Intitulé They are always watching, le rapport démontre que le gouvernement de Prayut Chan-O-Cha a intensifié son recours à des lois au champ d’application excessivement large pour engager des poursuites pénales contre des dizaines de dissidents pacifiques depuis l’élection du Premier ministre l’année dernière.
« Par des actes de harcèlement et des poursuites judiciaires contre ses détracteurs sur Internet, le gouvernement thaïlandais a créé un climat de peur destiné à réduire au silence les personnes exprimant des opinions dissidentes », a déclaré Clare Algar, directrice du programme Activités mondiales d’Amnesty International.
« Les attaques du gouvernement contre la liberté d’expression en ligne sont une tentative honteuse d’échapper au regard critique de celles et ceux qui osent le remettre en question. La répression s’accentue et les autorités semblent utiliser la pandémie de COVID-19 comme prétexte pour étouffer davantage la critique et restreindre illégalement les droits humains. »
Amnesty International s’est entretenue avec des défenseur·e·s des droits humains, des militant·e·s, des personnalités politiques, des avocat·e·s et des universitaires dans le cadre du travail sur ce rapport, qui démontre que le gouvernement thaïlandais érige en infraction le droit à la liberté d’expression afin de réduire au silence les opinions considérées comme critiques des autorités.
« Les attaques du gouvernement contre la liberté d’expression en ligne sont une tentative honteuse d’échapper au regard critique de celles et ceux qui osent le remettre en question »
Nombre des personnes prises pour cible en raison de leurs publications attendent actuellement leur procès et encourent jusqu’à cinq ans d’emprisonnement et de lourdes amendes.
Les restrictions ont été renforcées dans le contexte de la pandémie de COVID-19, et Prayut Chan-O-Cha a déclaré l’état d’urgence le mois dernier, ce qui restreint encore davantage la liberté d’expression et de réunion pacifique.
Répression de la liberté d’expression en ligne
Après cinq ans de régime militaire répressif depuis le coup d’État de 2014, de nombreuses personnes espéraient que les élections de l’année dernière serviraient de catalyseur aux avancées en matière de droits humains.
Cependant, un an après l’élection du Premier ministre Prayut Chan-O-Cha, qui dirigeait également le régime militaire précédent, le gouvernement élu thaïlandais a redoublé d’efforts pour museler la dissidence en ligne.
Des utilisateurs et utilisatrices des réseaux sociaux ont déclaré à Amnesty International avoir été harcelés et intimidés lorsque leurs publications critiques des autorités avaient été très largement reprises.
« Ces attaques systématiques contre des défenseur·e·s des droits humains, des militant·e·s, des journalistes et des personnalités politiques d’opposition réduisent à néant les tentatives de la Thaïlande de se positionner en pays respectueux des droits humains et de l’état de droit »
Le 1er novembre 2019, une militante a été arrêtée et interrogée par 10 policiers à titre de sanction pour ses publications sur Twitter à propos du gouvernement et de la monarchie, dont une avait été partagée 60 000 fois.
Avant de supprimer son compte, l’étudiante avait publié : « Je veux dire à tout le monde de réfléchir avant de publier et de partager. Il y a des gens qui surveillent à chaque instant. »
Elle a été forcée à signer un document prévoyant des poursuites judiciaires si elle publiait des contenus similaires à l’avenir.
« Ces attaques systématiques contre des défenseur·e·s des droits humains, des militant·e·s, des journalistes et des personnalités politiques d’opposition réduisent à néant les tentatives de la Thaïlande de se positionner en pays respectueux des droits humains et de l’état de droit », a déclaré Clare Algar.
Utilisation abusive de la loi
Le gouvernement a recours à une série de lois répressives pour museler les voix dissidentes.
Parmi ces lois figure la Loi sur la cybercriminalité, modifiée en 2016 pour permettre aux autorités de surveiller et de supprimer des contenus en ligne et de poursuivre en justice des personnes pour des atteintes vaguement définies de la loi.
De plus, l’article 116, très vague, du Code pénal thaïlandais prévoit une peine de prison pouvant aller jusqu’à sept ans pour les actes de sédition.
Les articles 326 et 333 du Code pénal érigent en outre en infraction la diffamation, ce qui a pour conséquence pratique de permettre aux autorités d’emprisonner des personnes considérées comme ayant « porté préjudice à la réputation » de représentants des autorités.
Bien que la loi relative aux crimes de lèse-majesté ait été moins utilisée pour poursuivre en justice des personnes perçues comme critiques de la monarchie, le gouvernement a eu recours à d’autres lois à des fins similaires. La Loi sur la cybercriminalité et l’article 116 du Code pénal ont été utilisés pour engager des poursuites pénales contre des personnes dont les publications en ligne ont été considérées comme injurieuses envers la monarchie et les autorités.
Le COVID-19 pourrait être utilisé comme prétexte pour renforcer la répression des « fausses informations »
Dans le cadre d’un travail concerté en vue de contrôler les débats sur les réseaux sociaux, des centres de lutte contre les fausses informations, gérés par le gouvernement, ont été lancés en novembre 2019 pour surveiller les contenus en ligne supposément susceptibles d’induire en erreur. Cependant, le gouvernement n’a pas fait appel à des tierces parties crédibles et indépendantes pour vérifier les informations de contenus en ligne considérés comme relayant de « fausses informations ».
Alors que des allégations de « discours de haine » et des campagnes de désinformation contre des militant·e·s des droits humains ont été ignorées, les autorités n’ont pas hésité à avoir recours à des lois répressives déjà en vigueur en vue de censurer de « fausses » informations liées au COVID-19.
Le 26 mars 2020, le gouvernement a invoqué le décret de 2005 relatif à l’administration publique sous l’état d’urgence. Au titre de l’article 9 de ce décret, les représentants de l’État ont le pouvoir de censurer ou de modifier les informations qu’ils considèrent comme étant fausses ou déformées et susceptibles de semer la peur ou la confusion parmi la population. Cela peut s’accompagner d’une peine de prison pouvant atteindre deux ans.
« Les autorités thaïlandaises doivent cesser d’avoir recours au droit pénal contre les personnes les critiquant pacifiquement et doivent empêcher toute nouvelle restriction de la liberté d’expression déguisée en réponse à la pandémie de COVID-19 », a déclaré Clare Algar.
« Toutes les personnes arrêtées pour avoir simplement exprimé leurs opinions doivent être libérées immédiatement et sans condition et les charges engagées contre elles doivent être abandonnées. En attendant que cela soit fait, la communauté internationale doit faire clairement savoir aux autorités thaïlandaises que des violations des droits humains aussi flagrantes ne seront pas tolérées. »