Communiqué de presse

Tunisie. Deux ans après les soulèvements, justice doit être rendue, et elle doit l’être de manière visible

En Tunisie, pour le deuxième anniversaire de la destitution de l’ancien président Ben Ali, les personnes blessées durant les soulèvements, tout comme les familles de celles qui ont été tuées, continuent de réclamer vérité et justice. Leurs appels n’ont toujours pas été entendus.

Ali Mekki, président de l’Association de défense des droits des martyrs et des blessés de la révolution tunisienne Lan Nansakoum (« Nous ne vous oublierons pas »), dont le frère, Abdelkader Mekki, a été tué à Degueche le 11 janvier 2011, a décrit à Amnesty International l’angoisse et la frustration des familles, qui ne parviennent pas à obtenir de réponses à leurs questions, ainsi que le sentiment d’injustice qu’elles ressentent en sachant que leurs proches ont été tués et que certains des responsables sont en liberté.

Alors qu’il se préparait à aller manifester le 14 janvier avec d’autres personnes qui ont perdu des proches ou qui ont été blessées, il a expliqué à l’organisation qu’ils avaient tous perdu confiance dans la justice militaire. Il a ajouté que la situation empirait pour les familles. Le 7 janvier, 15 familles se sont rendues à Sfax, à 300 kilomètres de Degueche, pour assister à une audience devant le tribunal militaire. L’affaire concernait trois personnes - dont le frère d’Ali Mekki - tuées et deux blessées à Degueche lors des troubles. Ali Mekki a expliqué qu’à leur arrivée, on les a informées que seules une ou deux personnes par famille pouvaient assister à l’audience, au motif que la salle n’était pas assez grande pour accueillir tout le monde. Bouleversées, les familles ont refusé d’entrer, même quand le juge les y a plus tard autorisées. Leurs avocats ont refusé de participer à l’audience, qui a été reportée au 21 janvier.

« La justice militaire nous traite comme si nous étions le problème, comme si nous étions l’ennemi », a déclaré Ali Mekki. « Nous n’avons aucune confiance dans ce système. Nous irons à l’audience le 21 janvier, nous voulons la vérité, mais nous ne nous attendons pas à un jugement équitable. »

D’après lui, les jugements prononcés par les tribunaux militaires de première instance de Kef et de Tunis ont rendu les choses encore plus difficiles pour les familles car la vérité n’a pas été révélée.

Lorsqu’Amnesty International lui a demandé son avis sur ce qu’il faudrait faire pour que les victimes et leurs familles obtiennent justice, Ali Mekki a répondu que ce qui était nécessaire en premier lieu, c’était la volonté politique.

« Les tribunaux doivent être indépendants et les familles ne doivent pas uniquement être autorisées à assister aux procès. Il faut que leurs préoccupations soient entendues et prises en compte, » a-t-il affirmé.

Complément d’information

D’après la Commission nationale d’établissement des faits sur les dépassements commis entre le 17 décembre 2010 et la fin de son mandat, 338 personnes ont été tuées et plus de 2 000 blessées dans différentes parties du pays au cours des semaines ayant précédé le départ de Ben Ali et les quelques jours qui ont suivi. Sous la pression des familles de victimes, nombre de fonctionnaires (parfois encore en poste) soupçonnés d’être responsables de violations des droits humains font actuellement l’objet de poursuites devant la justice militaire à Tunis, Kef et Sfax. Certains ont déjà été jugés en première instance et leur procès en appel est en cours. Plusieurs hauts fonctionnaires ont été jugés et déclarés coupables dans le cadre de ces poursuites, notamment le président Ben Ali, condamné par contumace par les tribunaux militaires de Kef et Tunis à la réclusion à vie et à 20 ans d’emprisonnement, respectivement pour complicité de meurtres et pour incitation à l’usage des armes et aux troubles. L’ex-ministre de l’Intérieur Rafiq Haj Kacem a lui aussi été condamné à la réclusion par ces deux tribunaux. Cependant, seuls quelques membres des forces de sécurité ont été déclarés coupables d’avoir directement tué des manifestants.

Les autorités tunisiennes ont fourni aux blessés et aux familles des personnes tuées une compensation financière sous la forme d’une somme versée en deux fois en 2011. Cependant, plusieurs des familles ont indiqué à Amnesty International avoir refusé le second versement car elles estimaient que justice n’avait pas été rendue et que la vérité n’avait pas été dévoilée.

Dans un document intitulé Tunisie. Un pas en avant, deux pas en arrière ? Un an après les élections historiques en Tunisie (MDE 30/010/2012) et publié en octobre 2012, Amnesty International a relevé de graves lacunes dans ces procédures judiciaires. Par exemple, les affaires sont jugées par les tribunaux militaires en dépit du principe selon lequel les cas impliquant des civils et ceux concernant des violations des droits humains devraient être jugés par des tribunaux civils. Au cours d’une mission d’enquête en Tunisie en septembre 2012, et parce qu’elle surveille en permanence la situation, l’organisation a découvert des éléments préoccupants concernant l’exhaustivité des enquêtes, l’indépendance des juridictions militaires et la participation des familles dans les procédures. Des allégations sont également parvenues à Amnesty International, selon lesquelles certains proches de victimes et des avocats auraient été la cible d’actes d’intimidation et de harcèlement.

Deux ans ont passé et il est temps, pour les autorités tunisiennes, de se pencher sans plus attendre sur ces sujets de préoccupation, déjà soulevés à plusieurs reprises par les victimes et les familles. Amnesty International appelle une nouvelle fois les autorités tunisiennes à :

  • coopérer pleinement dans les enquêtes sur les violations des droits humains commises durant les soulèvements ;
  • veiller à ce que les victimes et les témoins de ces violations, leurs proches et leurs avocats soient protégés de tout acte de harcèlement et d’intimidation, et à enquêter rapidement sur les allégations se rapportant à de tels actes ;
  • autoriser les victimes de violations des droits humains et leurs familles à prendre part aux poursuites judiciaires, y compris à assister aux procès si elles le souhaitent ;
  • suspendre de leurs fonctions tous les membres des forces de sécurité soupçonnés d’être responsables de violations des droits humains en attendant une enquête minutieuse et les conclusions des procédures judiciaires ;
  • faire en sorte que les personnes dont les droits fondamentaux ont été bafoués bénéficient dans les meilleurs délais de réparations adéquates, y compris de soins médicaux, de services d’aide sociale et psychologique et, le cas échéant, d’une réadaptation.
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