Thaïlande : Il faut lever les restrictions des droits humains qui étouffent le dialogue durant cette période de transition

Amnesty International demande au gouvernement thaïlandais de lever immédiatement les restrictions arbitraires imposées aux droits à la liberté d’expression, de réunion pacifique et d’association et de retirer aux autorités militaires le pouvoir de faire appliquer ces restrictions au moyen d’arrestations arbitraires, de détentions et de poursuites. En muselant la liberté d’expression et d’autres droits civils et politiques, les autorités thaïlandaises vont à l’encontre de leurs obligations découlant du droit international et menacent de compromettre la transition planifiée vers un régime civil.

Trois ans et demi après le coup d’État qui a installé au pouvoir un régime militaire en Thaïlande, l’exercice pacifique des droits humains demeure affaibli par des restrictions étendues et arbitraires. S’adressant à des journalistes le 31 octobre, le Premier ministre Prayut Chan-o-Cha a refusé de fournir un calendrier concernant la levée de ces restrictions, et a déclaré : « Je vous demande de me faire confiance. Je suis tout à fait conscient de ce problème. Mais imaginez si tout explose ! Et vous pouvez voir qu’aujourd’hui, la situation n’est toujours pas réglée. De nombreuses personnes continuent de proférer des propos diffamatoires envers d’autres. » Sa déclaration a fait écho à celles d’autres hauts responsables du gouvernement qui refusent de préciser quand seront levées les restrictions.

À la suite de l’adoption d’une loi organique régissant les partis politiques le 8 octobre et de la clôture des funérailles royales pour feu le roi de Thaïlande Bhumibol Adulyadej fin octobre, de nombreux leaders politiques ont demandé la levée des restrictions formulées en termes vagues portant sur les activités politiques. La loi organique impose aux partis politiques des dates limites strictes pour enregistrer leurs membres et mettre en place des structures en amont des élections prévues en novembre 2018.

Le 20 mai 2014, Prayut Chan-o-Cha – alors commandant en chef de l’armée royale thaïlandaise – a décrété la loi martiale au niveau national. Deux jours plus tard, Prayut Chan-o-Cha et des officiers de l’armée ont organisé un coup d’État et établi le Conseil National pour la Paix et l’Ordre (CNPO), organisme militaire qui continue de gouverner la Thaïlande. Aux termes de la loi martiale, l’armée a le pouvoir de détenir les civils violant les ordres militaires pendant une période allant jusqu’à sept jours sans approbation ni garanties judiciaires. Agissant sur la base de l’autorité que lui confère la loi martiale, le CNPO a rapidement promulgué des restrictions de grande envergure de divers droits humains, notamment l’interdiction des « rassemblements politiques » de cinq personnes ou plus. Ces mesures sont utilisées, entre autres, pour arrêter et poursuivre des militants étudiants et des manifestants pacifiques. Le CNPO a également adopté des décrets de grande portée conférant aux militaires des pouvoirs accrus en matière d’application des lois et aux tribunaux militaires la compétence pour les affaires impliquant des civils. Les dirigeants du CNPO ont parlé de mesures provisoires nécessaires pour rétablir la stabilité dans le pays.

Le 1er avril 2015, le CNPO a révoqué la loi martiale. Toutefois, Prayut Chan-o-Cha, s’appuyant sur le pouvoir de gouverner par décret que lui confère l’article 44 de la Constitution provisoire rédigée par la junte, a immédiatement émis l’ordonnance n° 3/2015 du CNPO, qui reprenait plusieurs des dispositions les plus strictes de la loi martiale. En particulier, elle maintenait l’interdiction des rassemblements politiques de cinq personnes ou plus, prévoyant pour tout contrevenant une peine maximale de six mois de prison et une amende de 20 000 Baths thaïlandais (environ 516 euros). Elle autorisait les militaires à continuer d’exercer des pouvoirs en matière d’application des lois sur des questions concernant la monarchie, la sécurité de l’État, les infractions à la législation sur les armes et les violations des décrets du CNPO. En mars 2016, le décret n° 13/2016 du CNPO a encore étendu ces pouvoirs pour couvrir l’application des lois à 27 catégories de crimes, dont le trafic d’êtres humains, le travail du sexe, les infractions à la législation sur l’immigration, les impôts, le travail, les véhicules à moteur et les stupéfiants, ainsi que les menaces à l’ordre public. Ces mesures, toujours en vigueur, servent à arrêter et détenir des militants, des journalistes, des responsables politiques et des personnes exprimant pacifiquement leurs opinions dans les rues, à la télévision, dans la presse et sur Internet.

Publiée en septembre 2016, l’ordonnance n° 55/2016 du CNPO a supprimé la compétence des tribunaux militaires pour les affaires impliquant des civils. Cependant, comme elle n’était pas rétroactive, des centaines de civils continuent d’être jugés devant des tribunaux militaires en lien avec les événements qui se sont déroulés auparavant.

Par ailleurs, le CNPO utilise ses pouvoirs étendus pour censurer les médias et museler la liberté d’expression. Au lendemain du coup d’État, il a provisoirement fermé des chaînes de télévision et a diffusé des annonces exposant les restrictions totales de certains contenus dans la presse, à la radio et à la télévision, et sur les réseaux sociaux. Entre autres formes d’expression, étaient proscrits le partage d’opinions critiques envers la junte et la monarchie, ainsi que la diffusion d’informations susceptibles de causer des « troubles », de la « confusion » ou de la « désinformation ». Le CNPO a publié en juillet 2016 l’ordonnance n° 41/2016, autorisant la Commission nationale de la diffusion et des télécommunications (NBTC) à interdire les médias qui diffusent du contenu bafouant les décrets du CNPO ou menaçant la sécurité nationale. En outre, la responsabilité de la Commission n’est pas engagée lorsqu’elle exerce son autorité au titre de cette ordonnance. Ainsi, les organes de presse qui publient des informations considérées comme critiques envers le régime militaire ou la monarchie peuvent être interdits provisoirement. Les licences de certains diffuseurs – notamment Voice TV et Peace TV – ont été suspendues jusqu’à 30 jours et des programmes d’information spécifiques ont été retirés de l’antenne, pour avoir abordé des préoccupations liées aux droits humains et des sujets sensibles.

Les autorités thaïlandaises restreignent de manière arbitraire la liberté d’expression, de réunion pacifique et d’association, notamment en prenant pour cible des personnes considérées comme des opposants à la junte militaire. Des militants politiques, des journalistes, des défenseurs des droits humains notamment sont arrêtés et poursuivis en justice au titre des décrets restrictifs du CNPO pour avoir exercé pacifiquement ces droits.

Le CNPO met en œuvre des restrictions vagues portant sur les « activités politiques » des personnes libérées de détention arbitraire, en particulier celles détenues par les autorités militaires pendant une durée pouvant aller jusqu’à sept jours, dans le cadre de séances de « rectification des comportements ». Au titre de l’annonce 39/2014 et de l’ordonnance n° 3/2015 du CNPO, afin d’obtenir leur libération, les détenus sont contraints de signer des accords stipulant qu’ils ne participeront pas à des activités politiques. S’ils enfreignent ces accords, ils sont passibles d’une peine pouvant aller jusqu’à deux ans de prison et d’une amende allant jusqu’à 40 000 Baths thaïlandais (environ 1 000 euros).

Les violations de ces accords de libération englobent un large éventail d’actes pacifiques, notamment la critique des membres du gouvernement, et des citoyens ont été inculpés à ce titre. Les personnes libérées après une détention arbitraire n’ont pas le droit de se rendre à l’étranger.

En imposant ces restrictions depuis le coup d’État militaire de 2014, le CNPO viole les obligations qui incombent à la Thaïlande de respecter, protéger et réaliser les droits à la liberté d’expression, de réunion et d’association. Ces mesures ne respectent pas les principes de légalité, de nécessité et de proportionnalité inscrits dans le droit international. En outre, les pouvoirs étendus accordés aux autorités militaires facilitent les arrestations et détentions arbitraires, et exposent les citoyens à la torture, aux mauvais traitements et à d’autres violations de leurs droits fondamentaux. La compétence des tribunaux militaires sur les civils bafoue leur droit à un procès équitable.

Le gouvernement thaïlandais doit immédiatement abroger les ordonnances et les décrets qui limitent illégalement l’exercice des droits humains. Les citoyens thaïlandais doivent jouir de ces droits – notamment des droits à la liberté d’expression, de réunion pacifique et d’association – pour pouvoir participer aux processus politiques et contribuer aux débats sur des questions d’intérêt public majeur. De tels échanges ne peuvent avoir de sens que s’ils sont menés dans un climat serein, où les droits à la liberté d’expression, de réunion pacifique et d’association sont pleinement respectés et protégés.

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