Le 27 mars, le député et blogueur Yassine Ayari a été condamné, par contumace, par un tribunal militaire à 16 jours d’emprisonnement en raison d’un billet publié sur Facebook le 27 février 2017, dans lequel il raillait une nomination à un poste de haut responsable de l’armée.
« Il est difficile de croire que de nos jours en Tunisie des personnes peuvent encore être jetées en prison pour des faits pleinement protégés par le droit à la liberté d’expression. Cette affaire est d’autant plus scandaleuse que l’homme mis en cause dans cette affaire est un député qui critiquait les autorités, et que son procès s’est tenu devant un tribunal militaire », a déclaré Heba Morayef, directrice du programme Afrique du Nord et Moyen-Orient d’Amnesty International.
« Les civils ne devraient jamais être jugés par des tribunaux militaires. La Tunisie doit de toute urgence engager une réforme de sa législation afin de limiter explicitement le champ de compétence des tribunaux militaires aux infractions à la discipline militaire commises par des membres de l’armée, conformément aux normes internationales. »
Dans sa publication sur Facebook, Yassine Ayari raillait la nomination par le président Beji Caid Sebssi d’Ismail Fatahali au poste de chef de l’armée de terre, le décrivant comme « trop sensible » après avoir signalé qu’il aurait déclaré lors d’un procès en 2014 qu’« un billet sur Facebook lui avait sapé le moral ». Le procès de Yassine Ayari devant un tribunal militaire viole plusieurs garanties relatives à l’équité des procès, en plus de son droit à la liberté d’expression. Seifeddine Makhlouf, l’un des avocats de Yassine Ayari, a déclaré à Amnesty International que les avocats de la défense n’avaient pas pu consulter tous les documents du dossier concernant les poursuites engagées contre cet homme, malgré des demandes répétées. Yassine Ayari a indiqué à Amnesty International qu’une autre plainte a été déposée contre lui auprès du tribunal militaire et que la prochaine audience aura lieu le 10 avril.
Les poursuites intentées pour « diffamation de l’armée » ou d’une autre institution de l’État sont incompatibles avec l’obligation de la Tunisie de respecter le droit à la liberté d’expression garanti par l’article 19 du Pacte international relatif aux droits civils et politiques.
« Les autorités doivent sans plus tarder mettre fin à cette mascarade. Elles doivent veiller à ce que ce verdict soit annulé et ordonner l’abandon de toutes les poursuites engagées au pénal pour diffamation. Les parlementaires doivent de toute urgence réviser les dispositions du Code de justice militaire et du Code pénal qui répriment l’exercice de la liberté d’expression », a déclaré Heba Morayef.
Complément d’information
Yassine Ayari avait déjà été jugé et emprisonné en raison de précédentes critiques exprimées en ligne dans des billets. En novembre 2014, un tribunal militaire l’a condamné, par contumace, à trois ans d’emprisonnement pour « diffamation de l’armée » parce qu’il avait critiqué sur Facebook le ministre de la Défense Ghazi Jerbi et certaines nominations au sein du commandement militaire. En janvier 2015, un tribunal militaire a réduit la peine prononcée contre lui à un an d’emprisonnement. Il a été remis en liberté au bout de six mois de détention.
Depuis 2011, au moins 10 civils ont été jugés devant des tribunaux militaires dans des affaires liées à l’expression d’opinions, généralement pour avoir critiqué l’armée ou des représentants de l’État. En septembre 2016, un procureur militaire a inculpé Jamel Arfaoui, journaliste indépendant, d’atteinte à la réputation de l’armée dans un article publié sur un site d’information. En novembre 2014, Sahbi Jouini, dirigeant d’un syndicat de police, a été déclaré coupable par contumace et condamné à deux ans d’emprisonnement pour avoir diffamé l’armée, après qu’il l’eut accusée de ne pas avoir utilisé de façon adéquate les informations dont elle disposait pour lutter contre le terrorisme. En mai 2013, le blogueur Hakim Ghanmi a comparu devant un tribunal militaire pour « atteinte à la réputation de l’armée », parce qu’il avait critiqué le directeur d’un hôpital militaire.