Des personnes migrantes placées en détention ont décrit à Amnesty International les conditions très difficiles dans le centre de Ouardia, qui est notamment surpeuplé avec une cinquantaine de personnes qui partagent cinq pièces, deux salles de bain et une salle commune pour les repas. Amnesty International a examiné des photographies et des vidéos montrant des détenus en train de dormir sur des matelas posés les uns à côté des autres, dans des cellules surpeuplées.
« Les conditions de détention dans le centre de Ouardia rendent impossible l’application des mesures de prévention visant à éviter la propagation de la maladie dans le centre de détention »
« Dans le cadre de leur programme global de lutte contre le COVID-19, les autorités tunisiennes devraient s’efforcer de réduire le nombre de personnes incarcérées dans les centres de détention, et dans l’immédiat, libérer toutes celles qui sont détenues pour des motifs d’immigration dans le centre de Ouardia et veiller à ce qu’elles aient accès à des soins de santé vitaux. La détention motivée uniquement par des questions d’immigration ne devrait être autorisée que dans des circonstances tout à fait exceptionnelles, et elle est tout simplement injustifiable en pleine pandémie mondiale telle que l’actuelle pandémie de COVID-19, a déclaré Amna Guellali, directrice adjointe pour l’Afrique du Nord à Amnesty International.
« Les autorités tunisiennes ont apparemment pris quelques mesures pour tenter de remédier aux risques liés au COVID-19 pour les personnes détenues pour des motifs de migration, mais ces mesures sont loin d’être suffisantes. Les conditions de détention dans le centre de Ouardia rendent impossible l’application des mesures de prévention visant à éviter la propagation de la maladie dans le centre de détention, ce qui est très dangereux pour la santé des personnes qui y vivent ou qui y travaillent, et de l’ensemble de la population. »
Amnesty International a interrogé six des personnes actuellement détenues dans le centre de Ouardia, qui est géré par le ministère de l’Intérieur et utilisé pour la détention des personnes étrangères. Ce centre accueille actuellement plusieurs dizaines de personnes, dont six femmes et au moins un enfant. Un grand nombre d’entre elles n’étaient pas informées de la base juridique de leur détention et d’autres avaient été inculpées d’infractions, libérées de prison et enfermées dans ce centre dans l’attente de leur expulsion. Ce groupe comprend des ressortissants ivoiriens, sénégalais, camerounais et marocains, dont beaucoup sont apparemment des migrants, ainsi qu’au moins une personne ayant déposé une demande d’asile.
Le 15 avril, une délégation gouvernementale a visité ce centre. Selon deux détenus avec qui Amnesty International s’est entretenue après cette visite, les autorités du centre de détention ont par la suite donné à chaque personne détenue un masque en papier et un flacon de gel antibactérien.
Les détenus ont dit qu’ils craignent pour leur santé parce que les autorités ont amené dans le centre de nouveaux détenus en mars et en avril, dont certains venaient directement de l’aéroport, sans les isoler ni les avoir testés pour savoir s’ils étaient porteurs du virus. Plusieurs détenus mènent actuellement une grève de la faim : ils demandent leur remise en liberté, car ils craignent que la surpopulation dans ce centre et le manque d’hygiène ne les exposent à un risque accru d’infection au COVID-19. D’autres demandent leur renvoi dans leur pays d’origine.
Quatre des six détenus interrogés par Amnesty International ont dit à l’organisation qu’ils ne comprennent pas pourquoi ils sont maintenus en détention, car ils n’ont été informés d’aucune décision de détention administrative à leur encontre, et ils n’ont été inculpés d’aucune infraction. Ces affirmations n’ont pas pu être vérifiées, mais elles suscitent de graves inquiétudes, car elles incitent à penser que des personnes pourraient être détenues de façon arbitraire dans le centre de Ouardia, ce qui est illégal au regard des traités internationaux relatifs aux droits humains que la Tunisie est tenue de respecter. Deux des personnes interrogées ont dit qu’elles vivent en Tunisie depuis de nombreuses années, mais qu’elles demandent à retourner dans leur pays d’origine, où elles pourront s’isoler pour se protéger.
Rajabu Kilamun, un homme originaire de la République démocratique du Congo, dit vivre en Tunisie depuis sept ans et il a fondé une association, Migrants sans Frontières, qui aide les migrant·e·s en Tunisie. Il a dit à Amnesty International avoir été arrêté le 14 février et amené dans le centre de Ouardia au motif qu’il résidait de façon illégale en Tunisie. Il a expliqué à Amnesty International qu’il a été arrêté et placé en détention uniquement parce qu’il n’a pas obtenu de permis de séjour en Tunisie, alors qu’il affirme en avoir fait la demande de nombreuses fois et ne l’avoir jamais obtenu.
« Je ne comprends pas pourquoi, alors que je vis depuis sept ans en Tunisie, on m’enferme aujourd’hui ici comme un criminel et en pleine crise sanitaire », a déclaré Rajabu Kilamun.
Fiona, l’une des détenues avec qui Amnesty International a parlé au téléphone, a dit que quelques femmes sont en mauvaise santé et ont apparemment des éruptions cutanées. Fiona a expliqué qu’elles ont demandé à voir un médecin, mais qu’on leur a demandé d’attendre, car le médecin qui effectue des visites dans le centre ne vient que tous les quinze jours. Elle a déclaré à Amnesty International :
« Cela fait un mois que je suis ici à présent, et je peux vous dire que la situation est aussi mauvaise que quand je suis arrivée. Ils ne vous donnent même pas suffisamment de savon pour vous laver les mains ; si vous n’avez pas d’argent pour vous acheter du savon, vous n’en avez pas assez. Je suis très inquiète pour ma santé, car je vois que les autres femmes qui sont ici depuis plus longtemps que moi tombent malades et commencent à avoir des éruptions cutanées à cause des couvertures sales qu’ils nous donnent. »
Selon un détenu, au moins 20 des personnes enfermées dans le centre de Ouardia ont été inculpées et attendent leur renvoi dans leur pays d’origine. Un autre détenu a expliqué à Amnesty International qu’il a été amené dans le centre de Ouardia fin mars après une période de détention provisoire en prison. Il a dit qu’il sera maintenu en détention jusqu’à son renvoi dans son pays d’origine. Il a déclaré à Amnesty International que la plupart des détenus n’ont presque plus d’argent, et qu’ils ne peuvent donc plus acheter des fournitures ou des produits d’hygiène.
« S’il s’agit de personnes qui veulent réellement retourner dans leur pays d’origine, les autorités tunisiennes doivent collaborer avec les gouvernements concernés pour garantir leur retour volontaire en toute sécurité et dans la dignité, tout en respectant pleinement, bien entendu, le principe de non-refoulement », a déclaré Amna Guellali.