Déclaration publique
ÉFAI-
4 septembre 2009
La décision prise en fin de semaine dernière par le gouvernement timorais de libérer un chef de milice inculpé de crimes contre l’humanité confirme l’absence de volonté des gouvernements du Timor-Leste et d’Indonésie de poursuivre en justice les auteurs présumés de violations des droits humains commises dans le passé et souligne l’urgence pour le Conseil de sécurité des Nations unies de mettre en place un tribunal pénal international.
Martenus Bere, inculpé en 2003 par le Groupe des infractions graves des Nations unies pour l’extermination de civils dans la ville de Suai ainsi que pour une série d’autres crimes contre l’humanité, notamment des actes de torture, des disparitions forcées, des expulsions et autres persécutions en 1999, a été libéré de la prison de Becora le 30 août, avant même que son dossier ne soit instruit. Il aurait été remis à l’ambassade d’Indonésie à Dili. Amnesty International craint qu’il ne fasse pas l’objet de poursuites et bénéficie bientôt d’une aide pour lui permettre de rentrer en Indonésie, où il sera à l’abri des poursuites.
Sa libération a eu lieu le jour du dixième anniversaire du référendum qui a conduit à l’indépendance de Timor-Leste et alors que s’élèvent de nombreuses voix parmi les victimes et au sein de la société civile pour réclamer que soit mis un terme à l’impunité dont bénéficient les auteurs des graves atteintes aux droits humains qui ont été perpétrées avant et après le référendum et au cours des vingt-quatre années d’occupation indonésienne qui ont précédé le scrutin. Pour toute réponse, les gouvernements du Timor-Leste et de l’Indonésie ont fermement rejeté les appels à la justice.
Le jour de sa libération, des manifestants ont tenu une conférence de presse pacifique à Dili pour condamner la décision du gouvernement. Au cours de cette conférence, trois militants étudiants, Sisto dos Santos, Gaudensio et Helio ont été arrêtés. Les trois étudiants ont été libérés le 2 septembre. Néanmoins, leur arrestation et leur détention de trois jours dans une cellule du poste de police de Caicoli à Dili font craindre que les autorités ne cherchent à étouffer une campagne pacifique menée pour réclamer justice pour les crimes passés.
La décision de libérer le chef de milice Martenus Bere viole les obligations du Timor-Leste de veiller à ce que, conformément au droit international, des enquêtes soient menées sur les violations graves des droits humains et à ce que les personnes soupçonnées de tels crimes soient poursuivies en justice.
La justice pour les crimes passés ne doit pas être sacrifiée à d’autres exigences pressantes, comme le développement économique. Les deux objectifs ne sont pas conflictuels et doivent être poursuivis conjointement dans le cadre du processus de construction de la nation afin que le Timor-Leste se développe en respectant les principes d’un état de droit et rende justice aux victimes tout en empêchant de nouvelles violations des droits humains.
Amnesty International renouvelle ses appels aux gouvernements du Timor-Leste et de l’Indonésie pour qu’ils élaborent des stratégies globales pleinement conformes à leurs obligations au regard du droit pénal international et du droit relatif aux droits humains, qu’ils défèrent à la justice tous les responsables présumés de crimes de droit international commis entre 1975 et 1999 au Timor-Leste et accordent des réparations aux victimes.
En l’absence évidente d’un tel engagement par l’un ou l’autre des gouvernements, il est du devoir du Conseil de sécurité des Nations unies de prendre des mesures immédiatement et d’instituer un tribunal pénal international chargé d’engager des poursuites pour ces crimes.
Complément d’information
Le 30 août 1999, les Timorais ont voté massivement en faveur de l’indépendance. Au moins 1 200 personnes sont décédées dans la période qui a précédé le scrutin et dans les jours qui l’ont suivi, marqués par des crimes contre l’humanité et autres graves atteintes aux droits humains perpétrés par des milices pro-indonésiennes soutenues par l’armée indonésienne. Des homicides illégaux, des disparitions forcées, des actes de violence sexuelle, des arrestations arbitraires, des menaces et actes d’intimidation envers la population timoraise ont eu lieu.
Martenus Bere a été arrêté début août 2009 après avoir traversé la frontière du Timor oriental pour se rendre dans sa famille à Suai, au Timor-Leste. Il est accusé d’avoir été le commandant de la milice Laksaur de la région de Suai, impliquée avec la milice Mahadi dans l’attaque du 6 septembre 1999 contre les bâtiments de l’église Ave Maria de Suai, dans le district de Covalima, au cours de laquelle entre 27 et 200 civils ont été tués. À l’époque, environ 1 500 personnes, parmi lesquelles des femmes et des enfants, s’étaient réfugiées dans les locaux après une série d’attaques dans le district de Covalima. Ce dimanche 6 septembre, les victimes commémoreront le dixième anniversaire de l’attaque.
Martenus Bere fait partie d’un groupe de plus de 300 personnes inculpées au Timor-Leste par le Groupe des infractions graves des Nations unies et qui n’ont toujours pas à ce jour fait l’objet de poursuites devant un tribunal indépendant et impartial, digne de crédibilité. Les autorités indonésiennes ont refusé par le passé de coopérer avec la justice parrainée par les Nations unies au Timor-Leste et extradé leurs ressortissants soupçonnés de crimes contre l’humanité. Avec la clôture du processus parrainé par les Nations unies en 2005, la justice timoraise a abandonné toutes poursuites pour les affaires de 1999.
La libération de Martenus Bere est contraire à l’obligation reconnue par tous les États parties au Statut de Rome de la Cour international de justice qui affirme dans son préambule que « les crimes les plus graves qui touchent l’ensemble de la communauté internationale ne sauraient rester impunis et que leur répression doit être effectivement assurée par des mesures prises dans le cadre national ». Le Timor-Leste a adhéré au Statut de Rome le 6 septembre 2002.
Dans un rapport rendu public à la fin du mois d’août We Cry for Justice, Impunity persists 10 years on in Timor-Leste, Amnesty International appelle le Conseil de sécurité des Nations unies à élaborer une stratégie globale à long terme visant à mettre fin à l’impunité dont bénéficient les auteurs d’atteintes passées aux droits humains au Timor-Leste et, notamment, à mettre en place un tribunal pénal international ayant compétence pour juger toutes les violations graves des droits humains qui se sont produites au moment du référendum sur l’indépendance du Timor-Leste en 1999. Ce tribunal devra pouvoir intervenir et rendre justice dans des affaires représentatives et agir comme un catalyseur pour la justice nationale dans d’autres dossiers, les autorités indonésiennes et timoraises refusant à ce jour de soutenir les poursuites pénales engagées contre des personnes individuelles.