Tunisie, Les autorités doivent suspendre l’application du passe vaccinal

Tunisie passe vaccinal

Les autorités tunisiennes doivent suspendre l’application, en attendant qu’il soit modifié, d’un nouveau décret-loi relatif au COVID-19 qui empêchera toute personne âgée de 18 ans et plus n’ayant pas de passe vaccinal d’avoir accès à de nombreux espaces privés et publics, qui lui interdira de travailler dans le secteur public ou d’être salariée dans le secteur privé, et qui empêchera cette personne, si elle est de nationalité tunisienne, de voyager à l’étranger.

Cette nouvelle loi doit entrer en vigueur le 22 décembre pour une durée de six mois. Certains aspects du Décret-loi n° 2021-1, qui rend obligatoire l’utilisation de ce passe vaccinal, sont conformes au droit international et aux recommandations de l’Organisation mondiale de la santé (OMS), mais Amnesty International appelle les autorités à modifier les dispositions de ce texte qui violent le droit au travail et le droit de circuler librement tels que garantis par le droit international.

« Après la crise sanitaire de cet été, la population tunisienne bénéficie d’un bien meilleur accès aux vaccins, mais toutes les personnes ne jouissent pas d’un même accès aux soins de santé publics ou aux vaccins. Les autorités tunisiennes ne peuvent, dans le cadre de leurs initiatives visant à limiter la propagation du COVID-19, mettre en place que des restrictions nécessaires et proportionnées pour la protection de la santé publique, a déclaré Amna Guellali, directrice régionale adjointe pour l’Afrique du Nord et le Moyen-Orient à Amnesty International.

« Les autorités tunisiennes ne doivent pas appliquer ce nouveau décret-loi tant qu’il n’aura pas été modifié afin de garantir que les obligations en matière de passe vaccinal ne violent pas le droit international relatif aux droits humains en menaçant inutilement les moyens de subsistance des Tunisiennes et Tunisiens et avec des sanctions excessivement sévères en cas de non-respect de ces obligations. »

« Les autorités tunisiennes ne doivent pas appliquer ce nouveau décret-loi tant qu’il n’aura pas été modifié afin de garantir que les obligations en matière de passe vaccinal ne violent pas le droit international »

Le nouveau décret-loi, qu’Amnesty International a étudié en détail, interdit aux employé·e·s du secteur public et aux salarié·e·s du secteur privé de travailler jusqu’à ce qu’ils obtiennent leur passe vaccinal, et les employeurs et employeuses sont contraints de ne pas les rémunérer pendant la période où ils seront suspendus. Les nouvelles règles imposent également aux autorités d’ordonner la fermeture pour une durée allant jusque 15 jours des établissements, autres que les établissements de santé privés, qui ne respectent pas les obligations relatives au passe vaccinal.

Ces sanctions risquent de saper de façon déraisonnable les moyens de subsistance des personnes sanctionnées et de leur famille, en particulier compte tenu du fait que la Tunisie est déjà en proie à une grave crise économique. Les infrastructures publiques de santé ne sont pas présentes de façon uniforme dans tout le pays, certaines régions pauvres en sont moins pourvues, et cela affecte l’accès aux vaccins.

Les autorités tunisiennes ont dit que le passe vaccinal vise à « atteindre l’immunité collective [1] », mais elles n’ont pas fourni un argumentaire clair, largement diffusé et fondé sur la science pour justifier les obligations en matière de passe vaccinal prévues par le Décret-loi n° 2021-1, plutôt que des mesures moins restrictives. Les autorités ont consulté un comité composé de membres des professions de santé, mais elles n’ont pas communiqué le résultat des consultations qui pourraient avoir été menées avec des syndicats et des organisations de la société civile, entre autres, pour garantir un véritable débat public au sujet du projet de passe vaccinal.

Selon les recommandations de l’OMS relatives à l’obligation vaccinale pour le Covid-19 et aux obligations liées au passe vaccinal, les gouvernements doivent fournir un argumentaire clair à l’appui de leur politique, afin d’obtenir la confiance du public et faire face à toutes les questions sur l’éthique qui peuvent survenir en consultant le public, en particulier des représentant·e·s des personnes qui risquent d’être les plus impactées.

« Cette obligation concernant les voyages ne représente manifestement pas une restriction légitime du droit de circuler librement au sens où l’entend le droit international »

« Au lieu d’intimider les personnes et de resserrer l’étau sur leur vie quotidienne, les autorités tunisiennes devraient faire le choix d’une stratégie de communication efficace et d’une sensibilisation du public pour encourager les personnes à prendre librement la décision de se faire vacciner, parce qu’elles auront fait ce choix », a déclaré Amna Guellali.

Le décret-loi oblige également les personnes de nationalité tunisienne âgées de 18 ans et plus à présenter un passe vaccinal pour pouvoir voyager en dehors du pays. Le Pacte international relatif aux droits civils et politiques (PIDCP), que la Tunisie a ratifié, prévoit que toute restriction du droit de circuler librement doit être nécessaire pour réaliser un objectif légitime, qu’elle doit être proportionnée, et qu’elle ne doit pas violer d’autres droits garantis par le PIDCP.

« Cette obligation concernant les voyages ne représente manifestement pas une restriction légitime du droit de circuler librement au sens où l’entend le droit international, car elle n’est pas justifiée et elle est restrictive de façon inéquitable », a souligné Amna Guellali.

Dans ses recommandations concernant les voyages internationaux pendant la pandémie de COVID-19, l’OMS prévoit que les gouvernements ne doivent pas imposer de restrictions générales pour les voyages en les conditionnant à la présentation d’une preuve de vaccination, mais opter pour des mesures fondées sur le risque telles que le dépistage du COVID-19, l’imposition d’une quarantaine pour les voyageurs et voyageuses qui arrivent dans le pays, ou l’obligation pour ces derniers de présenter un résultat négatif de dépistage du COVID-19.

Les autorités doivent également créer un mécanisme transparent pour le réexamen fréquent de leur politique en matière de passe vaccinal

Les autorités doivent également créer un mécanisme transparent pour le réexamen fréquent de leur politique en matière de passe vaccinal, qui sera fondé sur les recherches scientifiques les plus récentes, sur les obligations de la Tunisie au titre du droit international, et sur les recommandations de l’OMS ; les conclusions de ce mécanisme devront être communiquées au public clairement et de façon transparente.

Complément d’information

Le président Kaïs Saïed, qui a suspendu le Parlement le 25 juillet et qui s’est depuis octroyé le pouvoir de légiférer par décret, a pris le 22 octobre un décret-loi qui rend obligatoire le passe vaccinal et ce, un mois après avoir dissous l’organe gouvernemental chargé de contrôler la constitutionnalité des nouvelles lois et après avoir décidé d’empêcher le Tribunal administratif d’annuler les décrets-lois.

La Tunisie a entamé sa campagne de vaccination contre le COVID-19 en mars 2021, mais cette campagne a lentement progressé et a pâti d’un manque de transparence, d’ingérences politiques et d’importants retards dans la livraison des vaccins. Parallèlement à cela, les taux d’infection au COVID-19 ont augmenté de façon exponentielle, et mi-juillet 2021, le nombre de morts confirmées relevé quotidiennement par million d’habitant·e·s figurait au deuxième rang mondial.

À partir de la fin du mois de juillet, les autorités ont accéléré la campagne de vaccination et le taux de personnes totalement vaccinées est passé de 6 % de la population tunisienne mi-juillet à près de 46 % mi-décembre.

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