TUNISIE. Les autorités doivent cesser de nier les atteintes aux droits humains face aux éléments de preuve et à l’inquiétude croissante de la communauté internationale

Index AI : MDE 30/016/20010 (Public)
ÉFAI

Face au rejet, par les autorités tunisiennes, de son dernier rapport sur la Tunisie, Amnesty International maintient ses affirmations et met les autorités tunisiennes au défi de traduire en actes leur discours sur les droits humains en enregistrant les organisations indépendantes de défense des droits humains, en ouvrant des enquêtes sur les agressions contre des militants, en levant les restrictions imposées à la société civile indépendante et en autorisant immédiatement l’expert des Nations unies en charge des défenseurs des droits humains à se rendre dans le pays, a déclaré l’organisation le 14 juillet.

Les autorités tunisiennes ont rejeté en bloc les conclusions du dernier rapport d’Amnesty International, Tunisie. Des voix indépendantes réduites au silence, rendu public le mardi 13 juillet 2010. Dans une déclaration publiée par l’AFP, les autorités tunisiennes affirment que les organisations de la société civile ne subissent aucune pression de la part de l’État et insistent sur le fait qu’elles peuvent fonctionner de manière indépendante. Dans leur déclaration, les autorités s’en prennent aux chercheurs d’Amnesty International dont les conclusions reposent, selon elles, sur des informations « erronées » et « obsolètes » basées sur des « sources non crédibles ».

Amnesty International note que de nombreuses preuves des restrictions imposées à la société civile indépendante en Tunisie ont été recensées, notamment par des organes des Nations unies comme le Comité des droits de l’homme. En avril 2008, le Comité des droits de l’homme s’était inquiété de constater « qu’un nombre très limité d’associations indépendantes ont été officiellement enregistrées par les autorités » et qu’en pratique, « plusieurs associations pour la protection des droits humains... ont rencontré des obstacles lorsqu’elles ont voulu s’enregistrer ». Amnesty International note également que lors de l’examen périodique universel de la Tunisie devant ses pairs du Conseil des droits de l’homme des Nations unies en 2008, les autorités tunisiennes avaient accepté la recommandation leur enjoignant d’enregistrer les organisations indépendantes.

Deux années plus tard, Amnesty International note que de nombreuses organisations de défense des droits humains se trouvent toujours dans un vide juridique, n’ayant pu obtenir d’enregistrement officiel des autorités. Amnesty International déduit de la déclaration des autorités tunisiennes, qui affirment que les informations contenues dans le dernier rapport de l’organisation sont « erronées » ou « obsolètes », que ces organisations, notamment l’Association internationale de soutien aux prisonniers politiques (AISPP), l’Association de lutte contre la torture en Tunisie (ALTT), Liberté et Équité, le Conseil national pour les libertés en Tunisie (CNLT) et l’Observatoire pour la liberté de presse, d’édition et de création (OLPEC) vont être immédiatement enregistrées officiellement par les autorités.

Les chercheurs d’Amnesty International réfutent l’affirmation des autorités, selon lesquelles les organisations peuvent fonctionner librement sans ingérence de l’État. Dans son rapport, Amnesty International montre comment s’organise de façon systématique la prise de contrôle d’organisations indépendantes par des partisans du gouvernement, lorsque celles-ci contestent publiquement la politique ou les pratiques du gouvernement ou lorsqu’elles n’adhèrent pas inconditionnellement à la ligne du gouvernement et du parti au pouvoir. On peut citer l’exemple de l’Association des magistrats tunisiens (AMT) passée sous le contrôle de partisans du gouvernement en décembre 2005 après plusieurs bras de fer avec les autorités à propos de l’indépendance de la justice. On peut aussi citer l’exemple du Syndicat national des journalistes tunisiens (SNJT), repris en main après son refus de soutenir le candidat du gouvernement à l’élection présidentielle. Dans chaque exemple cité par Amnesty International, le désaccord exprimé par l’organisation indépendante a provoqué une riposte rapide de l’État et de ses partisans. Amnesty International met les autorités au défi de laisser la Ligue tunisienne des droits de l’homme (LTDH) exercer ses activités et organiser des rencontres ouvertes au public dans ses locaux.

Dans son rapport, Amnesty International cite également les atteintes aux droits fondamentaux de certaines personnes, placées sous surveillance, harcelées, visées par des campagnes de dénigrement et même persécutées sur la base d’accusations fabriquées de toutes pièces, voire agressées physiquement. En février 2010, le rapporteur spécial des Nations unies sur la situation des défenseurs des droits humains, expert des Nations unies, a appelé les autorités tunisiennes à cesser leur « campagne d’intimidation » physique et psychologique contre les défenseurs des droits humains. Amnesty International réitère cet appel et note que les autorités tunisiennes n’ont encore mené aucune enquête appropriée sur le harcèlement et les actes d’intimidation dont sont victimes des défenseurs des droits humains en Tunisie, des pratiques qui auraient l’approbation des autorités tunisiennes au plus haut niveau.

En avril 2000, Ali Ben Salem, défenseur des droits humains, a été torturé en garde à vue. Ali Ben Salem, âgé de plus de 70 ans, avait été laissé pour mort sur un chantier après avoir été sévèrement battu par des policiers. En novembre 2007, le Comité des Nations unies contre la torture a recommandé aux autorités tunisiennes d’ouvrir une enquête, de traduire en justice les auteurs présumés de ces actes de torture et d’indemniser Ali Ben Salem. À ce jour, les autorités n’ont pris aucune mesure visant à faire appliquer cette décision. Amnesty International appelle une nouvelle fois les autorités tunisiennes à se conformer à la décision du Comité des Nations unies.

Plus récemment, en juin 2010, le Comité des Nations unies pour les droits de l’enfant a instamment demandé aux autorités tunisiennes de « cesser immédiatement les actes de harcèlement et de persécution à l’encontre des défenseurs des droits humains et de libérer toutes les personnes arrêtées en raison de leur action en faveur des droits humains. »

Selon les autorités tunisiennes, les organisations de la société civile, syndicats compris, peuvent fonctionner de manière indépendante. En pratique, le seul syndicat est l’Union générale tunisienne du travail (UGTT), qui regroupe les syndicats officiellement enregistrés en Tunisie.

Amnesty International a enregistré de très nombreuses arrestations de syndicalistes au cours des mouvements populaires de protestation dans la région de Gafsa en 2008. Les syndicalistes Adnan Hajji, Bechir Laabidi, Adel Jayar et Tayeb Ben Othman faisaient partie des personnes condamnées à des peines de prison à l’issue de procès manifestement inéquitables. Ils ont été libérés sous condition à la suite d’une grâce présidentielle en novembre 2009, mais un journaliste qui avait couvert les manifestations est aujourd’hui menacé de prison.

L’appel interjeté par Fahem Boukadous contre sa condamnation a été rejeté le 6 juillet 2010. Le journaliste dont l’état de santé n’est pas bon et qui a été hospitalisé récemment pour des troubles respiratoires, est passible d’une peine de quatre années d’emprisonnement pour « appartenance à une organisation criminelle », « entente criminelle avec un groupe créé dans le but de préparer ou de commettre des attaques contre des personnes ou des biens » et « diffusion d’informations de nature à troubler l’ordre public » pour sa couverture des manifestations dans la région de Gafsa pour une chaîne de télévision par satellite. Le jugement avait été condamné par les partenaires internationaux de la Tunisie, notamment par les États-Unis qui avaient déclaré être « troublés » par la condamnation du journaliste et avaient critiqué les « restrictions à la liberté d’expression » en Tunisie.

Les autorités tunisiennes peuvent rejeter le rapport Amnesty International mais elles ne peuvent faire fi d’une opinion internationale de plus en plus critique à son égard. Dans son rapport de mai 2010 sur la situation des droits humains, l’Union européenne (UE) écrit « avoir pris note d’informations préoccupantes concernant le respect de la liberté d’expression et des médias et de la liberté d’association ». L’UE écrit en outre que « Des ONG actives dans la défense des droits de l’homme ont été souvent confrontées à différents obstacles qui ont entravé leur travail ».

Si les autorités tunisiennes sont confiantes quant à la situation des droits humains en Tunisie, elles ne devraient pas s’opposer à la visite d’experts des Nations unies, notamment celui chargé de la liberté d’expression ou l’expert en charge de la situation des défenseurs des droits humains qui sollicite l’autorisation de se rendre dans le pays depuis plus d’une dizaine d’années. Amnesty International renouvelle ses recommandations aux autorités tunisiennes et les appelle à cesser immédiatement le harcèlement et les actes d’intimidation à l’égard des défenseurs des droits humains et des personnes qui critiquent le gouvernement, à cesser de prendre des mesures contre la société civile indépendante et à mettre fin aux ingérences dans les affaires internes des associations et organisations de la société civile visant à les museler.

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