Les modifications apportées au droit du travail au Qatar effleurent à peine la surface et continueront à laisser des travailleurs migrants, notamment ceux qui construisent les stades et les infrastructures pour la Coupe du monde de football, à la merci de patrons qui les exploitent, et à les exposer au danger du travail forcé, écrit Amnesty International dans une nouvelle synthèse rendue publique mardi 13 décembre.
Ce document, intitulé Le nom change, mais le système ne restet-til le même ? La nouvelle loi sur le travail, et les atteintes aux droits des travailleurs migrants, pointe les lacunes des modestes réformes du droit du travail au Qatar dont le gouvernement affirme qu’elles permettront la refonte d’aspects essentiels du système de parrainage. La synthèse indique que le risque de travail forcé et d’autres abus reste élevé pour les travailleurs migrants, notamment ceux qui construisent les stades de la Coupe du monde, les infrastructures de transport et d’autres installations importantes, comme les hôtels.
« Cette nouvelle loi supprime peut-être le mot "parrainage", mais laisse le système de base intact. On peut se réjouir que le Qatar ait admis que ses lois alimentent les abus, mais ces modifications insuffisantes continueront à laisser les travailleurs à la merci de patrons qui les exploitent », a déclaré James Lynch, directeur adjoint du programme Thématiques mondiales à Amnesty International.
« Certains problèmes fondamentaux qui sont à l’origine des violations demeurent. En pratique, les employeurs ont toujours le pouvoir d’empêcher les travailleurs migrants de quitter le pays. En facilitant la confiscation du passeport des travailleurs, la nouvelle loi pourrait même aggraver la situation pour certains employés. Il est tragique que de nombreux travailleurs croient que cette nouvelle loi représente la fin de leurs épreuves.
les employeurs ont toujours le pouvoir d’empêcher les travailleurs migrants de quitter le pays
« La FIFA, ses sponsors et les gouvernements étrangers cherchant à établir des liens commerciaux avec le Qatar ne peuvent ni ne doivent invoquer cette réforme pour affirmer que les problèmes d’atteintes aux droits des travailleurs migrants ont été résolus. Si la réforme s’arrête là, des travailleurs du pays tout entier - ceux qui construisent les stades, les hôtels et les réseaux de transport que chaque joueur et fan de football au Qatar utilisera - seront exposés à un risque grave de violations des droits fondamentaux. »
Une nouvelle loi qui n’aborde pas vraiment les dérives du système
En mars 2017, l’Organisation internationale du travail des Nations unies déterminera si le Qatar en fait suffisamment pour prévenir le travail forcé. La synthèse d’Amnesty International affirme que le nouveau texte entrant en vigueur mardi 13 décembre (la Loi n° 21 sur l’entrée, la sortie et le statut de résident des ressortissants étrangers) ne modifiera pas en profondeur la relation d’exploitation entre employeurs et employés.
Cette nouvelle loi remplace la tristement célèbre loi de 2009 sur le parrainage, largement considérée comme un facteur essentiel des violations dont les travailleurs migrants sont victimes. Trois dispositions font cependant craindre que les travailleurs continuent à risquer d’être exploités, et notamment d’être victimes de travail forcé :
· Ils continuent à devoir obtenir la permission de leur employeur pour changer de travail, sans quoi ils s’exposent à des poursuites pour « fuite » si cela a lieu pendant la durée de leur contrat, qui peut atteindre cinq ans ;
· Ils sont toujours tenus d’obtenir un permis pour sortir du pays, que leur employeur a la possibilité de bloquer. Une commission gouvernementale examinera les recours formés par les travailleurs lorsque leur employeur s’oppose à leur départ ;
· Le refus d’un employeur de restituer le passeport d’un employé, ce qui était illégal jusqu’à présent, est désormais légal en vertu d’un nouveau vide juridique que des employeurs aux pratiques abusives peuvent aisément exploiter.
La nouvelle loi ne fait par ailleurs rien pour changer la situation des milliers de migrants employés de maison auxquels ne s’appliquent pas les principales protections prévues par le droit du travail qatarien.
Amnesty International demande au Qatar de mener une réforme systématique de son droit du travail, qui abolisse sans ambiguïté les permis de sortir, interdise complètement la confiscation des passeports, et supprime l’obligation pour les travailleurs d’obtenir la permission de leur employeur pour changer de travail.
Les responsabilités de la FIFA et du monde du football
Les constructions en rapport avec la Coupe du monde devraient atteindre leur apogée d’ici deux ans, de nombreux chantiers - au moins huit stades, des hôtels, des réseaux de transport et d’autres infrastructures - ayant été lancés.
Le 30 mars 2016, un rapport d’Amnesty International a déterminé que plus de 230 personnes interrogées alors qu’elles travaillaient sur le stade international Khalifa et le complexe sportif Aspire voisin avaient vu leurs droits bafoués par leurs employeurs, certaines ayant notamment été victimes de travail forcé.
Dans le cadre de la vision stratégique innovante de la FIFA, dévoilée par Gianni Infantino en octobre 2016, l’organe de gouvernance du football mondial a affirmé qu’il devait user de son influence afin de lutter contre les risques en matière de droits humains avec la même détermination que lorsqu’il poursuit ses intérêts commerciaux.
« À mi-parcours des préparatifs pour la Coupe du monde de 2022, les autorités qatariennes n’en ont pas assez fait pour lutter contre des problèmes bien connus sur le plan des droits humains. La FIFA ne peut simplement pas continuer à faire preuve d’une telle ambivalence face à la situation des travailleurs au Qatar », a déclaré James Lynch.
« Les violations continueront à ternir la réputation de la FIFA et de sa Coupe du monde à moins qu’elle ne fasse pression en faveur de changements structurels dans les relations entre employeurs et travailleurs migrants.
« Les grands clubs qui s’entraînent et jouent au Qatar, aidant ainsi à faire de ce pays un haut lieu mondial du football d’élite, ne doivent pas non plus détourner le regard. Des géants du football comme le FC Barcelone, qui sera présent à Doha mardi 13 décembre pour un match, devraient faire clairement part à leurs hôtes de leur désir de jouer dans un environnement favorable aux droits humains. Les joueurs et les clubs ne peuvent pas évoluer dans une bulle. »