Tanzanie, La violation des libertés politiques et civiles doit cesser

Tanzanie élections

Le gouvernement du président tanzanien John Magufuli a constitué un arsenal de lois qu’il utilise pour étouffer toutes les formes de dissidence et réprimer les droits à la liberté d’expression et de réunion pacifique en amont des élections 28 octobre.

Ces derniers mois, des candidats de l’opposition ont été arrêtés sur la base d’accusations fallacieuses qui les privent de leur droit à la liberté de réunion, d’association et de circulation. Parallèlement à cela, des règles visant à renforcer le contrôle exercé par le gouvernement sur les médias nationaux et étrangers sont entrées en vigueur, violant le droit à la liberté d’expression, a déclaré Amnesty International à l’occasion du lancement le 12 octobre de son rapport intitulé Lawfare – Repression by Law Ahead of Tanzania’s General Elections.

« La Tanzanie instrumentalise la législation à un point tel que personne ne sait vraiment où se trouve la limite à ne pas franchir. Des responsables politiques ont été arrêtés pour avoir organisé des réunions ou y avoir participé, des médias ont été suspendus ou interdits, le militantisme en ligne est réprimé pénalement, et des ONG sont étouffées par une réglementation sans fin », a déclaré Deprose Muchena, directeur pour l’Afrique de l’Est et l’Afrique australe à Amnesty International.

Ces lois et règlements, adoptés rapidement les uns après les autres, avec une participation minimale de la population, visent tout le monde : les représentant·e·s politiques de l’opposition, les opposant·e·s au gouvernement, la société civile, les journalistes, les artistes, les musicien·ne·s et les diplomates.

« La Tanzanie instrumentalise la législation à un point tel que personne ne sait vraiment où se trouve la limite à ne pas franchir. Des responsables politiques ont été arrêtés pour avoir organisé des réunions ou y avoir participé, des médias ont été suspendus ou interdits, le militantisme en ligne est réprimé pénalement, et des ONG sont étouffées par une réglementation sans fin »

« L’utilisation qui est faite de la loi pour réprimer systématiquement et délibérément les droits humains inaliénables, en particulier en période électorale, est extrêmement inquiétante et néfaste pour un pays qui cherche à croître et à se développer », a déclaré Deprose Muchena.

Répression de l’opposition

Joseph Mbilinyi, un candidat du Chama cha Demokrasia na Maendeleo (Chadema), le principal parti de l’opposition, a été arrêté et relâché le 14 août : il a été accusé d’avoir organisé une « manifestation non autorisée » parce qu’il était accompagné par des sympathisants lorsqu’il est allé chercher les documents relatifs à sa nomination au bureau de la Commission électorale nationale (NEC) à Mbeya.

Sept membres de la section jeunesse du Chadema ont été arrêtés le 7 juillet pour avoir « tourné en ridicule l’hymne et le drapeau nationaux », entre autres chefs d’inculpation, parce qu’ils ont chanté l’hymne national tout en brandissant le drapeau du parti. Ils n’ont toujours pas été libérés.

Le dirigeant du mouvement d’opposition Alliance pour le changement et la transparence (ACT – Mzalendo), Zitto Kabwe, a été arrêté le 23 juin avec sept responsables de ce parti, pour « rassemblement illégal », parce qu’ils ont participé à une réunion interne de ce parti. Le 12 juin, il a été convoqué pour s’expliquer au sujet de son entrevue avec la haute-commissaire britannique Sarah Cooke, qui serait contraire aux dispositions de l’article 6(C)4 de la Loi de 2019 (modifiée) sur les partis politiques, qui prévoit que « les personnes n’ayant pas la nationalité tanzanienne ne doivent pas participer au processus décisionnel d’un parti politique dans le but de promouvoir les objectifs de ce parti ».

« Les autorités doivent cesser de harceler les représentant·e·s politiques de l’opposition sous des prétextes ridicules, et faciliter l’exercice de leurs droits à la liberté, et à la liberté d’expression, de réunion pacifique et d’association, afin de leur permettre de mener librement leur campagne », a déclaré Deprose Muchena.

Les médias particulièrement visés

La nouvelle réglementation adoptée en août oblige les journalistes étrangers à être accompagnés d’un fonctionnaire pour les reportages. Les radiodiffuseurs tanzaniens doivent également demander la permission de diffuser des contenus produits par des médias étrangers depuis la modification en date du 11 août 2020 de la réglementation sur la diffusion radiophonique et télévisée. Cette modification a été précipitée par la diffusion d’une interview par la BBC de l’homme politique de l’opposition Tundu Lissu sur les ondes de Radio Free Africa, un radiodiffuseur tanzanien.

Amnesty International a rassemblé des informations sur l’interdiction le 23 juin du Tanzania Daima , journal proche de Freeman Mbowe, du Chadema, et sur la suspension d’autres organes de presse, au motif dans certains cas qu’ils avaient diffusé de fausses informations au sujet du COVID-19. Kwanza TV, proche de Maria Sarungi-Tsehai, qui critique sévèrement le président Magufuli, s’est vu infliger le 6 juillet une suspension de 11 mois pour avoir publié une alerte en matière de santé concernant la Tanzanie émise par le gouvernement américain.

Répression de la société civile

Amnesty International a rassemblé des informations sur au moins quatre nouvelles lois adoptées depuis 2019 qui restreignent les activités des ONG. Depuis juin 2019, les ONG ont l’obligation de divulguer leurs sources de financement, et en avril 2020, de nouvelles lignes directrices ont été adoptées permettant au gouvernement d’exercer un contrôle accru sur les ONG qui entrave la liberté d’association. La supervision de certaines activités des ONG, qui était auparavant confiée au ministère de la Santé, du Développement de la communauté, du Genre, des Personnes âgées et de l’Enfance, relève à présent du bureau du président, ce qui témoigne d’une influence croissante de l’exécutif sur les activités des ONG.

« Les ONG sont à présent dans une situation très difficile : elles doivent lutter contre la divulgation d’informations détaillées sur leur travail, qui nuit à l’indépendance nécessaire pour un travail légitime de défense des droits humains et met en danger leur personnel ou les expose au risque d’être radiées », a déclaré Deprose Muchena.
En juin, les ONG de défense des droits humains se sont vu interdire d’entreprendre des activités liées aux élections, et les observateurs internationaux ont reçu l’ordre de ne pas parler des élections. La Commission électorale a interdit le 23 juin à d’importantes organisations de la société civile telles que le Tanzania Constitution Forum (TCF), le Legal and Human Rights Centre (LHRC), la Tanzania Human Rights Defenders Coalition (THRDC) et la Tanzania Episcopal Conference (TEC) de mener un travail d’éducation des électeurs et électrices. Deux de ces organisations – la THRDC et le LHRC – ne peuvent pas former les avocat·e·s pour le traitement des contestations électorales comme elles l’ont fait par le passé.

« Les ONG sont à présent dans une situation très difficile : elles doivent lutter contre la divulgation d’informations détaillées sur leur travail, qui nuit à l’indépendance nécessaire pour un travail légitime de défense des droits humains et met en danger leur personnel ou les expose au risque d’être radiées »

« Le président Magufuli doit de toute urgence inverser le mouvement de déclin des libertés politiques et civiles en Tanzanie, et veiller à ce que les défenseur·e·s des droits humains, les militant·e·s et les organisations de la société civile puissent faire leur travail librement et de façon indépendante, sans crainte de représailles, a déclaré Deprose Muchena.

« Il doit également veiller à ce que son gouvernement respecte, protège et défende les droits humains avant, pendant et après les élections. De plus, il doit veiller à ce que des enquêtes exhaustives, transparentes et efficaces soient diligentées sur toute allégation de violation, et à ce que les auteurs présumés soient déférés à la justice. »

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