Communiqué de presse

Tunisie. Renforcer la protection des droits humains dans la nouvelle Constitution Il faut garantir l’égalité pour tous et réaffirmer les obligations du pays au regard du droit international

Déclaration conjointe d’Al Bawsala ; Amnesty International – Section tunisienne ; Human Rights Watch et Carter Center

Il est crucial que la nouvelle Constitution de la Tunisie soit mise en conformité avec les normes internationales des droits humains et les obligations de ce pays au regard du droit international, ont déclaré vendredi 3 janvier quatre organisations de défense des droits humains, au vu du vote article-par-article du projet de la Constitution qui sera entamé par l’Assemblée Nationale Constituante (ANC) le 3 janvier 2014.

Parmi les modifications les plus urgentes figure une affirmation claire que les conventions des droits humains ratifiées par la Tunisie sont obligatoires et priment sur les lois nationales ainsi que l’inclusion d’une disposition non discriminatoire énonçant le principe d’égalité entre l’homme et la femme dans toutes ses dimensions.

Le vote article-par-article et la première lecture du projet de la Constitution représentent l’étape finale du processus d’élaboration de la constitution, menant à l’adoption d’une constitution qui façonnera l’avenir de la Tunisie pour les générations futures. Les règles établies par l’assemblée exigent un vote séparé pour chaque article, avec une majorité absolue requise pour son approbation. L’assemblée devra alors approuver le projet dans sa globalité dans un vote séparé à la majorité des deux tiers. Si le projet n’obtient pas cette majorité, il sera de nouveau soumis au vote avec la même exigence des deux tiers. Si la deuxième tentative échoue, il sera soumis à un référendum national.

Al Bawsala, Amnesty International, Human Rights Watch et le Centre Carter, qui ont suivi indépendamment et dès son début le processus d’élaboration de la Constitution tunisienne, ont publié une déclaration commune le 24 juillet 2013 avec des recommandations en vue de renforcer les libertés et des droits humains dans la Constitution.

Suite à la publication du projet final de la Constitution le 1er juin 2013, l’assemblée a créé une « Commission des Consensus » chargée de parvenir à des accords sur les principales questions litigieuses de ce projet. Cette commission a travaillé avec des interruptions, mais avec des phases de travail intensif, afin de résoudre les différends, dans un contexte de crise politique déclenchée par l’assassinat du député Mohamed Brahmi, le 25 juillet 2013.

La commission a produit un nouveau projet de Constitution qui intègrent les points de consensus reflétant, pour certains, des recommandations émises par des groupes de défense des droits humains. Le 2 janvier 2014, la plénière de l’ANC a révisé le règlement intérieur qui rend les recommandations de la Commission de Consensus contraignantes pour les divers groupes parlementaires qui composent l’ANC.

Al Bawsala, Amnesty International, Human Rights Watch et le Centre Carter souhaitent saluer les efforts fournis par la Commission des Consensus pour arriver à des accords avant le début du vote afin d’éviter les blocages lors des débats en plénière, ainsi que pour avoir assuré un processus aussi inclusif que possible.

Les quatre organisations estiment que plusieurs des recommandations produites par la commission sont à même de renforcer la protection constitutionnelle des droits et libertés. Néanmoins, certaines de ces recommandations ne vont pas assez loin et plusieurs questions essentielles n’ont toujours pas été abordées.

Les organisations appellent vivement l’ANC à améliorer la protection des droits et libertés dans le nouveau projet et à tenir compte des recommandations suivantes qui n’ont pas été proposées par la Commission des Consensus :

• revoir la disposition sur la peine de mort dans la nouvelle Constitution. L’article 21 du dernier projet de Constitution prévoit que « le droit à la vie est sacré ; il ne peut lui être porté atteinte que dans des cas extrêmes fixés par la loi. » La formulation de cet article est vague car elle ne spécifie ni les cas ni les circonstances qui légitiment l’atteinte du droit à la vie. Les quatre organisations s’opposent à la peine de mort en toutes circonstances car elle constitue une violation inhérente du droit à la vie et du droit de ne pas subir de traitement inhumain, cruel ou dégradant ;

• amender la phrase « les droits de l’homme suprêmes/nobles et universels » dans le préambule, en supprimant « suprêmes/nobles » étant donné que cela pourrait être interprété comme impliquant l’existence d’une hiérarchie des droits de l’homme universels. La terminologie « suprêmes/nobles » a été introduite lors du 4e projet afin de remplacer une référence controversée aux « spécificités culturelles du peuple tunisien ». Même si la nouvelle formulation peut être considérée comme une amélioration, l’apposition de « suprêmes/nobles » pourrait réintroduire une nouvelle relativité et éroder l’essence même des droits de l’homme universels, qui sont par nature indivisibles, interdépendants et inter-reliés ;

• amender l’article 19 afin d’assurer que tous les traités « dûment approuvés et ratifiés » par la Tunisie, sans exception, ont une valeur supérieure au droit national ; la formulation actuelle de l’article garantit seulement la suprématie des traités ratifiés par l’Assemblée des Représentants du Peuple, qui est le nom du futur organe législatif. Ceci pourrait signifier que les traités approuvés par les organes législatifs précédents n’auraient pas la même valeur juridique supérieure. L’article 19 devrait se référer à tous les traités « dûment approuvés et ratifiés » au lieu de faire référence à ceux approuvés par l’Assemblée des Représentants du Peuple, afin d’éviter une telle différentiation ;

• renforcer d’avantage l’article 48 en incluant une disposition obligeant les juges à toujours interpréter les textes de loi, y compris la Constitution, de manière plus favorable à l’application d’un droit ou d’une liberté fondamentale, en précisant qu’ils doivent tenir compte de l’interprétation des traités relatifs aux droits humains par tous les organes conventionnels, en tant que norme minimale ;

• renforcer les garanties des droits économiques, sociaux et culturels, en précisant que la Tunisie a l’obligation d’assurer progressivement le plein exercice de ces droits, en utilisant le maximum des ressources disponibles dans le pays, notamment en prévoyant des mécanismes spécifiques pour mettre graduellement en œuvre ces droits ;

• consacrer les principes d’égalité et de non-discrimination devant la loi et les appliquer à toute personne relevant de la juridiction nationale tunisienne, les citoyens comme les étrangers. L’article 20 devrait préciser que la discrimination, directe et indirecte, est interdite pour des raisons de race, de couleur, de sexe, de langue, de religion, d’opinion politique ou autre, d’origine nationale ou sociale, de propriété, de naissance ou toute autre situation, et que les lois ou politiques étatiques discriminatoires sont inconstitutionnelles. Le projet actuel limite la protection des droits aux citoyens et ne précise pas les motifs de discrimination interdits ;

• énoncer le principe d’égalité entre les hommes et les femmes dans toutes ses dimensions. La Constitution devrait préciser que les hommes et les femmes sont égaux et ont droit à la pleine égalité en droit et en fait, ainsi qu’à l’égalité des chances dans tous les domaines de la vie – qu’ils soient civils, culturels, économiques, politiques ou sociaux, tels que définis dans les normes internationales relatives aux droits humains. L’article 45 devrait spécifier l’égalité en opportunité et droits entre les hommes et les femmes. La phrase suivante devrait être amendée : « L’État prend toutes les mesures nécessaire pour éliminer la violence contre la femme » pour y inclure « toutes formes de discrimination et de violence ». L’Assemblée devrait envisager d’ajouter une disposition visant à amener l’État à adopter des mesures positives dans tous ces domaines pour parvenir à une émancipation effective et égale des femmes ;

• préciser clairement dans l’article 79 que toute restriction aux droits et libertés en situation d’état d’urgence doit être définie par la loi, manifestement nécessaire dans le but de protéger un objectif légitime, d’une manière qui soit proportionnée à la protection de cet objectif, pour une durée limitée, nécessaire aux exigences de la situation, et sous réserve de contrôle constitutionnel juridictionnel. En outre, préciser que les droits considérés comme intangibles, ou absolus, par le droit international, tels que l’interdiction de la torture et de l’esclavage et le droit à la liberté de conscience demeurent protégés et interdire leur restriction en vertu des pouvoirs d’urgence ;

• indiquer clairement une interdiction des traitements ou peines cruels, inhumains et dégradants et faire respecter le principe de non-refoulement, c’est-à-dire le retour forcé vers un pays où il y a un risque sérieux de persécution ;

• intégrer dans l’article 104 les normes internationales sur l’indépendance de la magistrature, notamment l’affirmation sans équivoque de la garantie d’inamovibilité, ainsi que les garanties relatives à la nomination, l’évolution de la carrière et la discipline. Préciser que la révocation des juges n’est possible que pour faute grave, à la suite de garanties d’un procès équitable et lorsque décidée par un haut conseil de la magistrature. De plus, le chapitre sur le pouvoir judiciaire devrait inclure des garanties solides de l’indépendance du parquet vis-à-vis du pouvoir exécutif.

Les organisations appellent également l’ANC à adopter les formulations proposées par la Commission des Consensus :

• adopter le texte du projet recommandé par la Commission des Consensus afin de supprimer les restrictions excessives sur les droits et libertés dans la majorité des dispositions, y compris la liberté de circulation, la liberté d’expression et information, et la liberté de manifestation ;

• adopter le texte présenté par la Commission des Consensus renforçant la formulation de l’article 48 (clause de limitation générale des droits et libertés). La commission a proposé un texte qui reflète mieux les obligations juridiques internationales de la Tunisie en disposant que n’importe quelle restriction sur les droits et libertés devrait être limitée à ce qui est « nécessaire et proportionnel pour la protection d’un but légitime » ;

• adopter le texte présenté par la Commission des Consensus concernant les dispositions transitoires, notamment, l’octroi à la Cour Constitutionnelle, et ce, dès sa création qui doit se faire dans l’année qui suit les élections législatives, d’un pouvoir total pour contrôler la constitutionnalité des lois (chapitre 10) et l’extension du droit de saisine de la cour au premier ministre ainsi qu’à 30 membres de l’Assemblée des Représentants du Peuple, en plus du Président de la République comme prévu initialement.

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