Tunisie : il faut abandonner les poursuites engagées contre des journalistes d’Attounissia

Les autorités tunisiennes doivent abandonner les poursuites engagées contre le directeur d’un quotidien et deux journalistes pour avoir publié un cliché montrant un footballeur germano-tunisien et sa compagne, dénudée sur la photo, a déclaré Amnesty International après l’ajournement du procès.

Le tribunal de première instance de Tunis a ordonné jeudi 23 février la libération de Nasreddine Ben Saida, directeur du quotidien arabophone Attounissia, renvoyant l’affaire au 8 mars, date à laquelle un jugement est attendu.

Ce responsable et deux journalistes travaillant pour cette publication ont été accusés d’avoir nui « à l’ordre public et aux bonnes mœurs », infraction passible d’une peine allant de six mois à cinq ans d’emprisonnement et d’une amende d’un montant pouvant atteindre entre 120 et 1200 dinars (60 et 600 euros environ).

Si la protection des mœurs ou de l’ordre public constitue parfois une raison légitime pour limiter la liberté d’expression, une restriction de ce type ne saurait être imposée que si elle est absolument nécessaire, et il convient alors dans ce cas d’adopter la mesure la moins draconienne possible.

Dans le cas d’Attounissia, emprisonner un journaliste serait disproportionné et bafouerait l’obligation de la Tunisie de respecter la liberté d’expression.

« Nasreddine Ben Saida n’aurait pour commencer jamais dû être poursuivi, et encore moins privé de liberté pendant une semaine entière », a expliqué Hassiba Hadj Sahraoui, directrice adjointe du programme Moyen Orient et Afrique du Nord d’Amnesty International.

« Les autorités tunisiennes doivent désormais abandonner ces poursuites, dont les journalistes tunisiens pensaient qu’elles appartenaient au passé depuis le départ de l’ancien président Ben Ali. »

« Il s’agit là du premier cas porté à notre connaissance, depuis le soulèvement d’il y a un an, de journalistes arrêtés pour avoir rendu un document public en Tunisie. »

Nasreddine Ben Saida a été arrêté le 15 février après qu’Attounissia eut publié en première page une photo montrant le footballeur Sami Khedira et sa compagne Lena Gercke, un mannequin allemand. La jeune femme apparaît nue sur la photo, les seins couverts par les mains de Sami Khedira.

Deux journalistes d’Attounissia, Hadi Hedri et Habib Guizani, ont également été appréhendés le 15 février. Ils ont tous deux été libérés le lendemain après avoir été auditionnés par un juge.

Amnesty International a estimé que la réaction des autorités à cette affaire n’était pas adéquate.

À la suite de l’arrestation des journalistes, Noureddine Beheiry, le ministre de la Justice, a déclaré lors d’un entretien radiophonique que les médias devaient cesser de perturber le fonctionnement du système judiciaire et d’essayer d’influer sur ses décisions.

En engageant des poursuites, le parquet a contourné une nouvelle loi sur la presse entrée en vigueur en novembre 2011, invoquant à la place l’article 121 du Code pénal, qui érige en infraction la diffusion de documents écrits susceptibles de nuire à l’ordre public ou aux bonnes mœurs.

Des juristes affirment que la nouvelle loi sur la presse prime sur l’article du Code pénal utilisé contre ces journalistes, ce qui prive leur arrestation et leur procès de tout fondement juridique.

Plus tôt ce mois-ci, un porte-parole du gouvernement a annoncé que des discussions au sujet du réexamen de lois sur la presse et l’audiovisuel adoptées récemment sont prévues, une décision que de nombreux journalistes tunisiens interprètent comme une tentative de contrôler les médias et de restreindre leur liberté.

Les poursuites engagées contre le personnel d’Attounissia ajoutent aux craintes des journalistes et des militants quant au futur de la liberté d’expression en Tunisie et à la réticence du gouvernement à faire appliquer des lois sur les médias qui sont conformes aux normes internationales en matière de droits humains.

« Il est inquiétant de voir les autorités tunisiennes en revenir aux lois utilisées sous le président Ben Ali, qui étaient alors critiquées par ceux-là mêmes qui les invoquent actuellement pour réprimer et museler des journalistes », a déploré Hassiba Hadj Sahraoui.

« Les autorités envoient un message inquiétant en se repliant sur ces vieilles tactiques au lieu de faire la preuve de leur détermination à favoriser un débat libre et ouvert, caractéristique d’une société qui respecte les droits humains et l’état de droit. »

Toutes les infos
Toutes les actions
2024 - Amnesty International Belgique N° BCE 0418 308 144 - Crédits - Charte vie privée
Made by Spade + Nursit