Le parti Future Forward risque d’être condamné à la dissolution le 21 janvier 2020. Cette affaire a été engagée le 18 juin 2019 par une requête déposée auprès de la Cour constitutionnelle par Natthaporn Toprayoon, un ancien conseiller du médiateur en chef. Le président du parti, Thanathorn Juangroongruangkit, son secrétaire général, Piyabutr Saengkanokkul, ainsi que plusieurs cadres du parti sont accusés d’avoir enfreint la section 49 de la Constitution de 2017 par des actes qui auraient été commis dans l’intention de renverser la monarchie constitutionnelle. Natthaporn Toprayoon a également accusé le parti d’entretenir des relations avec les Illuminati, un nom donné à des groupes réels comme fictifs, et a cité comme argument une ressemblance vague entre leurs logos.
Bien que le parti ait demandé une enquête approfondie, la Cour constitutionnelle a conclu qu’elle disposait de suffisamment de preuves pour rendre un jugement dans cette affaire, et elle a refusé de convoquer des témoins et d’examiner des éléments de preuve. Le parti risque d’être condamné à la dissolution si la Cour déclare les accusés coupables, ce qui bafouerait les obligations de la Thaïlande en matière de droits humains, y compris les droits à la liberté d’expression, de réunion pacifique et d’association des membres du parti.
Le parti a également été mis en cause dans le cadre d’un autre procès, après que la Commission électorale a recommandé à la Cour constitutionnelle d’ordonner la dissolution du parti dans un document daté du 11 décembre 2019. Selon ce document, le parti aurait enfreint les sections 62, 66 et 72 de la loi relative aux partis politiques en acceptant plus de 10 millions de bahts en un an ainsi que des fonds provenant de « sources illégitimes ». Les 15 dirigeants du parti risquent une peine d’inéligibilité et d’interdiction de fonder un parti pendant 10 ans, et le parti lui-même risque la dissolution. Amnesty International reste neutre quant à la nature de ces accusations.
Les deux affaires s’inscrivent dans le cadre d’une série de poursuites judiciaires motivées par des considérations politiques engagées contre des cadres et des membres du parti au cours des deux dernières années. Plus récemment, les autorités ont convoqué cinq dirigeants et membres du parti pour l’audition d’accusations liées aux rassemblements express du 14 décembre 2019, qui se sont tenus en réponse à la recommandation de la Commission électorale. Ces personnes sont poursuivies pour plusieurs chefs d’accusation, notamment pour ne pas avoir signalé le rassemblement aux autorités, pour avoir entravé le fonctionnement de la gare, pour avoir utilisé illégalement des haut-parleurs et pour avoir organisé un rassemblement à moins de 150 mètres du palais royal. Parmi ces cinq personnes, trois sont également visées par une plainte déposée par Sonthiya Sawasdee, un député du parti de la majorité Palang Pracharath, pour sédition, au titre de la section 116 du Code pénal. Cette section est très régulièrement utilisée pour faire taire la dissidence pacifique des militant·e·s, des défenseur·e·s des droits humains, des journalistes et des avocat·e·s. Si les membres du parti sont déclarés coupables, ils encourent jusqu’à sept ans d’emprisonnement.
Future Forward, un nouveau parti d’opposition fondé en 2018, a remporté 81 sièges aux élections législatives de mars 2019. Il s’agissait des premières élections législatives depuis le coup d’État de mai 2014 mené par le Premier ministre Prayuth Chan-O-cha. Avant et après le scrutin, les autorités avaient tenté de dissoudre Future Forward et de récuser Thanathorn Juangroongruangkit en tant que député.
Ces attaques incessantes menées contre Future Forward s’inscrivent dans un contexte de harcèlement judiciaire continu depuis la campagne des élections législatives de mars 2019. De l’avis général, la perspective d’une opinion publique plus favorable à l’opposition aurait motivé les tentatives répétées du gouvernement de persécuter les membres de Future Forward ou de simplement dissoudre le parti. Les autorités thaïlandaises ont déjà utilisé le système judiciaire pénal pour cibler des opposants politiques, comme le prouve la dissolution ordonnée pour des motifs politiques du parti Thai Raksa Chart, le 7 mars 2019, et la peine d’inéligibilité de 10 ans prononcée contre ses dirigeants.
Les attaques incessantes contre l’opposition politique doivent être envisagées dans le contexte de la surveillance, de l’intimidation, du harcèlement et des poursuites judiciaires incessants des autorités thaïlandaises à l’encontre des militant·e·s, des défenseur·e·s des droits humains, des journalistes et des personnes privées qui critiquent le gouvernement depuis le coup d’État de mai 2014. Ces actions ont un effet dissuasif, puisqu’elles ont pour conséquence de réduire au silence les opinions dissidentes, de faire craindre à la population d’exercer ses droits humains et de soumettre les personnes privées à la menace de représailles.
Amnesty International appelle les autorités de Thaïlande, État partie à un certain nombre de traités internationaux relatifs aux droits humains, tels que le Pacte international relatif aux droits civils et politiques (PIDCP), à cesser immédiatement leur utilisation abusive du pouvoir judiciaire à l’encontre de dirigeants, membres et autres partisans de l’opposition politique et à abandonner toutes les charges retenues contre des personnes qui exerçaient simplement leurs droits humains d’une manière pacifique. Les autorités doivent s’engager publiquement à garantir à chacun et à chacune la possibilité d’exercer librement ses droits à la liberté d’expression, de réunion pacifique et d’association.
Amnesty International appelle également les membres de la communauté internationale à dénoncer publiquement les violations et les atteintes aux droits humains commises en Thaïlande, à surveiller étroitement la répression continue menée par le gouvernement et à utiliser des voies politiques et diplomatiques pour promouvoir des réformes des droits humains et l’obligation de rendre des comptes pour les violations et atteintes commises.