Par Khadija al Mousawi, épouse d’Abdulhadi al Khawaja, défenseur des droits humains actuellement en détention.
C’était un vendredi. Toute la famille était rassemblée dans l’appartement de ma fille, Fatima – nous avions mangé ensemble, parlé de politique et de droits humains ou plaisanté et ri.
Soudain, nous avons entendu un grand bruit. En l’espace de quelques secondes, la porte a été défoncée et des hommes baraqués, qui étaient masqués, ont fait irruption dans la pièce. Je ne peux pas décrire ce que j’ai ressenti à ce moment-là, parce qu’aucun mot du dictionnaire ou d’une quelconque langue ne permet de l’expliquer.
Mon mari avait toujours dit : « Si jamais ils viennent me chercher, ne vous interposez pas ; je les suivrai, tout simplement ». Mais il ne lui a pas été permis de les suivre pacifiquement. L’un d’entre eux l’a attrapé par le cou, puis l’a traîné par les jambes jusqu’en bas des escaliers. Il a été sauvagement frappé – ils lui ont donné des coups de poing et de pied devant mes filles et moi. Lorsque ma fille aînée s’en est mêlée, ils l’ont insultée et ont essayé de l’arrêter elle aussi. J’étais déchirée entre les supplier de ne pas emmener ma fille et regarder mon mariprendre des coups de pied dans les escaliers, tout en priant pour qu’il s’en sorte. Et comme si ça ne suffisait pas, j’ai soudain vu trois hommes masqués tenant mes trois gendres par le cou et leur faisant descendre les escaliers. J’étais furieuse, triste et impuissante.
Ils avaient emmené mon mari, mais je ne pouvais pas montrer à quel point j’étais triste parce que mes filles souffraient de l’arrestation de leurs époux et de leur père.
À compter de cette nuit, notre vie a changé. Nous restions debout toute la nuit, au cas où les hommes masqués auraient décidé de revenir, et allions nous coucher après le lever du soleil. Chaque nuit, nous dormions toutes habillées au cas où. Chaque bruit me faisait sursauter et vérifier que tout était normal dans l’appartement.
Les jours passaient et nous attendions des nouvelles – quelles qu’elles soient. Nous avons demandé à un avocat d’essayer d’obtenir des informations sur leur état et sur le lieu où ils se trouvaient. Il nous a dit que c’était inutile cas on ne disait rien aux avocats à propos des détenus. Je priais, demandant à dieu : « Garde-les en vie ! » – car après avoir vu le traitement infligé à Abdulhadi, je n’étais pas sûre qu’il ait survécu. Ma fille a décidé d’entamer une grève de la faim. Elle devenait plus faible chaque jour.
Des semaines après son arrestation, mon mari a appelé. Il pouvait à peine parler et l’appel n’a duré que quelques secondes. Il a dit que l’oppression était très forte mais qu’il gardait le moral. La seule chose qui m’ait traversé l’esprit à ce moment-là, c’était : « Au moins maintenant je sais qu’il est vivant ! » Je n’ai pris connaissance de la gravité de ses blessures et de l’opération qu’elles ont nécessité qu’en regardant les informations télévisées. Ce jour-là j’ai eu envie de mourir.
J’avais très peur et étais inquiète de ce que je verrais lors de notre éventuelle prochaine rencontre. Puis le procès s’est ouvert et je l’ai vu. Son visage était différent mais sa personnalité n’avait pas changé. Il avait la tête haute, l’œil vif et il était fier, comme d’habitude. J’étais si heureuse de voir son âme. Oui, ça peut paraître étrange de dire ça, mais je peux voir l’âme de mon mari.
Je vis avec Abdulhadi depuis 30 ans ; 30 années merveilleuses. C’est mon époux, mon meilleur ami, mon âme sœur, il est tout pour moi. Il a été condamné à la réclusion à perpétuité et j’espère que les pressions exercées sur le gouvernement seront si intenses qu’il sera obligé de le libérer. En attendant, j’ai de la chance d’avoir autant de bons souvenirs avec mon mari, un homme gentil, sage, respectueux, honnête et charmant. Je peux passer mon temps à revivre ces souvenirs en l’attendant.
Ça m’amuse que bien que j’aie 52 ans, je ne puisse généralement pas dormir la veille des parloirs. Je passe en général la nuit entière à réfléchir à ce que je vais lui dire le lendemain. Pendant ces visites il m’aide à prendre la vie du bon côté. Nous parlons de tous nos souvenirs heureux ensemble et finissons généralement par rire d’une blague ou d’une autre.
J’aime mon mari et je suis extrêmement fière de lui, en tant qu’homme et que défenseur des droits humains.
Pour plus d’informations :
Jailed Bahraini activist Abdulhadi Al-Khawaja’s life in danger (Nouvelle, 10 avril 2012)
Bahreïn. Il faut libérer un militant des droits humains bien connu, dont la vie est en danger après 50 jours de grève de la faim (Communiqué de presse, 30 mars 2012)
Les peines de 14 militants vont être revues (Action urgente, 30 mars 2012)