THAÏLANDE - La population locale prise au piège en raison de l’escalade de la violence dans le sud du pays

Index AI : ASA 39/002/2006

Les habitants de l’extrême sud de la Thaïlande se retrouvent pris en étau entre, d’un côté les fusillades en pleine rue et les attentats perpétrés au quotidien par des membres présumés de groupes armés musulmans et de l’autre, les contre-mesures brutales ou inadaptées prises par les forces de sécurité, a déclaré Amnesty International ce mercredi 4 janvier.

À l’occasion du second anniversaire d’un raid rebelle sur une base de l’armée qui avait marqué un regain de violence, l’organisation publie un rapport dans lequel elle demande instamment aux autorités thaïlandaises d’adopter une approche cohérente en matière de justice ; dans le même temps, Amnesty International lance un appel à tous les groupes armés pour qu’ils mettent immédiatement fin aux attaques menées sans discrimination contre des civils.

Intitulé Thailand - “If you want peace, work for justice” (AI Index : ASA 39/001/2006), ce rapport est disponible en attaché ou téléchargeable à l’adresse :
http://www.amnestyinternational.be/doc/IMG/pdf/thailandreport20060104.pdf

Depuis janvier 2004, plus d’un millier de personnes sont décédées dans l’extrême sud de la Thaïlande où bouddhistes et musulmans vivent côte à côte. Des personnes de tous âges et de toutes professions ont été la cible des rebelles - enseignants, ouvriers des plantations de caoutchouc, moines bouddhistes ou musulmans considérés comme ayant collaboré avec les autorités. La violence affecte maintenant presque tous les secteurs de la vie locale et concerne aussi bien les musulmans que les bouddhistes, avec des conséquences au niveau des emplois, des déplacements, des activités commerciales et de l’enseignement.

Les autorités thaïlandaises ont réagi par des détentions arbitraires, des actes de torture et un recours excessif à la force meurtrière. Les agressions visant des civils bouddhistes ou musulmans n’ont pas fait l’objet d’enquêtes appropriées. De jeunes musulmans ont été placés « sur liste noire » et présumés coupables sans qu’aucune raison ne soit donnée. Les détenus se voient le plus souvent refuser le droit de consulter un avocat ou d’avoir un interprète. Un nombre indéterminé de personnes ont « disparu » et les défenseurs des droits humains qui tentent de rassembler des informations sur ce type de dossiers sont fréquemment confrontés à des menaces de mort anonymes ou d’autres formes d’intimidation.

Un jeune militant de défense des droits humains musulman a déclaré : « Bien qu’étant étudiant à l’université, je subis des atteintes à mes droits - qu’en est-il des villageois ? Ils souffrent davantage... Les villageois perdent sans cesse - ils connaissent le deuil, la perte, la souffrance. Si l’on veut la paix, il faut donner la priorité à la justice et à l’humanité. »

« La population locale dans les villages a le sentiment d’être de moins en moins à l’abri des violences, selon Amnesty International. Il est clair que le gouvernement thaïlandais doit faire face à un grand défi avec le problème de la violence, mais il a des responsabilités vis-à-vis de ses citoyens et doit veiller à ce que justice soit faite. »

Un groupe venant d’un petit village bouddhiste de vingt-quatre familles a expliqué que sept villageois avaient été abattus depuis février 2004.Ils ne se déplaçaient plus qu’en groupes et n’osaient pas envoyer leurs enfants à l’école. Ils n’allaient plus travailler dans les plantations de caoutchouc depuis deux mois par peur des attaques. L’un d’entre eux a posé la question : « Le gouvernement peut-il nous aider à trouver un travail ? Notre vie n’a plus de sens... Il n’y a plus de sécurité nulle part. Nous n’attendons plus que la mort qui nous rende visite. »

Les villageois ont également déclaré que les autorités n’avaient pas mené de véritable enquête sur les homicides perpétrés. L’absence d’enquête réelle contribue au sentiment aigu de vulnérabilité ressenti par la population locale, bouddhiste ou musulmane.

« Les autorités thaïlandaises doivent enquêter sur toute allégation de violation des droits humains, qu’il s’agisse d’attaques de civils par des groupes armés ou de violations commises par les forces de sécurité, a déclaré Amnesty International. Les personnes soupçonnées d’être responsables de ces actes doivent être traduites en justice. Les lois actuelles qui accordent une impunité totale aux forces de sécurité doivent être modifiées pour permettre des poursuites.

« Les dirigeants de groupes armés doivent donner pour instruction à leurs subordonnés de ne s’en prendre ni aux personnes ni aux biens civils, quelles que soient les circonstances et condamner publiquement ce type d’attaques. »

Complément d’information

Le Sultanat de Pattani, qui comprenait outre le Pattani actuel, les provinces de Narathiwat et Yala ainsi qu’une partie de la province de Songkia, a été annexé au début du vingtième siècle par le gouvernement royal thaïlandais. Environ 80 p. cent des habitants de la région sont musulmans et malais de souche et parlent le dialecte bahasa.

Pratiquement depuis le début de l’annexion, des groupes armés appelant à l’indépendance opèrent dans la région. Les actions des groupes armés musulmans d’opposition ont varié en intensité au cours des cent dernières années, mais elles ont augmenté de façon très importante au début du vingt-et-unième siècle.

Le 4 janvier 2004, un groupe armé non identifié a attaqué une base de l’armée royale thaïlandaise dans le district de Cho Airong, dans la province de Narathiwat. Quatre soldats ont été tués et environ 400 armes ont été volées ; dans le même temps, vingt écoles ont brûlé dans ce qui est apparu comme une opération cordonnée.

Depuis le regain de violence de 2004, les groupes armés à l’origine de ces attaques ne les revendiquent pas, aucune exigence politique n’est formulée. Il ne semble pas non plus y avoir de volonté quelconque d’engager des pourparlers avec le gouvernement De plus, aucun groupe n’a jusqu’à présent revendiqué la responsabilité d’attaques individuelles.

Le 12 mars 2004, Somechai Neelapaijit, avocat musulman de renom qui représentait certaines des personnes arrêtées en relation avec les violences et avait lancé une campagne en faveur de la levée de la loi martiale dans le sud du pays, a « disparu » à Bangkok. Son sort n’est toujours pas connu et Amnesty International est préoccupée par l’absence de progrès au niveau de l’enquête. Sa « disparition » a eu un profond effet sur l’action d’autres défenseurs des droits humains ayant participé à la campagne dans le sud du pays. Ils ont le sentiment de n’avoir aucun recours face aux menaces auxquelles ils sont confrontés.

En réaction aux violences, le gouvernement a promu en juillet 2005 un décret d’urgence qui autorise la détention de toute personne, sans inculpation ni jugement, pendant une période pouvant aller jusqu’à trente jours et protège de toutes poursuites les agents responsables de l’application des lois en leur accordant une immunité légale. En vertu de ce décret, l’état d’urgence a été prolongé de trois mois et restera en vigueur jusqu’au 19 janvier 2006 dans les trois provinces les plus méridionales du pays.

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