Thaïlande : Les autorités ne doivent pas renvoyer de force les Rohingyas

Alors que la crise des réfugiés qui connaît le développement le plus rapide au niveau mondial est aux portes de la Thaïlande, le pays doit prendre des mesures concrètes pour enfin offrir une protection aux personnes qui en ont le plus besoin, a déclaré Amnesty International le 28 septembre à l’occasion du lancement du rapport révélant des trous béants dans les politiques du pays en matière de réfugiés.

Le rapport intitulé Between a Rock and a Hard Place met en lumière un certain nombre de manquements dans les politiques et les pratiques du gouvernement thaïlandais, qui ont des conséquences dévastatrices tant pour les réfugiés à l’intérieur du pays que pour ceux qui viennent en quête de sécurité. La Thaïlande utilise notamment depuis longtemps sa marine pour repousser des bateaux transportant des milliers de réfugiés rohingyas et bangladais désespérés, et le pays renvoie également de force des réfugiés et des demandeurs d’asile vers des pays où ils risquent d’être victimes d’actes de torture et d’autres graves violations des droits humains.

« Alors que les Rohingyas sont victimes d’un nettoyage ethnique les forçant à fuir le Myanmar, la Thaïlande doit de toute urgence montrer l’exemple en adoptant des politiques humaines en matière de réfugiés. Au lieu de repousser sans pitié les personnes fuyant des horreurs inimaginables, le gouvernement thaïlandais doit permettre aux personnes qui cherchent une protection internationale en Thaïlande d’accéder au territoire », a déclaré Audrey Gaughran, directrice générale chargée des recherches à Amnesty International.

« La Thaïlande accueille l’une des plus grandes populations de réfugiés dans la région, mais ses politiques ad hoc sans vision à long terme ne permettent pas de leur offrir une protection adaptée. Les autorités ne peuvent pas continuer d’esquiver les crises des réfugiés les unes après les autres et doivent au lieu de cela mettre en place un système permettant d’offrir à ces hommes, ces femmes et ces enfants qui sont en danger la sécurité dont ils ont besoin. »

L’exode des Rohingyas

En 2015, au plus fort de la crise des « boat people » en Asie du Sud-Est, la marine thaïlandaise avait refusé de laisser des bateaux transportant des milliers de réfugiés rohingyas désespérés accéder au territoire, continuant ainsi d’appliquer une politique de renvois forcés mise en place par les gouvernements thaïlandais précédents.

Les personnes n’ayant pas pu accéder au territoire thaïlandais ont été obligées de continuer leur dangereux voyage vers l’Indonésie ou la Malaisie. Le HCR a estimé que 370 personnes étaient mortes en mer pendant la crise, mais Amnesty International a indiqué craindre que ce nombre soit largement supérieur.

Au cours du mois dernier, la situation des Rohingyas s’est aggravée et a pris des proportions dramatiques, avec une campagne féroce de nettoyage ethnique visant la population de l’ouest du Myanmar et poussant plus de 400 000 réfugiés à fuir le pays.

Malgré cet exode, les autorités thaïlandaises ont envoyé des messages contradictoires quant à leur politique en ce qui concerne les Rohingyas. Il y a un mois, le Premier ministre Prayut Chan-O-Cha a déclaré que les autorités se « préparaient à recevoir » les Rohingyas fuyant le Myanmar. Plus récemment, un officier de l’armée thaïlandaise a indiqué que la marine repousserait les bateaux transportant des réfugiés rohingyas s’ils pénétraient dans les eaux territoriales thaïlandaises.

Renvoi forcé de réfugiés vers des pays où ils sont persécutés

Ces trois dernières années, le gouvernement thaïlandais a cédé à la pression de gouvernements étrangers et a renvoyé de force des personnes vers des pays où leur vie est gravement menacée.

Ces renvois bafouent le principe de non-refoulement, qui interdit formellement de renvoyer des personnes vers des pays où elles risquent d’être persécutées ou d’être victimes d’autres violations des droits humains.

Amnesty International a étudié quatre cas de renvois forcés concernant plus de 100 personnes de Chine, de Turquie et de Bahreïn. Nombre de ces personnes ont par la suite été soumises à des arrestations arbitraires, à des actes de torture ou à d’autres formes de mauvais traitements. On ignore le statut et le sort réservé à certaines des personnes qui ont été renvoyées.

Le dernier cas a été constaté en mai 2017, lorsque la Thaïlande a contribué à l’extradition du ressortissant turc Muhammet Furkan Sökmen du Myanmar vers la Turquie. Muhammet Furkan Sökmen a été placé en détention par des agents de l’immigration thaïlandais dans un aéroport de Bangkok pendant environ 24 heures avant d’être remis aux autorités turques. Des agents de l’immigration thaïlandais ont contribué à l’extradition de Muhammet Furkan Sökmen en dépit des avertissements des Nations unies indiquant qu’il risquait d’être victime de violations des droits humains dans son pays d’origine, où les autorités ont lancé une répression à grande échelle après une tentative de coup d’État en juillet 2016.

Muhammet Furkan Sökmen a été arrêté et placé en détention lorsqu’il est arrivé à Istanbul, en raison de ses liens présumés avec des détracteurs du gouvernement turc. On ignore l’état d’avancement des poursuites pénales engagées contre lui

La Thaïlande s’était attiré les foudres de la communauté internationale pour des faits similaires en 2015, lorsque les autorités avaient renvoyé 109 demandeurs d’asile de la minorité ouïghoure en Chine, où le groupe est victime de persécutions depuis des années.

« La Thaïlande manifeste un intérêt de pure forme pour la protection des réfugiés, sans que cela ne se soit traduit par des actions concrètes. Les autorités continuent d’accéder aux requêtes des gouvernements étrangers et de renvoyer des réfugiés dans des pays où ils risquent d’être victimes d’actes de torture et d’autres mauvais traitements. Ces actions impitoyables sont contraires aux obligations internationales de la Thaïlande et doivent cesser immédiatement », a déclaré Audrey Gaughran.

Les réfugiés pris au piège d’un vide juridique

En raison de trous béants dans le cadre législatif thaïlandais, les réfugiés et demandeurs d’asile se retrouvent sans statut juridique et sont donc exposés à des atteintes. C’est particulièrement le cas pour les plus de 7 000 demandeurs d’asile qui vivent actuellement dans des zones urbaines.

Les réfugiés et demandeurs d’asile dans les zones urbaines, y compris les personnes enregistrées auprès du Haut-Commissariat des Nations unies pour les réfugiés (HCR), peuvent être arrêtés à tout moment au titre de la Loi de 1979 relative à l’immigration, qui érige en infraction l’entrée et le séjour irréguliers sur le territoire thaïlandais. Après avoir été arrêtés, la plupart des réfugiés et demandeurs d’asile sont transférés vers des centres de détention pour migrants où ils peuvent être maintenus en détention indéfiniment dans des conditions déplorables décrites par des défenseurs des droits des réfugiés comme « pires que la prison ». D’anciens détenus ont indiqué avoir été souvent soumis à des violences aux mains des gardiens ou d’autres détenus, et ont déclaré que les cellules étaient tellement surpeuplées qu’ils devaient dormir à tour de rôle.

Craignant en permanence d’être arrêtés et placés en détention, les réfugiés et demandeurs d’asile vivent souvent dans des conditions épouvantables, enfermés chez eux et sans interactions sociales. De nombreuses personnes luttent pour trouver un emploi, pour avoir accès à des soins médicaux ou même pour se nourrir ou nourrir leur famille.

Nombre de ces personnes décident de renoncer à leur demande d’asile et de retourner dans leur pays d’origine plutôt que faire face aux difficultés insupportables auxquelles elles sont confrontées en Thaïlande. C’est ce que l’on appelle le « départ provoqué ».

« Joseph », un militant des droits humains pakistanais chrétien, a fui son pays pour se rendre en Thaïlande avec sa famille, car ils étaient menacés en raison de leur religion et du travail de Joseph. La belle-sœur de Joseph, qui s’était échappée après avoir été enlevée, forcée à se convertir à l’islam et mariée de force à un homme musulman, les a rejoints en Thaïlande.

En 2016, deux ans après leur arrivée en Thaïlande, ils ont renoncé à leur demande d’asile et sont retournés au Pakistan car leur vie en Thaïlande était insupportable. Joseph a déclaré à Amnesty International : « Nous n’avions pas d’argent. Nous n’avions rien à manger à ce moment-là... Nous avions faim et nous essayions de nous cacher de la police. Nous étions privés de nourriture pendant quatre à cinq jours. »

La belle-sœur de Joseph, qui avait été arrêtée à Bangkok six mois avant, a également choisi de retourner au Pakistan plutôt que rester dans un centre de détention pour migrants. Lorsqu’il est revenu au Pakistan, la maison de Joseph a été brûlée et son père est mort dans l’incendie. Sa belle-sœur a de nouveau été enlevée et renvoyée chez l’homme à qui elle avait été mariée de force.

Prochaines étapes

Ces dernières années, le gouvernement militaire de Thaïlande s’est engagé à améliorer le traitement des réfugiés et des demandeurs d’asile. Les autorités thaïlandaises ont réaffirmé leur engagement à respecter le principe de non-refoulement et ont déclaré qu’elles ne renverraient pas des réfugiés et des demandeurs d’asile dans des pays où ils risquent d’être victimes de graves violations des droits humains.

La Thaïlande s’est également engagée à mettre en place une procédure de tri entre les réfugiés et les autres migrants sans papiers prévoyant des dispositions relatives au principe de non-refoulement. Si ces mesures sont mises en œuvre conformément aux normes internationales, elles pourraient représenter de réelles avancées pour la protection des droits des réfugiés et des demandeurs d’asile en Thaïlande.

« Le gouvernement thaïlandais pourrait être félicité pour son accueil de centaines de milliers de réfugiés pendant plusieurs décennies, mais ses récentes actions ont trop souvent témoigné d’un mépris flagrant pour les droits des hommes, des femmes et des enfants qui ont désespérément besoin de protection », a déclaré Audrey Gaughran.

« Le gouvernement thaïlandais doit passer des mots à l’action. Au lieu de céder aux demandes de gouvernements étrangers de renvoyer les personnes fuyant les persécutions et la violence, les autorités doivent veiller à ce que les droits des réfugiés soient protégés par le droit thaïlandais. »

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