Semant la terreur dans des villages du Mali, du Niger et du Burkina Faso, des soldats ont tué illégalement ou soumis à des disparitions forcées au moins 199 personnes entre février et avril 2020, a déclaré Amnesty International dans un nouveau rapport publié mercredi 10 juin 2020. Certains des homicides commis s’apparentent à des exécutions extrajudiciaires, et des personnes déplacées internes font partie des victimes.
Le rapport, intitulé « Ils en ont exécuté certains et emmené d’autres avec eux » : Péril pour les populations civiles dans le Sahel, appelle les gouvernements du Mali, du Burkina Faso et du Niger à mettre un terme à l’impunité concernant les violations régulièrement commises par leurs forces de sécurité contre des populations non armées, et à veiller à ce que les opérations militaires soient conformes aux droits humains et au droit international humanitaire. Au Mali et au Burkina Faso, où la situation est celle d’un conflit armé non international, les homicides délibérés de civils non armés par les forces de sécurité pourraient être constitutifs de crimes de guerre.
« L’insécurité règne au Sahel, où la population est piégée entre les attaques des groupes armés et les opérations militaires en cours. On sait que l’armée procède à chaque fois à des dizaines d’arrestations arbitraires, et que certaines des personnes arrêtées ne réapparaissent jamais, mais on ignore l’ampleur réelle des violations commises par les forces de sécurité », a déclaré Samira Daoud, directrice pour l’Afrique de l’Ouest et l’Afrique centrale à Amnesty International.
« Jusqu’à présent, les engagements des gouvernements du Mali, du Burkina Faso et du Niger promettant de remédier à ces violations n’ont pas été suivis d’effet. Les autorités de ces pays doivent de toute urgence enquêter de manière rigoureuse sur ces violences, dont beaucoup pourraient constituer des crimes de guerre, et veiller à ce que la population soit protégée pendant les opérations militaires contre des groupes armés. »
Le rapport d’Amnesty International dénonce les violations commises dans le cadre de la réponse militaire à l’insécurité au Mali, au Burkina Faso et au Niger, ces trois pays étant confrontés à la menace de groupes armés tels que le Groupe de soutien à l’islam et aux musulmans (GSIM) et l’État islamique au grand Sahara (EIGS). Ces violations se sont produites dans le sillage du sommet de Pau, en France, qui a réuni le 13 janvier 2020 les pays du G5 Sahel, dont les trois pays évoqués ci-dessus, et la France, et lors duquel ces pays ont réaffirmé leur partenariat dans la lutte contre l’insécurité au Sahel.
Des villageois arrêtés et exécutés illégalement au Mali
Au Mali, l’armée a lancé des opérations de grande ampleur dans les communes de Diabaly et de Dogofry, dans la région de Ségou. Ces opérations ont donné lieu à diverses violations des droits humains à la suite d’attaques de groupes armés contre les forces de sécurité.
Amnesty International a pu confirmer au moins 23 cas d’exécutions extrajudiciaires ou d’autres homicides illégaux et 27 arrestations arbitraires suivies de disparitions forcées aux mains de l’armée malienne dans les communes de Diabali et de Dogofry, entre le 3 février et le 11 mars 2020.
Le 16 février, à Belidanedji, les forces de sécurité ont procédé à l’exécution extrajudiciaire de cinq personnes, que les villageois ont ensuite enterrées, et à l’arrestation de 18 autres, dont on est sans nouvelles depuis.
Un proche de victimes a raconté à Amnesty International :
« Quand les soldats sont arrivés dans le village, la plupart des gens ont fui pour échapper à leur violence. Mais ils ont arrêté plusieurs villageois et exécuté quatre membres de ma famille. Ensuite, ils ont saisi une partie des stocks d’engrais, des vivres et de nombreux autres produits sur le marché. »
Exécutions extrajudiciaires au Burkina Faso
Amnesty International a aussi recueilli des informations faisant état de violations flagrantes des droits humains commises par les forces de sécurité du Burkina Faso entre mars et avril 2020. Dans au moins deux cas, les forces de sécurité ont soumis des personnes à des disparitions forcées – dont des personnes déplacées internes–, avant de les tuer.
Issouf Barry, conseiller local de Sollé, Hamidou Barry, chef du village de Sollé, et Oumarou Barry, membre de la famille princière de Banh, ont été enlevés à leur domicile, à Ouahigouya, le 29 mars 2020.
Selon un proche d’une des victimes, ces trois hommes ont été arrêtés chez eux par des gendarmes. Tous trois étaient des personnes déplacées, qui avaient quitté leur lieu d’habitation d’origine pour trouver refuge à Ouahigouya, la capitale régionale, en raison de l’insécurité. Leurs cadavres ont été retrouvés par des villageois le 2 avril en périphérie de la ville, sur la route menant à Oula.
Dans un autre cas signalé à Amnesty International, 31 habitants de Djibo, dont 10 personnes déplacées, ont été arrêtés et exécutés le 9 avril 2020 par le Groupement des forces antiterroristes (GFAT). Le 20 avril, le gouvernement a reconnu que des exécutions extrajudiciaires avaient eu lieu. Il a déclaré que la Direction de la justice militaire avait été chargée le 10 avril d’enquêter sur ces allégations.
Plus de 100 villageois victimes de disparitions forcées au Niger
Au Niger, 102 habitants de la région de Tillabéri, dans le sud-ouest du pays, ont été arrêtés et soumis à une disparition forcée par l’armée dans le cadre de l’opération Almahou entre le 27 mars et le 2 avril 2020.
Des témoins ont dit à Amnesty International que, entre le 27 et le 29 mars, 48 personnes avaient été arrêtées par des soldats nigériens alors qu’elles se rendaient au marché à Ayorou ou qu’elles en revenaient. Les 54 autres ont été arrêtées par les forces de sécurité dans plusieurs villages le 2 avril.
Cinq témoins interrogés par Amnesty International ont souligné que toutes ces personnes avaient depuis disparu et que de nombreuses fosses communes avaient été découvertes à plusieurs endroits dans le département d’Ayorou. La plupart des habitant·e·s de la région n’osaient pas s’aventurer à proximité de ces fosses communes ni demander des nouvelles des victimes de disparitions forcées par crainte de subir à leur tour un sort peu enviable.
La répression militaire a contraint de nombreuses personnes à fuir vers les zones urbaines pour s’y mettre en sécurité.
« La localité d’Inates est désertée par ses habitant·e·s et la plupart sont partis vers le Sud, plus près des centres urbains, en raison de l’insécurité », a déclaré un témoin à Amnesty International.
« Les autorités du Mali, du Niger et du Burkina Faso doivent mettre un terme aux homicides illégaux et aux disparitions forcées perpétrés par leurs forces de sécurité. Elles doivent faire libérer immédiatement toutes les personnes qui ont été arrêtées ou enlevées, à moins que celles-ci ne soient traduites devant un tribunal et inculpées d’une infraction dûment reconnue par la loi. Elles doivent enquêter sur ces violations et en poursuivre les responsables présumés en justice. L’impunité ne fait qu’engendrer de nouvelles violences et atteintes aux droits humains », a déclaré Samira Daoud.
« Il est important que les acteurs régionaux et les partenaires internationaux se prononcent fermement contre ces violations et appellent les autorités des trois pays à faire en sorte que toutes les mesures nécessaires soient prises avant, pendant et après les opérations militaires pour éviter de mettre la population civile en danger et empêcher que d’autres violations ne soient commises. »