COMMUNIQUÉ DE PRESSE

Tunisie. L’enquête sur la mort d’un détenu doit être indépendante et impartiale et ses conclusions rendues publiques

Amnesty International prie les autorités tunisiennes de veiller à ce qu’une enquête exhaustive, indépendante et impartiale soit ouverte sur la mort en détention, le 1er novembre, d’un homme de 34 ans, Walid Denguir. La portée et les conclusions de cette investigation, ainsi que les méthodes utilisées, doivent être conformes aux Principes des Nations unies relatifs à la prévention efficace des exécutions extrajudiciaires, arbitraires et sommaires et aux moyens d’enquêter efficacement sur ces exécutions.

Le ministère tunisien de l’Intérieur a déclaré qu’une enquête administrative et judiciaire avait été ouverte sur la mort de cet homme. D’après des informations portées à la connaissance d’Amnesty International, le magistrat instructeur saisi de l’affaire a confié l’enquête à la Brigade criminelle de la police, ce qui soulève des préoccupations quant à son indépendance et à son impartialité. Plusieurs personnes qui ont participé à des manifestations ces deux dernières années en Tunisie et affirmé avoir subi des violences policières ont dit à Amnesty International qu’elles n’avaient pas porté plainte parce qu’elles n’avaient pas confiance dans une procédure qui veut que des policiers enquêtent sur des plaintes contre des collègues policiers.

Amnesty International demande en outre que les agents qui ont arrêté Walid Denguir et l’ont maintenu captif au poste de police de Sidi Bechir soient suspendus du service actif pendant toute la durée de l’enquête. S’il existe suffisamment de preuves recevables contre des membres des forces de sécurité soupçonnés de mauvais traitements, de torture ou d’autres violations graves des droits humains, ces agents doivent être jugés au cours de procès respectueux des normes internationales d’équité.

Des témoins de l’arrestation ont raconté à la famille de Walid Denguir que celui-ci a été interpellé le 1er novembre vers 16 heures, sur l’avenue Ali Trad, dans le quartier de Montfleury à Tunis, par quatre policiers de la Brigade criminelle d’El Ouardia. De là il aurait été conduit au poste de Sidi Bechir. Une heure après, environ, la mère de Walid Denguir a été informée par téléphone que son fils était mort d’une crise cardiaque.

Le corps de Walid Denguir a été transporté à l’hôpital Charles Nicolle, à Tunis, où sa mère l’a vu et a constaté qu’il présentait des blessures. D’après Radhia Nasraoui, avocate défenseure des droits humains qui a vu le corps après qu’il a été rendu à la famille le lendemain, et d’après des photos prises après l’autopsie et présentées à Amnesty International, des blessures à une cheville laissaient entendre que Walid Denguir a pu être attaché. De même, des marques à un poignet indiquaient qu’il a été immobilisé, peut-être avec des menottes ou un autre moyen de contrainte. Il est permis de penser que Walid Denguir a pu être immobilisé. Les blessures soulèvent des questions quant aux méthodes de contrainte utilisées, le cas échéant, et aux motifs derrière ce traitement. Ce qui est particulièrement inquiétant, c’est que l’immobilisation des détenus a fait partie des méthodes de torture utilisées par les forces de sécurité tunisiennes.

Une autopsie a été pratiquée, mais les conclusions des médecins légistes ne sont pas encore connues. Walid Denguir a été inhumé le 3 novembre dans le quartier de Bab Jedid, à Tunis, où il vivait avec sa famille, en présence de proches parents, d’amis et de militants de la société civile.

Le ministère de l’Intérieur a déclaré que Walid Denguir avait été arrêté pour des infractions à la législation sur les stupéfiants. Amnesty International demande qu’une enquête indépendante, impartiale et approfondie soit ouverte sur les circonstances de sa mort, et qu’elle tienne compte des résultats de l’autopsie. D’après le très sérieux Protocole d’Istanbul - Manuel pour enquêter efficacement sur la torture et autres peines ou traitements, cruels, inhumains ou dégradants, l’expert médical « élabore sans retard un rapport écrit détaillé, qui comporte [... des] considérations concernant le lien probable existant entre les conclusions d’ordre physique et psychologique et la possibilité de torture ou de mauvais traitements ». Les personnes chargées de l’enquête doivent chercher à s’entretenir avec les témoins, tout en veillant à ce qu’ils soient protégés contre tout acte éventuel d’intimidation ou de représailles. Amnesty International a été informée que la patrouille de police qui a arrêté Walid Denguir avait la réputation, à Bab Jedid, d’utiliser des méthodes d’intimidation.

La mort en détention de Walid Denguir souligne l’urgence de vastes réformes au sein des forces de sécurité. Responsables d’actes répandus de torture durant la période Ben Ali, celles-ci ont aussi recouru à une force inutile ou excessive lors des manifestations qui ont fait plusieurs morts et blessés parmi les participants, notamment pendant le soulèvement qui a renversé Ben Ali, en décembre 2010 et janvier 2011. Les autorités tunisiennes doivent surtout se pencher sur l’impunité dont bénéficient des membres des forces de sécurité, en particulier ceux de la chaîne de commandement, pourtant accusés de torture, c’est-à-dire d’un crime au regard du droit international. Il reste encore beaucoup à faire en Tunisie pour garantir la justice à des centaines de victimes de torture et pour que les responsables de ces actes soient tenus de rendre des comptes.

Un rapport d’Amnesty International rendu public le 8 octobre 2013 a été consacré notamment à la mort en détention, il y a 22 ans, de Faysal Baraket, un étudiant et sympathisant d’Ennahda dont le corps n’a été exhumé qu’en mars 2013 dans le cadre d’une nouvelle enquête judiciaire. Même si l’exhumation elle-même a constitué une avancée dans cette affaire, après 22 années de tentatives d’étouffement menées par la police et les autorités, les responsables de sa mort sous la torture n’ont toujours pas été traduits en justice. Même si les allégations de torture sont moins fréquentes dans la Tunisie d’aujourd’hui que sous le régime de Ben Ali, Amnesty International n’en continue pas moins à recevoir des informations selon lesquelles la police a eu recours à des mauvais traitements et un homme est mort dans des circonstances suspectes. Le 28 août 2012, Abderraouf Khamassi a été hospitalisé quelques heures après avoir été emmené au poste de police de Sidi Hassine, à Tunis. Il est mort le 8 septembre 2012. Quatre policiers ont été inculpés d’homicide volontaire avec préméditation, mais ils n’ont pas encore été jugés.

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