Témoignage pour Amnesty International, par Chekib El Khiari, ancien prisonnier d’opinion

J’ai été détenu arbitrairement pendant deux ans et deux mois dans cinq prisons différentes situées de l’ouest à l’est du royaume. Cette période a été pour moi riche d’expériences et d’enseignements, qu’il ne m’aurait jamais été donné de connaître en d’autres circonstances. Ils m’ont permis de voir le monde qui m’entourait sous un angle nouveau pour moi et de le réinterpréter : je suis devenu sensible à une réalité humaine masquée que la majorité de la population ne voit ni ne comprend.

Mon arrestation

J’ai été arrêté le 17 février 2009, accusé de « représenter une menace pour les institutions publiques et de les dénigrer  », puis jeté en prison. Des mois plus tard, on m’a également accusé d’avoir « enfreint la législation sur les devises ». J’ai été condamné à trois ans d’emprisonnement et à une amende de près de 75 000 euros.

Les différents stades des poursuites et du procès ont constitué une violation flagrante du droit, cela a été reconnu, de ma détention arbitraire à ma convocation à la maison de mes parents pour pouvoir la perquisitionner sans mandat, en passant par ma garde à vue prolongée à l’excès et par la falsification des éléments de preuve ou encore toutes les irrégularités dont ont été entachés mes procès en première instance et en appel.

La plus grossière : le tribunal a forgé de toutes pièces un communiqué de presse qu’il m’a attribué et qu’il a utilisé à ma charge. En dépit de sa condamnation, le juge a écrit noir sur blanc dans les attendus de son jugement : « le législateur marocain n’a pas défini les institutions publiques ». J’ai donc été condamné pour un chef d’inculpation dénué de sens et qui a été formulé pour restreindre la liberté d’expression et opprimer les défenseurs des droits humains et les journalistes.

J’ai été arrêté parce que j’ai diffusé, sur des plateformes marocaines et internationales et dans le respect des pratiques en matière de droits humains reconnues à l’échelle internationale, des communiqués de presse sur l’implication des forces de sécurité dans des réseaux internationaux de trafic de drogue et sur l’infiltration du Parlement par des barons de la drogue manœuvrant pour inciter les politiciens à soutenir leur commerce illégal. Après la diffusion de ces communiqués, des dizaines de membres des forces de sécurité ont été arrêtés, y compris de hauts gradés de l’armée, avant que je ne me retrouve moi-même en prison.

Pourtant le tribunal continuait à me demander : « Avez-vous des preuves de l’implication de certains éléments des forces de sécurité dans la trafic de drogue international ? » Et je répondais en vain : « Vous en avez déjà arrêté des dizaines un mois avant de m’arrêter, et maintenant vous m’envoyez en prison avec eux  ». En outre, pour mon avocat a présenté aux juges des communiqués émis par des représentants de partis politiques faisant partie du gouvernement qui confirmaient l’infiltration du monde politique par des barons de la drogue ; l’un d’eux a même déclaré publiquement sur la deuxième chaîne marocaine que près d’un tiers des parlementaires marocains étaient des barons de la drogue, mais le tribunal n’y a prêté aucune attention et j’ai été condamné.

Solidarité

Amnesty a été la première organisation de défense des droits humains à prendre contact avec mon frère. Elle l’a fait dès le deuxième jour de ma détention et, le quatrième jour, elle a publié un rapport sur mon cas dans lequel elle demandait à l’État de me libérer immédiatement et sans condition. À part cela, le troisième jour, Human Rights Watch est intervenue et a aussi publié un communiqué sur ma situation. Ces deux interventions m’ont confirmé par la suite que ces deux organisations s’employaient à soutenir la mobilisation en ma faveur aux niveaux national et international, afin que les mailles du complot organisé contre moi se desserrent.

À partir de ce moment, Amnesty a régulièrement pris de mes nouvelles et, chaque semaine, quand mon frère me rendait visite à la prison, des membres de l’administration pénitentiaire sympathisants d’Amnesty l’appelaient avant et après pour savoir si j’allais bien. Cela m’a énormément aidé sur le plan psychologique, et je n’exagère pas quand je dis qu’Amnesty a réussi à me donner l’impression d’être un homme libre, et pourquoi pas, puisque chaque semaine, après le lancement de la campagne d’Amnesty « Écrire contre l’oubli », les gardiens de la prison me remettaient des dizaines de lettres de soutien envoyées du monde entier. Ces messages m’ont énormément aidé à supporter mes conditions de détention et l’éloignement de ma famille et de mes amis, parce que les mots chargés de sentiments de ces enfants, de ces jeunes, de ces hommes et de ces femmes, de tout âge et que je ne connaissais pas, me donnaient le sentiment que ma famille et moi n’étions pas seuls et que cette détention nous permettait d’accomplir un devoir humain dans notre combat contre la corruption et l’injustice. Nous sommes une famille modeste, qui vit dans un quartier d’une grande ville inconnu du monde. Pourtant Amnesty a estimé que nous représentions quelque chose d’important et que nous méritions ces équipes qui travaillent jour et nuit pour prendre de nos nouvelles, vérifier les conditions dans lesquelles nous nous trouvons et nous proposer du soutien.

Ce qu’Amnesty a fait pour moi n’a pas été vain, car j’ai été libéré quatre mois après le début du « marathon des lettres » lancé à l’occasion de la déclaration d’un État sur l’annulation de 190 affaires concernant des décisions de justice arbitraires, sans fondement légal. Un an avant cela, sous la pression de mouvements internationaux, des démarches avec lesquelles je n’étais pas d’accord parce qu’elles visaient à m’humilier et évitaient à l’État de reconnaître la grave violation qu’il avait commise, avaient été entreprises pour me faire libérer.

À ma sortie de prison je me suis associé aux campagnes d’Amnesty en faveur des victimes des procès inéquitables et des violations des droits humains dans le monde entier et je les soutiendrai toute ma vie. Par des actes simples, comme remplir cinq cases sur une page Internet ou faire un clic, vous pouvez aider beaucoup de gens dans le monde, et c’est gratuit. Avec une carte postale ordinaire, vous pouvez illuminer d’un large sourire le visage de prisonniers solitaires, jetés injustement dans de sombres prisons. De même, en donnant un peu d’argent à Amnesty, vous permettez à ses équipes de travailler sans relâche, jour et nuit, pour améliorer la situation des droits humains dans de nombreuses parties du monde, même les moins connues.

Je tire ma révérence à Amnesty et à tous ceux qui la soutiennent.

Toutes les infos
Toutes les actions
2024 - Amnesty International Belgique N° BCE 0418 308 144 - Crédits - Charte vie privée
Made by Spade + Nursit