Tchad. Des civils laissés sans protection face aux attaques brutales perpétrées par les Janjawid jusqu’à 150 kilomètres à l’intérieur des frontières du Tchad


COMMUNIQUÉ DE PRESSE

AFR 20/013/2006

Amnesty International a rendu publics ce vendredi 1er décembre de nouveaux éléments de preuve de l’inaction du gouvernement tchadien face aux attaques de civils de plus en plus brutales et fréquentes, perpétrées dans l’est du Tchad par des Janjawid venus du Darfour et du Tchad.

Ces éléments ont été rassemblés par une délégation d’Amnesty International de retour après deux semaines passées au Tchad. Les délégués ont interviewé des victimes de viol, d’actes de torture et de déplacement forcé, ont visité des villages détruits et rencontré le Premier ministre tchadien et d’autres responsables du gouvernement. Leur compte-rendu apporte la preuve irréfutable que l’est du Tchad est désormais fortement touché par le conflit et la crise des droits humains au Darfour.

La délégation a entendu des témoignages relatant des meurtres, des mutilations, la mort de victimes brûlées vives lors d’attaques menées par des Janjawid contre des localités tchadiennes situées jusqu’à 150 kilomètres de la frontière avec le Darfour.

« Cinq hommes qui tentaient de s’enfuir ont été capturés par les Janjawid. (...) Ils leur ont passé une corde autour du cou, ont attaché la corde à leurs chevaux et ont fait aller et venir leurs bêtes traînant les corps pendant cinq à dix minutes. Le sang leur sortait de la bouche et du nez. Ils les ont même fouettés avec leurs rênes sur la tête et sur tout le corps, jusqu’à ce qu’ils soient couverts de sang. ”
Témoignage d’Abdelrahman Sinoussi, décrivant le meurtre de cinq villageois de Koloye.

Dans le même temps, des femmes qui avaient fui vers les camps de personnes déplacées internes ont parlé aux délégués d’un nombre croissant de viols par les Janjawid, la police et l’armée tchadienne ne patrouillant pas dans les camps ni autour des camps.

« Nous avons constaté une augmentation dramatique des attaques de plus en plus brutales contre des civils, de plus en plus loin à l’intérieur du Tchad, la police et l’armée tchadienne ne faisant même pas un semblant d’effort pour protéger leurs propres citoyens. Le gouvernement est confronté à une menace réelle de la part des forces rebelles. Toutefois, même lorsqu’elles en avaient les moyens, les autorités ont refusé de répondre aux appels à l’aide de leurs propres civils ”
, a déclaré Alex Neve, membre de la délégation d’Amnesty International.

Les premières conclusions de la délégation d’Amnesty International au Tchad font notamment état de :
  série d’attaques contre des civils par les Janjawid opérant depuis la frontière à l’intérieur du Tchad, notamment des attaques dévastatrices sur les villages de Bandiako, Badiya et Kerfi au cours des deux premières semaines de novembre, à quelque 150 kilomètres à l’intérieur du pays ;
  d’une intensification des attaques des Janjawid contre des civils depuis la fin de la saison des pluies à la mi-septembre – Amnesty International a établi une liste d’environ 5000 noms de personnes tuées lors d’attaques dans la seule région de Dar Sila, le nombre réel de personnes tuées serait beaucoup plus élevé ;
  de la brutalité croissante des attaques, qui s’est traduite par des meurtres, mutilations, victimes brûlées vives, alors que précédemment les Janjawid se contentaient de voler le bétail, de piller les réserves de nourriture et de faire peur aux habitants pour leur faire quitter leurs villages ;
  de l’augmentation de la violence contre les femmes, des viols notamment, dans et autour des camps de personnes déplacées internes, les hommes déplacés ne pouvant les accompagner de peur d’être tués et les forces gouvernementales refusant de patrouiller dans et autour des camps.

« Ils m’ont d’abord pris mon enfant et l’ont jetée à terre. Puis, deux des hommes m’ont violée. Après cela, ils sont partis et j’ai ramassé ma fille et je suis rentrée au camp. Je n’ai parlé à personne de ce qui m’était arrivé. »
Témoignage d’une femme dans un camp de personnes déplacées internes près de Goz Beida.

Amnesty International a rassemblé un grand nombre de témoignages de survivants qui ont décrit les efforts qu’ils avaient fait pour obtenir que l’armée ou la police tchadienne vienne à leur aide avant et pendant les attaques des Janjawid. Dans certains cas, une aide a été promise qui n’est jamais arrivée. Dans d’autres cas, les villageois ont été rabroués et on leur a conseillé de rentrer et de défendre eux-mêmes leur village.

« Chaque fois qu’il y a eu une attaque, on a supplié les militaires de venir nous aider. Ils n’étaient qu’à 25 kilomètres. Ils ne sont jamais venus. (...) Nous ne comptons pas dans ce pays. Nous ne sommes pas considérés comme des citoyens de ce pays. Tout ce qu’ils veulent, c’est nous voir mourir. ”
Témoignage de Abakar Ramadan, imam de Koloye.

Les combattants Janjawid exploitent cette absence de protection de la part de l’État – selon les déplacés, ils narguent même leurs victimes lors des attaques : Pourquoi n’y a t-il personne pour vous protéger ? L’anarchie et l’impunité encouragent clairement des attaques de plus en plus fréquentes.

Toutes les parties au conflit, y compris les Janjawid, doivent respecter leurs obligations au regard du droit international humanitaire, et en particulier s’abstenir de s’en prendre directement à des civils. Le Tchad doit assurer la protection de ses citoyens, conformément à sa constitution nationale et au droit international relatif aux droits humains. Le gouvernement du Soudan doit aussi prendre des mesures effectives visant à prévenir de nouvelles incursions transfrontalières des Janjawid au Tchad et désarmer les milices Janjawid conformément aux obligations qui sont les siennes au titre de l’accord de paix sur le Darfour.

La communauté internationale a également clairement une part de responsabilité. Amnesty International demande instamment au conseil de sécurité des Nations unies d’envisager des mesures visant à aider le gouvernement tchadien à s’acquitter de sa responsabilité de protéger les civils, réfugiés et déplacés internes compris, en déployant une force internationale si cela s’avère nécessaire. La délégation d’Amnesty International a rencontré le Premier ministre tchadien Pascal Yoadimnadji, qui a clairement indiqué que son gouvernement était ouvert à l’idée et souhaitait même fortement une assistance internationale.

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