Des personnes tuées et mutilées par l’utilisation d’armes à létalité réduite dans le maintien de l’ordre

Des personnes tuées et mutilées par l'utilisation de balles en caoutchouc dans le maintien de l'ordre
  • Selon un nouveau rapport, l’utilisation abusive des balles en caoutchouc et d’autres armes à létalité réduite par les forces de l’ordre contre des manifestants pacifiques est de plus en plus généralisée, ce qui augmente le nombre de blessures et de décès
  • La disponibilité croissante de ces armes a accru le recours à la force contre les manifestants, d’où une forte hausse des incapacités permanentes causées par celles-ci
  • Il faut de toute urgence qu’un traité international contre le commerce des instruments de torture soit adopté pour réglementer le commerce d’équipements de maintien de l’ordre et aider à protéger le droit de manifester
  • Le FN 303, un lanceur de projectiles à létalité réduite produit par la FN Herstal (entreprise dont l’actionnaire unique est la Région wallonne), a été utilisé dans plusieurs pays par des forces de sécurité dont le comportement face aux manifestants semble abusif

Dans le monde entier, les forces de sécurité utilisent régulièrement de façon abusive les balles en caoutchouc et d’autres armes de maintien de l’ordre pour réprimer violemment des manifestations pacifiques et provoquent ainsi de terribles blessures et des décès, indique Amnesty International dans un nouveau rapport publié mardi 14 mars. L’organisation demande que l’utilisation de ces équipements soit contrôlée étroitement et qu’un traité international soit adopté pour réglementer leur commerce.

Intitulé « Mon œil a explosé » : l’utilisation abusive des projectiles à impact cinétique dans le monde, ce rapport publié conjointement avec la Fondation de recherche Omega est issu de recherches menées dans plus de 30 pays ces cinq dernières années (une version courte est disponible en français]). Il révèle que des milliers de manifestant·e·s et de passant·e·s ont été mutilés et des dizaines d’autres tués à la suite de l’utilisation souvent inconsidérée et disproportionnée d’armes de maintien de l’ordre à létalité réduite, notamment des projectiles à impact cinétique, comme les balles en caoutchouc, ainsi que des tirs de chevrotine recouverte de caoutchouc et des grenades lacrymogènes lancées directement vers des manifestant·e·s. Une carte interactive [1] met par ailleurs en évidence plus de 30 manifestations dans le monde où les forces de l’ordre ont utilisé des armes à létalité réduite de manière problématique, en confirmant le lieu, la date et la validité.

« Nous estimons qu’il faut de toute urgence mettre en place un encadrement mondial juridiquement contraignant de la fabrication et du commerce des armes à létalité réduite, notamment pour les projectiles à impact cinétique, ainsi que des directives efficaces sur le recours à la force pour lutter contre une spirale de la violence », a déclaré Patrick Wilcken, chercheur au sein de l’équipe Armée, sécurité et maintien de l’ordre à Amnesty International.

Amnesty International et la Fondation de recherche Omega font partie des 30 organisations qui demandent un traité contre le commerce des instruments de torture soutenu par les Nations unies afin d’interdire la fabrication et le commerce des projectiles à impact cinétique et des autres armes de maintien de l’ordre qui sont par nature propices à des abus et d’instaurer des contrôles fondés sur les droits humains pour la fourniture d’autres équipements de maintien de l’ordre, comme les balles en caoutchouc et en plastique.

« Un traité contre le commerce des instruments de torture prohiberait toute production et tout commerce des armes et équipements de maintien de l’ordre intrinsèquement abusifs, tels que les types de projectiles à impact cinétique qui sont par nature dangereux ou imprécis, les balles métalliques enduites de caoutchouc, les plombs de chevrotine enduits de caoutchouc et les munitions contenant des projectiles multiples, qui ont rendu des personnes aveugles et causé d’autres graves blessures et des décès à travers le monde », a déclaré Michael Crowley, chargé de recherches pour la Fondation de recherche Omega.

Selon des sources en accès libre, le FN 303, un lanceur de projectiles à létalité réduite produit par la FN Herstal (entreprise dont l’actionnaire unique est la Région wallonne), a été utilisé dans plusieurs pays de manière problématique par les forces de sécurité face aux manifestant·e·s. Cela aurait notamment été le cas en Turquie [2] et en Thaïlande [3]. Ces informations confirment qu’il est indispensable pour la Belgique d’apporter son soutien à un traité réglementant le commerce du matériel de maintien de l’ordre.

La mauvaise utilisation des armes à létalité réduite provoque des blessures terribles dans le monde entier

Ces armes ont causé une incapacité permanente dans des centaines de cas, ainsi que de nombreux décès. Une augmentation inquiétante a été observée pour les lésions oculaires (notamment rupture du globe oculaire, décollement de la rétine et perte totale de la vision), les fractures du crâne et d’autres os, les lésions cérébrales, les ruptures d’organes et les hémorragies internes, les perforations du cœur ou des poumons à la suite de côtes cassées, les lésions sur les organes génitaux et les traumatismes psychologiques.

Au Chili, selon une estimation de l’Institut national des droits humains, les actions de la police lors des manifestations qui ont débuté en octobre 2019 ont occasionné plus de 440 lésions oculaires, dont plus de 30 cas de perte de la vision ou de rupture du globe oculaire. Au moins 53 personnes sont mortes à cause de projectiles tirés par les forces de sécurité d’après une étude validée par des spécialistes qui s’est appuyée sur les publications médicales parues entre 1990 et juin 2017. Ses conclusions indiquaient également que 300 des 1 984 blessés en avaient gardé une incapacité permanente. Les chiffres réels sont probablement bien plus élevés.

Depuis lors, la disponibilité, la variété et l’utilisation des projectiles à impact cinétique ont connu une forte hausse au niveau mondial et contribué à la militarisation du maintien de l’ordre au cours des manifestations. Selon le nouveau rapport d’Amnesty International, les règles nationales d’utilisation des projectiles à impact cinétique sont rarement conformes aux normes internationales relatives à l’usage de la force, qui disposent que ces armes ne doivent être utilisées qu’en dernier recours contre des individus violents représentant une menace imminente de préjudice grave contre des personnes. De plus, les forces de police bafouent régulièrement les règles en vigueur sans être inquiétées.

En avril 2021, Leidy Cadena Torres, qui avait alors 22 ans, se rendait à pied à une manifestation contre des réformes fiscales à Bogotá, la capitale colombienne, lorsqu’elle a été touchée au visage par une balle en caoutchouc tirée à bout portant par un policier antiémeutes. Elle a perdu un œil.

« Je ne comprenais pas ce qui se passait alors j’ai sorti mon téléphone et pris une photo de mon visage, mais je ne pouvais pas la voir, a-t-elle raconté à Amnesty International.

« Ils essaient de vous infliger des blessures visibles, comme la perte d’un œil, afin d’effrayer les gens pour qu’ils ne sortent pas [manifester]. »

L’expérience vécue par cette jeune femme éborgnée s’est répétée avec une inquiétante régularité dans des circonstances similaires en Amérique centrale et du Sud, en Europe, au Moyen-Orient, en Afrique et aux États-Unis lors de manifestations récentes ou en cours.

Gustavo Gatica, étudiant en psychologie âgé de 22 ans à l’époque, a perdu la vue des deux yeux après avoir été touché au visage par des plombs recouverts de caoutchouc tirés par la police au cours de manifestations contre les inégalités organisées dans la capitale du Chili, Santiago, le 8 novembre 2019. Personne n’a encore été amené à rendre des comptes pour ce qui lui est arrivé.

Il a récemment déclaré à Amnesty International : « J’ai cru sentir de l’eau couler de mes yeux… mais c’était du sang. » Il espère que ses blessures encourageront le changement, pour empêcher que d’autres personnes ne subissent le même sort : « J’ai donné mes yeux pour que les gens se réveillent », a-t-il dit.

Aux États-Unis, les balles en caoutchouc sont de plus en plus utilisées pour réprimer des manifestations pacifiques.

Une personne touchée au visage lors d’une manifestation à Minneapolis, dans l’État du Minnesota, le 31 mai 2020 a expliqué à Amnesty International : « Mon œil a explosé à cause de l’impact de la balle en caoutchouc et mon nez s’est déplacé sous mon autre œil. La première nuit que j’ai passée à l’hôpital, les médecins ont rassemblé les morceaux de mon œil et les ont recousus ensemble. Puis ils ont remis mon nez en place et l’ont remodelé. Ils m’ont finalement posé une prothèse oculaire, donc je ne vois plus que de l’œil droit maintenant. »

En Espagne, l’utilisation de projectiles en caoutchouc de la taille d’une balle de tennis, manquant de précision par nature, a causé au moins un décès des suites d’un traumatisme crânien et 24 blessures graves, dont 11 cas de graves lésions oculaires, selon le groupe qui mène la campagne nationale Stop Balas de Goma. En France, une expertise médicale concernant 21 patient·e·s blessés au visage et/ou aux yeux par des balles en caoutchouc a relevé de graves lésions, notamment des éclatements osseux, d’autres types de fractures et des ruptures du globe oculaire ayant entraîné une cécité.

Amnesty International a également recensé des cas de grenades lacrymogènes lancées directement vers des personnes ou des foules au Chili, en Colombie, en Équateur, en France, à Gaza, en Guinée, à Hong Kong, en Iran, en Irak, au Pérou, au Soudan, en Tunisie et au Venezuela.

En Irak, les forces de sécurité ont délibérément visé des manifestant·e·s avec des grenades spéciales 10 fois plus lourdes que les munitions de gaz lacrymogène classiques. Cette pratique a été à l’origine de blessures terribles et d’au moins une vingtaine de décès en 2019. En Tunisie, un homme de 21 ans, Haykal Rachdi, est mort après avoir été touché à la tête par une grenade lacrymogène en janvier 2021.

En Colombie, les forces de sécurité ont utilisé le lance-grenades VENOM, pouvant contenir 30 munitions et initialement destiné à l’infanterie de marine des États-Unis, pour tirer des salves de gaz lacrymogène contre des manifestant·e·s.

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