Tunisie. Les libérations sont bienvenues mais les manœuvres de harcèlement et d’intimidation doivent cesser

Déclaration publique

MDE 30/017/2006

Amnesty International se félicite de la libération récente de plus de 50 prisonniers politiques qui étaient détenus depuis longtemps en Tunisie, mais elle demeure préoccupée par le maintien en détention d’autres personnes et le harcèlement dont sont très souvent victimes ceux qui critiquent le gouvernement ou sont dans l’opposition. L’organisation appelle les autorités tunisiennes à faire preuve d’un plus grand respect des droits fondamentaux.

Quelque 54 prisonniers politiques ont été libérés le 5 novembre pour marquer le 19e anniversaire de l’accession au pouvoir du président Zine el Abidine Ben Ali, le 7 novembre 1987. Ils étaient tous incarcérés depuis plus de quatorze ans, après avoir été jugés de manière inique et reconnus coupables d’appartenance à l’organisation islamiste interdite Ennahda par les tribunaux militaires de Bouchoucha et Bab Saadoun, en 1992. Plusieurs d’entre eux, parmi lesquels Mohammed Akrout, Habib Louze et Abdallah Massaoudi, purgeaient une peine de réclusion à perpétuité. Toutes ces libérations sont conditionnelles. Si un prisonnier viole les conditions auxquelles est soumise sa libération, il pourra être de nouveau arrêté et devra purger le reste de sa peine ou sera assigné à résidence pendant la même période. C’est le ministre de la Justice qui choisira entre les deux sanctions, en dehors de tout processus judiciaire.

Au moins 100 prisonniers reconnus eux aussi coupables d’appartenance à Ennahda à l’issue de procès iniques au début des années 90 n’ont pas été libérés. Ils sont toujours détenus dans différentes prisons de Tunisie. Certains d’entre eux seraient en mauvaise santé ; torturés avant leur procès puis soumis pendant des années à des conditions carcérales extrêmement pénibles entrecoupées de longues périodes à l’isolement, ils auraient besoin de soins médicaux de toute urgence. Parmi eux se trouvent Ahmed Bouazizi, Ridha Boukadi et Sahbi Atig. En outre, les autorités tunisiennes détiennent toujours, en application de la loi antiterroriste de 2003, quelque 400 personnes qui seraient soupçonnées d’avoir voulu aller se battre en Irak.

Malgré ces libérations de prisonniers, les forces de sécurité tunisiennes continuent de harceler et de chercher à intimider les défenseurs des droits humains, les avocats et d’autres militants, ainsi que les proches de prisonniers politiques et les anciens détenus ; elles restreignent considérablement le droit à la liberté d’expression et d’association. Avocate spécialisée dans les droits humains et membre de l’Association internationale de soutien aux prisonniers politiques, Saida Akremi est constamment surveillée par des responsables de la sécurité qui interrogent fréquemment ses clients et leur suggèrent de faire appel à un autre avocat. Le 25 octobre, un policier en civil aurait suivi une des clientes de Saida Akremi qui quittait son cabinet ; il l’aurait terrorisée en lui arrachant son enfant de trois ans lorsqu’elle a refusé de lui montrer sa carte d’identité à la station de bus Barcelona, dans le centre de Tunis. L’homme s’est enfuit en courant mais a ramené l’enfant lorsque la mère, Samah Jendoubi, s’est lancée à sa poursuite en hurlant et en appelant au secours. Quelque temps plus tard, cette femme a fait une fausse couche en raison, semble-t-il, du stress causé par cette agression.

Le 25 octobre également, Samia Abbou, l’épouse du prisonnier d’opinion Mohammed Abbou, et deux de ses enfants âgés de dix et treize ans ont été menacés par des policiers armés, près de son domicile. Alors que plusieurs policiers étaient en poste dans le quartier, deux d’entre eux ont foncé à moto sur Samia Abbou et ses enfants : une manœuvre d’intimidation qui visait de toute évidence à leur faire peur. Le 24 octobre, l’épouse et deux enfants du prisonnier politique Hatim Zarrouk, et Sabiha Tayyachi, veuve de l’ancien prisonnier politique Hachemi Mekki, ont été agressés devant leurs domiciles ; ils ont été frappés, traînés jusqu’à un véhicule banalisé de la police et conduits dans un poste de police du quartier Sidi El Béchir à Tunis, où ils ont été détenus et interrogés pendant plusieurs heures avant d’être relâchés.

Au cours du mois dernier, des responsables de la sécurité ont également placé sous étroite surveillance le Conseil national pour les libertés en Tunisie (CNLT), organisation non gouvernementale de renom privée de reconnaissance légale, dans le but semble-t-il d’empêcher ou de dissuader les anciens prisonniers politiques ou des proches de prisonniers de s’y rendre. Certaines personnes étant parvenu à se rendre au CNLT auraient été arrêtées par la suite, conduites dans des postes de police voisins et contraintes à s’engager par écrit à ne plus entrer dans les bureaux du Conseil.

Selon certaines informations, des agents de sécurité seraient également postés autour du domicile du président du parti d’opposition non autorisé Congrès pour la République (CPR), Moncef Marzouki, de retour en Tunisie depuis octobre 2006 après s’être exilé volontairement en France pendant cinq ans, en vue là aussi d’empêcher ou de dissuader des personnes de lui rendre visite. Cet homme aurait été inculpé de provocation et de désobéissance civile, infractions passibles d’une peine pouvant aller jusqu’à trois ans d’emprisonnement, pour avoir, lors d’un entretien accordé à Al Jazira le 14 octobre, appelé les Tunisiens à manifester pacifiquement pour demander un plus grand respect de leurs droits.

Les autorités tunisiennes ont également intensifié le harcèlement contre les femmes portant le hijab (voile islamique). Ceci fait suite aux déclarations des ministres des Affaires étrangères et de l’Intérieur et du secrétaire général du parti politique au pouvoir, le Rassemblement constitutionnel démocratique (RCD), contre l’augmentation du port du hijab par les femmes et les jeunes filles, et de la barbe et du qamis (tunique) par les hommes. Ces propos allaient dans le sens d’une application plus stricte du décret 108 de 1985 du ministère de l’Éducation interdisant aux femmes de porter le hijab dans les établissements scolaires et lorsqu’elles travaillent pour le gouvernement. Des femmes auraient reçu l’ordre d’ôter leur voile avant d’être autorisées à entrer dans une école, une université ou un lieu de travail, et d’autres ont dû l’enlever dans la rue. Certaines auraient été conduites dans des postes de police où on leur aurait demandé de s’engager par écrit à ne plus porter le hijab. Amnesty International considère que tout individu a le droit de choisir de porter ou non le voile ou un autre vêtement religieux, droit qui s’inscrit dans la suite logique du droit à la liberté d’expression.

L’organisation appelle le gouvernement tunisien à respecter les obligations qui sont celles du pays aux termes des législations et des normes nationales et internationales, et à lever les mesures qui restreignent toujours l’exercice du droit fondamental à la liberté d’expression, d’association et de réunion pacifique. Amnesty International appelle également le gouvernement du président Ben Ali à mettre fin au harcèlement et aux tentatives d’intimidation à l’encontre des défenseurs des droits humains et des militants de la société civile, et à veiller à ce que les agents de l’État responsables de violations des droits humains à l’égard de ces personnes soient suspendus de leurs fonctions et déférés à la justice.

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