse. » Il a précisé que les jeunes mères pouvaient choisir une formation professionnelle ou créer leur propre activité mais ne devaient pas être autorisées à poursuivre leur scolarité dans l’enseignement public classique. Dans le même discours, il a dénigré les relations homosexuelles.

Le 25 juin, le ministre des Affaires étrangères, Mwigulu Nchemba, a menacé de retirer l’agrément aux organisations qui contestaient l’interdiction imposée par le président au sujet de la scolarisation des jeunes filles enceintes et des mères adolescentes et de poursuivre ou d’expulser quiconque œuvrerait à la protection des droits des LGBT.

Les autorités estiment que 30 % des filles ont abandonné l’école en raison d’une grossesse en 2015. De nombreux établissements obligent leurs élèves à se soumettre régulièrement à des tests de grossesse et excluent celles qui s’avèrent être enceintes, accouchent ou se marient, ce qui contraint les jeunes filles concernées à abandonner précocement l’enseignement classique.

Les déclarations récentes de MM. Magufuli et Nchemba vont à l’encontre de la démarche entreprise de longue date par le ministère de l’Éducation, des Sciences et des Technologies et des organisations de la société civile, dont l’objectif est d’élaborer des directives afin que les jeunes filles puissent réintégrer leur établissement scolaire à la suite d’une grossesse. Dans son programme électoral de 2015, le Parti de la révolution (CCM), actuellement au pouvoir, s’est engagé à faire en sorte que les jeunes filles qui interrompent leur scolarité en raison d’une grossesse puissent reprendre les cours ensuite.

La même année, le Comité des droits de l’enfant, organe spécialisé des Nations unies, s’est dit inquiet au vu de l’absence, dans le droit national, de dispositions interdisant explicitement d’exclure des jeunes filles de l’école parce qu’elles sont enceintes. Il a appelé l’État tanzanien à prendre des mesures immédiates pour que l’inscription des jeunes filles soit maintenue en cas de grossesse et pour les aider à se réinscrire, le cas échéant, et à poursuivre leur scolarité dans des établissements publics.

Par ailleurs, les restrictions qui pèsent sur les droits des LGBT en Tanzanie ont de lourdes conséquences. Sous les gouvernements précédents, les hommes ayant des relations avec d’autres hommes étaient considérés comme une population à cibler en priorité dans le cadre de la lutte contre le VIH et les politiques en la matière encourageaient les interventions à destination de ce groupe. Ces efforts ont malheureusement été réduits à néant par le gouvernement Magufuli, qui a notamment diligenté une opération contre une organisation apportant une aide sanitaire aux gays et a menacé d’en fermer d’autres.

En octobre 2016, le ministère de la Santé a émis une directive suspendant les « services liés au VIH/sida au niveau local » puis une ordonnance concernant la fermeture des centres d’accueil pour les populations cibles. Les autorités tanzaniennes ont lancé une vague de répression sans précédent, procédant à des arrestations et engageant des poursuites pour des charges liées à l’homosexualité ; les personnes visées sont soumises à un examen rectal forcé, ce qui constitue un traitement cruel, inhumain et dégradant pouvant s’apparenter à un acte de torture.

Les déclarations du président et de son gouvernement sont en contradiction avec les obligations internationales et régionales qui incombent à la Tanzanie dans le domaine des droits humains. Les pouvoirs publics sont notamment tenus de veiller à ce que tous les enfants aient accès à l’enseignement primaire et secondaire sans discrimination et ont aussi l’obligation de prendre toutes les mesures nécessaires pour que les jeunes filles puissent poursuivre leur scolarité après une grossesse. Par ailleurs, le droit de faire campagne en faveur de l’égalité des droits pour tous, sans considération de l’orientation sexuelle ni de l’identité de genre, est protégé. Le droit international et la Constitution tanzanienne garantissent les droits aux libertés d’expression et d’association. La Commission africaine des droits de l’homme et des peuples a exhorté les États à prendre des mesures pour mettre fin aux violences et aux discriminations fondées sur l’orientation sexuelle ou l’identité de genre et s’est dite préoccupée par les violations du droit à la liberté de réunion pacifique qui sont liées à l’orientation sexuelle.

Il faut que les autorités cessent immédiatement de menacer le travail des ONG, ont déclaré les organisations signataires. Tous les groupes de la société civile doivent être autorisés à mener leurs activités sans craindre de représailles, qu’il s’agisse de recherches, de plaidoyer, de programmation ou de services essentiels. La Déclaration sur les défenseurs des droits de l’homme, adoptée sans vote par l’Assemblée générale des Nations unies en 1998, appelle les États à « [prendre] toutes les mesures nécessaires pour assurer que les autorités compétentes protègent [les défenseurs des droits humains] de toute violence, menace, représailles, discrimination de facto ou de jure, pression ou autre action arbitraire » qui serait liée à leurs efforts légitimes visant à promouvoir les droits humains.

« Les groupes indépendants appartenant à la société civile jouent un rôle crucial dans les débats, l’élaboration des politiques et les services dans des domaines cruciaux pour la Tanzanie, a déclaré Michelle Kagari, directrice régionale adjointe à Amnesty International. Menacer d’entraver leurs activités et de les réduire au silence est une position contreproductive, qui va à l’encontre des obligations juridiques du pays au niveau international.  »

Organisations signataires  :
Amnesty International
Center for Health and Gender Equity (CHANGE)
Centre pour les droits reproductifs
Chapter Four, Ouganda
Réseau d’information sur les droits de l’enfant
Equal Education Law Centre, Afrique du Sud
Gay and Lesbian Coalition of Kenya
Campagne mondiale pour l’éducation
Global Observatory for Inclusion
Forum de sensibilisation et de promotion des droits humains (HRAPF), Ouganda
Human Rights Watch
Coalition internationale pour la santé des femmes
Ipas
Commission kenyane des droits humains
Commission nationale des droits humains des gays et lesbiennes, Kenya
Right to Education Initiative
Robert F. Kennedy Human Rights
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