Thaïlande. Le nouveau gouvernement doit veiller à ce que la justice soit rendue dans l’affaire Tak Bai

Déclaration conjointe d’Amnesty International et Human Rights Watch

Déclaration publique

ASA 39/015/2006

(Londres) – En ce deuxième anniversaire de la mort de plus de 80 manifestants musulmans à l’issue de manifestations antigouvernementales à Tak Bai, Human Rights Watch et Amnesty International ont appelé le nouveau gouvernement thaïlandais à faire en sorte que les responsables des morts et des blessures recensées pendant et après un affrontement avec les forces de sécurité thaïlandaises soient tenus de rendre des comptes.

Human Rights Watch et Amnesty International ont également exprimé leur vive inquiétude au sujet de l’homicide dont a été victime la semaine dernière dans le sud de la Thaïlande un défenseur musulman des droits humains qui était étroitement lié à la campagne menée pour que la justice soit rendue aux victimes de Tak Bai.

Le 25 octobre 2004, des membres de différentes unités des forces de sécurité avaient été mobilisés pour disperser des manifestants musulmans qui se trouvaient devant un poste de police dans le district de Tak Bai (province de Narathiwat). Sept manifestants ont été abattus sur les lieux tandis que 78 autres sont morts asphyxiés ou écrasés lors de leur transport vers des centres de détention. Quelque 1 200 personnes ont été détenues par l’armée pendant plusieurs jours sans aucune assistance médicale. De ce fait, de nombreux manifestants ont souffert de blessures mal soignées et ont dû être amputés.

Aucun membre des forces de sécurité n’a jamais eu à rendre de comptes pour les événements de Tak Bai, mais 58 manifestants musulmans ont été inculpés d’infractions pénales présumées.

« Malgré la présence de preuves accablantes, le gouvernement de Thaksin Shinawatra a refusé d’engager des poursuites contre les responsables des morts et des blessures de Tak Bai et d’indemniser convenablement les victimes, a déclaré Brad Adams, directeur du programme Asie de Human Rights Watch. S’attaquer à ce qui s’est passé à Tak Bai serait un bon moyen pour le nouveau gouvernement de la Thaïlande de montrer qu’il fait du rétablissement de la justice dans le sud une priorité. »

Le comité chargé par le médiateur parlementaire Pichet Soontornpiphit d’établir les faits a conclu le 17 décembre 2004 que les méthodes utilisées contre les manifestants – en particulier l’utilisation d’armes à feu et de balles réelles et le recours à des appelés et des rangers de l’armée sans expérience en matière de dispersion de manifestants – étaient inadaptées et contraires aux lignes directrices et pratiques établies dans ce domaine à l’échelle internationale. Le comité a également conclu que les officiers qui assuraient le commandement avaient failli à leur devoir de superviser le transport des manifestants jusqu’aux lieux de détention en abandonnant cette tâche à des subalternes inexpérimentés. Le commandant de la 4e région militaire, le sous-commandant de la 4e région militaire et le commandant de la 5e division d’infanterie ont été plus particulièrement identifiés comme ayant failli à la responsabilité qu’ils avaient de superviser la mission qu’ils avaient confiée à des subalternes.

Les autorités thaïlandaises ont accordé une compensation financière à certaines des victimes de Tak Bai et à leur famille, mais Human Rights Watch et Amnesty International considèrent qu’une compensation ne suffit pas.

« Donner de l’argent à certaines des victimes ne dégage pas les autorités thaïlandaises de leur responsabilité en ce qui concerne les poursuites à engager contre les responsables des homicides illégaux qui ont eu lieu à Tak Bai et des décès provoqués par les conditions effroyables de transport auxquelles ont été soumis les manifestants arrêtés, a déclaré Natalie Hill, directrice adjointe du programme Asie-Pacifique d’Amnesty International. Le Bureau du procureur général devrait désormais annoncer qu’il engagera des poursuites contre le personnel des forces de sécurité responsable des décès et des blessures pendant et après la manifestation. »

La nécessité de rétablir de toute urgence la justice dans le sud du pays a été mise en évidence par l’homicide dont a été victime un défenseur musulman des droits humains participant activement à la campagne juridique menée auprès des autorités thaïlandaises pour obtenir justice pour les victimes de Tak Bai. Le 20 octobre 2006, dans le district de Tak Bai, Muhammad Dunai Tanyeeno, un chef de village âgé de quarante ans, a été abattu près de son domicile à Mu 1 Jaroh, dans le sous-district de Paiwan. Muhammad Dunai aurait été tué après avoir essayé d’amener certaines des victimes de l’assaut de Tak Bai et leur famille à rencontrer le nouveau commandant de la 4e région militaire. Human Rights Watch et Amnesty International sont très préoccupées par cet homicide récent et demandent aux autorités d’ouvrir sans délai une enquête impartiale, indépendante et efficace sur ces faits.

Le meurtre de Muhammad Dunai Tanyeeno risque d’entamer le peu de confiance qu’a encore la population musulmane des provinces du sud en la justice du pays.

Les violations des droits humains qui ne cessent d’être commises dans un climat d’impunité persistant ne font qu’éloigner la perspective d’une réconciliation, alors même que les atteintes aux droits humains perpétrées par les groupes armés augmentent elles aussi. Au cours des deux dernières années, les groupes armés se sont rendus coupables d’attentats à l’explosif, de fusillades et de décapitations qui ont fait des centaines de victimes parmi les représentants du gouvernement et les civils. Parallèlement, le ressentiment à l’égard des autorités serait en train d’accroître le soutien aux groupes armés. Amnesty International et Human Rights Watch exhortent les groupes politiques armés à mettre immédiatement fin aux attaques contre les civils et aux autres violences.

Plusieurs personnes dans le sud du pays ainsi que des observateurs thaïlandais et étrangers ont indiqué aux autorités thaïlandaises qu’un des éléments clés qui permettraient de rétablir un climat de confiance dans les provinces du sud du pays serait de s’engager fermement à demander des comptes aux agents de l’État responsables d’abus. Pourtant, les personnes soupçonnées de s’être rendues coupables de violations des droits humains lors des événements de Tak Bai n’ont toujours pas eu à s’expliquer devant la justice.

À cet égard, Human Rights Watch et Amnesty International ont lancé un appel en faveur de l’abrogation du décret établissant l’État d’urgence qui a été pris par le Premier ministre Thaksin Shinawatra en juillet 2005 et renouvelé le 18 octobre 2006. L’article 17 exempte de poursuites, au pénal et au civil, et de mesures disciplinaires les représentants de l’État agissant dans le cadre du décret. Il incombe au plaignant de prouver que les représentants de l’État incriminés n’ont pas agi de bonne foi et se sont comportés de manière discriminatoire et irraisonnable.

Dans son discours d’investiture le nouveau Premier ministre, le général Surayud Chulanont, avait souligné que les problèmes rencontrés dans les provinces méridionales trouvaient leurs racines dans l’absence de justice.

« Nous nous félicitons de la reconnaissance de ce problème par l’équipe au pouvoir, a déclaré Natalie Hill. Il faut maintenant que le gouvernement par intérim et les autorités militaires prennent des mesures concrètes pour mettre fin à l’impunité dans le sud de la Thaïlande. »

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