Thaïlande : Autorités doivent enquêter sur l’enlèvement d’un journaliste vietnamien

Les autorités thaïlandaises doivent enquêter sur le rôle joué par la police thaïlandaise dans l’enlèvement du journaliste Truong Duy Nhat par les autorités vietnamiennes, a déclaré Amnesty International ce vendredi 21 juin.

Des documents et des informations obtenus par Amnesty International soulèvent de sérieuses questions quant à l’éventuelle implication de policiers thaïlandais dans les événements qui ont conduit à l’enlèvement de Truong Duy Nhat à Bangkok le 26 janvier. Les autorités vietnamiennes ont reconnu que Truong Duy Nhat était actuellement détenu à Hanoï.

La Thaïlande comme le Viêt-Nam sont membres de l’Association des nations de l’Asie du Sud-Est (ASEAN), qui se réunit cette semaine à Bangkok du 20 au 23 juin. La Thaïlande assumera la présidence de l’ASEAN jusqu’à la fin de l’année.

« L’enlèvement de Truong Duy Nhat semble s’inscrire dans une tendance profondément préoccupante dans la région en ce qui concerne le renvoi forcé et souvent illégal de réfugiés et de demandeurs d’asile »

« L’enlèvement de Truong Duy Nhat semble s’inscrire dans une tendance profondément préoccupante dans la région en ce qui concerne le renvoi forcé et souvent illégal de réfugiés et de demandeurs d’asile », a déclaré Nicholas Bequelin, directeur régional pour l’Asie de l’Est et du Sud-Est à Amnesty International.

« Un certain nombre de pays de la région échangent des dissidents politiques et des personnes qui fuient les persécutions dans le cadre d’une alliance inavouable visant à consolider leurs régimes respectifs. Les dirigeants de l’ASEAN doivent sortir de cet engrenage. »

Plusieurs pays de la région - notamment la Thaïlande, le Viêt-Nam, le Cambodge et la Malaisie - ont livré des dissidents politiques recherchés par les États voisins, en violation flagrante des protections prévues par le droit international coutumier pour les réfugiés et les demandeurs d’asile. Dans des cas extrêmes, des dissidents ont manifestement été soumis à une disparition forcée dans le pays où ils cherchaient refuge, avant de réapparaître sous la garde d’un autre État des semaines ou des mois plus tard.

La façon dont les événements se sont succédé dans le cas de Truong Duy Nhat laisse à penser que la Thaïlande et le Viêt-Nam pourraient avoir procédé à un échange. L’enlèvement de Truong Duy Nhat et son retour au Viêt-Nam en janvier ont été suivis, quelques mois plus tard, de l’arrestation par le Viêt-Nam de trois dissidents thaïlandais, dont on est sans nouvelles. Ces trois hommes - Siam Theerawut, Chucheep Chivasut et Kritsana Thapthai - ont été arrêtés par les autorités vietnamiennes à la frontière entre le Viêt-Nam et le Laos au début de l’année 2019, et auraient été remis à la Thaïlande début mai.

Le 7 février, le lieutenant général de police Surachate Hakparn, alors chef de la police de l’immigration, a annoncé l’ouverture d’une enquête sur la disparition de Truong Duy Nhat, mais aucune information à ce sujet n’a été communiquée depuis lors.

Amnesty International appelle les autorités thaïlandaises à mener sans délai une enquête approfondie, impartiale et efficace sur l’enlèvement présumé de Truong Duy Nhat et le rôle joué par la police thaïlandaise dans cet enlèvement. Tout fonctionnaire soupçonné d’être impliqué doit être traduit en justice.

Selon les informations reçues par Amnesty International, Truong Duy Nhat a été appréhendé le 26 janvier 2019, alors qu’il avait déposé la veille une demande d’asile auprès du Haut-Commissariat des Nations Unies pour les réfugiés (HCR). Quatre policiers thaïlandais l’ont arrêté vers 17 h 30 dans un magasin de glaces au 2e étage (niveau G) du centre commercial Future Park, à Bangkok. Ils l’ont emmené dans un restaurant et y sont restés avec lui pour manger pendant deux heures environ. Peu après 20 heures, ils l’ont emmené non loin de là en voiture et l’ont remis à un groupe de policiers vietnamiens. Ceux-ci ont forcé Truong Duy Nhat à monter à bord d’une camionnette et sont partis avec lui.

Truong Duy Nhat est actuellement détenu à Hanoï et fait l’objet d’un procès pour corruption.

Le cas de Truong Duy Nhat est inhabituel en raison du secret qui l’entoure, mais il est loin d’être le seul à avoir été renvoyé contre son gré dans un pays voisin en violation du droit international. Parmi les autres personnes livrées ces dernières années et qui ont fait l’objet de persécutions dans leur pays d’origine, on peut citer Moua Toua Ter, un dirigeant de l’ethnie hmong du Laos, expulsé de Bangkok vers le Laos en juin 2014, Sam Sokha, personnalité de l’opposition cambodgienne, arrêtée à Bangkok et remise au Cambodge en février 2018, Rath Rott Mony, un dirigeant syndical cambodgien ayant pris part à un documentaire controversé, qui a été appréhendé à Bangkok et expulsé au Cambodge à la mi-décembre 2018, et Praphan Pipithnamporn, une femme appartenant, semble-t-il, à un mouvement fédéraliste thaïlandais, qui a été arrêtée en Malaisie et renvoyée en Thaïlande le 10 mai 2019.

La Thaïlande a également renvoyé en Chine contre leur gré les réfugiés Dong Guangping et Jiang Yefei. De plus, à la connaissance d’Amnesty International, la Thaïlande n’a rendu publiques les conclusions d’aucune enquête sur des ressortissants chinois, dont Gui Minhai, qui ont « disparu » dans des circonstances mystérieuses alors qu’ils voyageaient en Thaïlande, et sont réapparus plus tard sous la garde des autorités chinoises.

Amnesty International appelle les autorités thaïlandaises à signer et à ratifier la Convention de 1951 relative au statut des réfugiés, à ériger en infraction le renvoi forcé des réfugiés (principe de non-refoulement), et à mettre en place un cadre juridique et administratif solide pour empêcher que les réfugiés ne soient remis aux autorités de pays où ils risqueraient de subir des persécutions.

« Les gouvernements des pays de l’ASEAN doivent cesser de se soutenir activement les uns les autres pour réprimer les personnes critiques à leur égard, et veiller au plein respect du droit à la liberté d’expression dans leurs pays. »

« Le cas de Truong Duy Nhat va totalement à l’encontre de la vision proclamée par l’ASEAN d’un partenariat qui "ne laisse personne de côté et regarde vers l’avenir"  ». Priver des personnes de leurs droits, c’est les priver d’avenir », a déclaré Nicholas Bequelin. « Les gouvernements des pays de l’ASEAN doivent cesser de se soutenir activement les uns les autres pour réprimer les personnes critiques à leur égard, et veiller au plein respect du droit à la liberté d’expression dans leurs pays. »

« Le cas de Truong Duy Nhat illustre précisément les raisons pour lesquelles la communauté internationale a créé des normes internationales afin de protéger les réfugiés et les demandeurs d’asile. La Thaïlande, en tant que présidente de l’ASEAN, doit montrer l’exemple en appliquant ces normes, et non les violer. »

Complément d’information

Truong Duy Nhat, journaliste et commentateur politique vietnamien, a été incarcéré au Viêt-Nam de 2013 à 2015 pour « propagande contre le régime ». À l’époque, Amnesty International l’avait reconnu en tant que prisonnier d’opinion.

Après sa libération en 2015, Truong Duy Nhat a travaillé comme blogueur et journaliste indépendant, notamment en tant que contributeur hebdomadaire du blog vietnamien de Radio Free Asia. En décembre 2018, après avoir été informé qu’il risquait d’être à nouveau arrêté, il a remarqué une présence policière renforcée près de son domicile. Il s’est rendu en Thaïlande à la mi-janvier 2019 pour éviter d’être arrêté.

Le 25 janvier, Truong Duy Nhat a « disparu » peu après avoir déposé une demande d’asile au bureau du Haut-Commissariat des Nations unies pour les réfugiés (HCR) à Bangkok. Le 21 mars, il est réapparu sous la garde des autorités vietnamiennes à la prison T-16 de Hanoï. Selon des responsables de l’administration pénitentiaire qui auraient parlé à des membres de sa famille, il a été incarcéré dans cet établissement le 28 janvier 2019. Le 25 mars, les autorités vietnamiennes ont annoncé que Truong Duy Nhat faisait l’objet d’une enquête. Il a été inculpé de corruption le 10 juin.

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