Anna Neistat , directrice générale chargée des recherches à Amnesty International, explique pourquoi nous devons nous souvenir des personnes derrière les gros titres dans l’année qui vient.
L’injustice, les abus et la liberté ne sont pas des concepts abstraits. Il y a des vies derrière ces mots, perdues et sauvées, vécues dans la dignité ou dans le désespoir ; il y a des larmes et des sourires.
Il y a des noms.
Certains de ces noms font les gros titres autour du monde. Il y en a d’autres que vous n’avez peut-être jamais entendus, mais permettez-moi de faire les présentations. Si nous voulons changer des vies, apprenons à connaître les personnes concernées.
« Le feu de la guerre, le feu de l’exil »
Photo : petites filles dans un camp de réfugiés syriens en Jordanie ©Amnesty (Richard Burton)
Maha est une fillette de huit ans, originaire de Syrie. Après qu’un tir de missile a détruit son domicile, à Alep, et tué ses deux parents, elle a fui en Turquie avec son oncle.
Leur nouvelle « maison », dans la ville turque d’Akçakale, est une coquille de béton - il y a trois murs mais pas de porte, pas de toilettes, pas de lits, et rien pour se laver ni cuisiner. L’eau qu’elle boit provient d’un tuyau, elle doit sa survie à la nourriture recueillie par des réfugiés d’un camp voisin, et souffre d’éruptions cutanées, de diarrhées et de rhumes. Traumatisée, Maha ne parle plus, et elle et son oncle ne bénéficient d’aucun soutien.
Maha fait partie des quelque 3,8 millions de réfugiés ayant fui la Syrie ces trois dernières années. Alors qu’aucune issue au conflit syrien n’est en vue, ce chiffre continue à augmenter.
La communauté internationale réagit de manière pitoyable. Les financements et les engagements en termes de réinstallation restent tout à fait insuffisants, et les voisins de la Syrie endossent de manière disproportionnée la responsabilité de l’accueil des réfugiés. En à peine trois jours, en septembre, la Turquie a vu entrer sur son territoire quelque 130 000 réfugiés - plus que dans l’Union européenne toute entière en trois ans.
Au cours de l’année à venir, nous militerons activement pour que les pays procèdent à la réinstallation d’un plus grand nombre de réfugiés syriens. Et nous exhorterons les États à respecter leurs promesses de financement d’une réponse humanitaire digne de ce nom. Si nous y parvenons, Maha aura un nouveau foyer et sourira peut-être de nouveau un jour.
45 ans à attendre la mort
Iwao Hakamada a 78 ans. Il a passé la majeure partie de sa vie - 45 ans - à attendre d’être exécuté, après qu’un tribunal japonais l’a déclaré coupable de meurtre en 1968. Il a principalement été détenu à l’isolement, et n’était pas autorisé à regarder la télévision ni à parler à d’autres prisonniers. À l’exception des sorties pour se rendre aux toilettes et de quelques rares promenades de courte durée, il devait rester assis dans sa cellule.
Au Japon, les exécutions étant nimbées de secret, et les prisonniers n’étant pas notifiés à l’avance de leur date d’exécution, Iwao a vécu en sachant qu’il était possible que les gardiens viennent le chercher à tout moment, chaque jour pendant 45 ans. Peu après son emprisonnement, il a commencé à présenter des signes de troubles mentaux.
Cette année, grâce à la très forte mobilisation d’Amnesty International et d’autres organisations, Iwao a été libéré. Laissant entendre que les éléments à charge contre lui avaient été falsifiés, le tribunal a annulé sa condamnation à mort et ordonné la tenue d’un nouveau procès.
Rien ne rendra à Iwao les années et la santé que lui a prises le système carcéral japonais. Pour ce qui est de l’avenir, son cas rappelle avec acuité à quel point il est urgent d’abolir la peine de mort dans le monde.
Emprisonnée pour une fausse couche
María Teresa Rivera est une jeune mère célibataire qui travaillait dans une usine de confection au Salvador. Un jour, elle a ressenti une douleur intense et s’est rendue aux toilettes. Sa belle-mère l’a découverte par terre baignant dans son sang et a fait le nécessaire pour qu’elle soit transportée d’urgence à l’hôpital.
L’hôpital l’a dénoncée à la police et la justice a finalement condamné María Teresa, qui ne savait même pas qu’elle était enceinte, à 40 ans d’emprisonnement pour homicide avec circonstances aggravantes. Elle a été déclarée coupable d’avoir délibérément interrompu sa grossesse, sans qu’aucun élément de preuve en ce sens ne soit produit.
La loi salvadorienne sur l’avortement est l’une des plus draconiennes au monde. Les femmes et les jeunes filles n’ont pas le droit d’avorter, même lorsque leur santé et leur vie sont en danger, et même si elles ont été violées, quel que soit leur âge. Désespérées, certaines subissent des avortements clandestins pratiqués dans des conditions dangereuses ; d’autres attentent à leurs jours. Cette interdiction est à l’origine d’un climat de paranoïa si généralisé que des femmes ayant fait une fausse couche ou accouché d’un enfant mort-né sont inculpées et emprisonnées pour meurtre, en particulier des femmes vivant dans la pauvreté.
Des sympathisants d’Amnesty dans plus de 30 pays se sont engagés dans notre action visant à en finir avec l’interdiction totale de l’avortement au Salvador. Nous nous mobilisons par ailleurs en faveur de la libération de María Teresa et de 16 autres femmes dont la demande de grâce est actuellement examinée. Le fils de María Teresa, qui a huit ans, a besoin qu’on lui rende sa mère.
Souvenez-vous de ces noms - Maha, Iwao, María Teresa.
Raconter ce qu’ils ont traversé me met incroyablement en colère parce qu’il n’y a aucune justification aux injustices qu’eux-mêmes, et les milliers d’autres connaissant le même sort, continuent à subir. Mais cela me remplit également de fierté et d’espoir - parce qu’ensemble, nous n’abandonnerons pas avant que ces injustices soient réparées. Et, alors que l’année 2015 s’annonce, nous ne laisserons pas le monde les oublier.