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Témoignages de victimes de la torture au Nigeria

Chinwe

Chinwe sera présent à la conférence de presse d’Amnesty International à Abuja jeudi 18 septembre 2014 et pourra donner des interviews.

La police a arrêté Chinwe à l’hôtel où il travaille le 31 juillet 2013. Deux armes à feu et un crâne humain avaient été retrouvés dans cet hôtel. Chinwe a expliqué à Amnesty International que lui et les 12 autres employés de l’hôtel (six femmes et six hommes) avaient été déshabillés, frappés, placés dans une camionnette de police non ventilée et laissés en plein soleil pendant cinq heures.

Le 1er août, ils ont été emmenés au centre de la Brigade spéciale de répression des vols (SARS) d’Awkuzu, dans l’État d’Anambra. Chinwe a raconté à Amnesty International :

« J’ai été jeté dans une cellule. J’ai vu un graffiti sur le mur qui disait "Bienvenue en enfer" […] On m’a emmené dans la salle d’interrogatoire. Au fond, il y avait un policier avec deux suspects enchaînés l’un à l’autre. C’était ce qu’ils appellent le "théâtre" – la salle d’interrogatoire. J’ai vu des cordes qui pendaient au plafond, des sacs de sable posés sur le mur d’enceinte et toutes sortes de barres et d’objets métalliques de différentes formes et tailles. J’ai entendu les cris et les hurlements des victimes de la torture […] J’ai vu des seaux d’eau près à être utilisés pour ranimer ceux qui perdraient connaissance ou seraient sur le point de mourir avant d’avoir signé les déclarations prérédigées. »

Chinwe a raconté que quatre policiers l’avaient interrogé sur sa famille et ses études et l’avaient soulevé au moyen d’une barre passée entre ses mains et ses jambes préalablement liées. Chaque fois que la douleur lui faisait perdre connaissance, ils lui jetaient de l’eau au visage pour le ranimer.

Chinwe a été inculpé de meurtre et placé en détention provisoire. Il a depuis été libéré sous caution et est en attente de son procès.

Musa

Musa est vendeur de rue dans son village, situé dans l’État de Yobe. Le 7 octobre 2012, des soldats de la tristement célèbre Force d’intervention conjointe (JTF) du Nigeria sont entrés dans le village à la recherche de personnes ayant des liens avec Boko Haram et ont arrêté Musa et 180 autres personnes.

Musa a raconté à Amnesty International qu’ils avaient tous été emmenés dans un centre de détention de Potiskum surnommé la « maison de repos ». Il a expliqué que des soldats l’avaient poussé, avec six autres hommes, dans un grand trou creusé dans le sol, où se trouvaient déjà quatre hommes.

Le fond du trou était jonché de morceaux de verre et Musa et ses compagnons ont dû rester pieds nus sur le verre.

Musa a indiqué être resté trois jours dans ce trou. Il a découvert qu’un des autres hommes était déjà là depuis trois jours. Cet homme avait les mains attachées dans le dos et sa peau partait en lambeaux car le câble utilisé pour le ligoter avait été trempé dans de l’acide. Il avait le corps couvert de sang. Selon Musa, les soldats versaient aussi régulièrement de l’eau froide ou du plastique fondu sur les prisonniers placés dans le trou.

Ensuite, Musa a été transféré au camp de Damaturu, surnommé "Guantanamo", où on l’a laissé trois jours sans eau ni nourriture. Il a raconté que les soldats marchaient sur les détenus avec leurs bottes, les frappaient le matin et les laissaient toute la journée dans des cellules non ventilées. Selon ses estimations, une ou deux personnes mouraient chaque jour dans le camp à cause de ces mauvais traitements.

Musa a finalement été libéré sans inculpation, mais il a dû fuir son domicile par crainte d’être repris et torturé de nouveau.

Un ancien soldat ayant été en poste à Damaturu a confirmé à Amnesty International que la torture était monnaie courante dans ce camp :

« … Des matraques électriques sont utilisées pour faire parler les gens. Des détenus sont aussi ligotés [dehors] pendant de longues périodes, les membres attachés au fil métallique autour du terrain de basket. Ils attachent les gens les mains tirées dans le dos [tabay] […] ceux qui restent comme ça pendant six ou sept heures perdent l’usage de leurs mains, et sur une durée encore plus longue ils peuvent même en mourir. Les policiers qui mènent les interrogatoires tirent aussi souvent des balles dans les genoux des détenus, ou les frappent à coups de baguette… »

Abosede

Abosede avait 24 ans quand elle a été arrêtée par la police à Lagos, le 18 novembre 2013. Soupçonnée de vol, elle a raconté à Amnesty International être restée détenue pendant cinq mois et avoir été régulièrement agressée sexuellement en détention. Elle a aussi expliqué que les policiers ne cessaient de l’insulter, la traitant de « prostituée » et de « voleuse », de même que ses codétenues.

Abosede a raconté que, à plusieurs reprises pendant sa détention, une policière l’avait emmenée dans une petite pièce et lui avait dit de se déshabiller et de s’allonger. Tout en lui ordonnant d’« avouer » le vol, elle lui tirait du gaz lacrymogène dans le vagin. Abosede a résisté plusieurs fois à ce traitement traumatisant, mais elle a fini par céder sous la douleur. Malgré ses saignements après ces actes de torture, elle n’a jamais été emmenée à l’hôpital.

Abosede a été inculpée de vol et placée en détention provisoire à la prison pour femmes de Kirikiri, à Lagos. Dix mois après son arrestation, elle est toujours détenue dans l’attente de son procès.

Moses Akatugba

Moses attendait les résultats de ses examens lorsque sa vie a définitivement basculé. Le 27 novembre 2005, l’armée nigériane a arrêté le lycéen de 16 ans et l’a inculpé du vol de trois téléphones.

Moses a raconté que les soldats lui avaient tiré une balle dans la main et l’avaient frappé à la tête et dans le dos pendant l’arrestation. Il a d’abord été détenu dans une caserne, où, selon son témoignage, les soldats lui ont montré un cadavre et lui ont demandé de l’identifier. Comme il n’en était pas capable, ils l’ont frappé.

Après son transfert au poste de police d’Epkan, dans l’État du Delta, Moses a subi d’autres tortures et mauvais traitements. Il a raconté à un défenseur des droits humains que les policiers l’avaient violemment battu à coups de machette et de matraque, l’avaient attaché et suspendu pendant plusieurs heures dans des salles d’interrogatoire et lui avaient arraché les ongles des doigts et des orteils à l’aide de tenailles pour le contraindre à signer deux aveux.

Le procès de Moses s’est tenu devant la haute cour d’Effurun, dans l’État du Delta. Les policiers qui avaient mené l’enquête ne sont pas venus et Moses a été condamné uniquement sur la base de la déclaration de la victime (truffée d’incohérences d’après l’avocat du jeune homme) et des deux aveux qui lui avaient été arrachés sous la torture.

Après avoir passé huit années derrière les barreaux, Moses a été condamné à mort par pendaison. Il n’a jamais eu la possibilité de contester sa condamnation sur la base des actes de torture présumés qu’il a subis pendant sa détention. Aujourd’hui, il attend son exécution dans le couloir de la mort et ne voit sa famille que deux fois par mois. En février 2014, il a déclaré à ses proches :

« La douleur causée par la torture est intolérable. Je n’aurais jamais pensé être encore en vie aujourd’hui. La douleur par laquelle je suis passé quand j’étais aux mains des policiers n’est pas imaginable. De toute ma vie, je n’ai jamais été soumis à un traitement aussi inhumain.  »

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