Tunisie : Réparer les injustices passées, une étape indispensable pour une justice équitable

AI Index : MDE 30/022/2002

Après avoir documenté la situation des prisonniers d’opinion et des
prisonniers politiques qui purgent des peines depuis plus d’une décennie
dans les prisons tunisiennes, Amnesty International lance un appel urgent
aux autorités de ce pays pour réparer les injustices passées.

"Tous les prisonniers d’opinion doivent être libérés, immédiatement
et inconditionnellement", a déclaré Amnesty International. "En outre,
nous appelons à la libération des prisonniers politiques, sauf si nos
recommandations à ce qu’ils soient rejugés lors de procès équitables sont
immédiatement suivies d’effet ."

Cette déclaration intervient après le retour à Londres d’une
délégation d’Amnesty International qui s’est rendue en Tunisie du 22
septembre au 3 octobre 2002. Les membres de la délégation ont pu rencontrer
des avocats, des défenseurs des droits humains et des responsables
d’associations. Ils ont pu également recueillir les témoignages de victimes
de violations des droits humains et de leurs proches.

La délégation d’Amnesty International a été reçue par des hauts
responsables au Ministère de la Justice et des Droits de l’Homme ainsi
qu’au Ministère de l’Intérieur. Les délégués ont également pu s’entretenir
avec la direction du Comité Supérieur des Droits de l’Homme et les Libertés
Fondamentales.

Dans le cadre de cette mission, les délégués d’Amnesty International
ont mis l’accent sur la situation de ceux qui ont été arrêtés, détenus et
emprisonnés à la suite de procès inéquitables depuis le début de la
décennie 1990. Ils se sont notamment interessés à la situation des dizaines
de sympathisants du mouvement non autorisé Ennahda (Renaissance) qui ont
été jugés et condamnés par les tribunaux militaires de Bab Saadoun et
Bouchoucha en août 1992. Le caractère gravement inéquitable de ces procès
de masse, alors observés par l’organisation, ne fait aucun doute : les
accusés ont affirmé avoir été torturés pendant leur détention et contraints
d’avouer qu’ils avaient participé à un complot contre le gouvernement,
aveux qu’ils ont ensuite récusé à l’audience ; aucune enquête impartiale et
indépendante n’a été ouverte suite aux allégations de torture ;
l’accusation reposait presque exclusivement dans les deux procès sur des
aveux non corroborés qui, selon les accusés, leur avaient éte arrachés sous
la torture ou étaient faux.

Venant corroborer les précédentes analyses d’Amnesty International et
d’autres organisations de défense des droits humains, les témoignages
recueillis confirment l’existence d’un " cycle de l’arbitraire" en Tunisie.
Par arbitraire, sont qualifiés l’ensemble des mesures prises par les
autorités en infraction aux dispositions du droit tunisien et des traités
internationaux auxquels la Tunisie est partie, notamment le Pacte
international relatif aux droits civils et politiques et la Convention pour
l’abolition de la Torture.

En Tunisie, des milliers de citoyens, opposants ou opposants
présumés, ont fait l’expérience du cycle infernal de l’arbitraire : ce
cycle a commencé dès le début de la décennie 1990 par les conditions
d’arrestations et détentions qui violaient les principes du droit, puis
s’est poursuivi par des interrogatoires sous la torture, avant d’être
ponctué par des condamnations prononcées à la suite de procès inéquitables.
Ceci s’est déroulé dans un climat d’impunité où les responsables présumés
d’actes de torture n’ont pas été inquiétés.

Les prisonniers politiques et les prisonniers d’opinion ont également
fait l’objet, durant leur incarcération, de mesures arbitraires. Certains
ont été détenus dans l’isolement le plus total durant des mois, voire des
années, ce qui constitute un traitement cruel, inhumain et dégradant, voire
un acte de torture. Parmi eux, Sadok Chourou, professeur à la Faculté des
Sciences de l’Université de Tunis et ancien président du mouvement Ennahda
condamné à la réclusion à perpétuité par le tribunal militaire de
Bouchoucha le 28 août 1992, aurait été maintenu dans l’isolement depuis son
arrestation en décembre 1990.

" Infliger à un homme l’isolement total pendant des années est un
acte cruel et inacceptable," a déclaré Amnesty International.

Au moins jusqu’en 1999, la plupart des prisonniers politiques ou
d’opinion étaient contraints à ne pas parler à ceux qui partageaient leur
cellule. Apparemment avec l’intention de rendre difficile les visites de la
famille, les transferts et mesures d’éloignement par rapport au domicile
familial ont été et demeurent pratique courante. Tout ceci se joue dans un
contexte général de surpeuplement des prisons et de manque d’hygiène.

Dans la plupart des cas, les plaintes de prisonniers sont restées
sans suite, et leurs appels n’ont été que rarement entendus. Dans plusieurs
cas, les décès en prison n’ont pas fait l’objet d’une enquête impartiale et
indépendante. Il est également préoccupant de constater la quasi-absence de
mécanismes d’inspection des prisons, en dehors, semble-t-il, des visites du
Comité Supérieur des Droits de l’Homme et les Libertés Fondamentales qui
rapporte de manière confidentielle directement au Président de la
République.

Même si la situation dans les prisons a connu quelque amélioration
depuis 1999, apparemment suite à la libération de centaines de prisonniers
politiques et d’opinion, saluée en son temps par Amnesty International, les
témoignages concordent quant au caractère dégradant et humiliant des
conditions de détention. La promulgation en mai 2001 d’une loi sur
l’administration des prisons est un signe positif, encore faut-il qu’elle
soit rigoureusement mise en pratique pour l’ensemble des prisonniers. A cet
égard, il faut que les juges d’exécution des peines, fonction récemment
instaurée, puissent assurer, en toute indépendance, la conformité de la
pratique aux principes.

"Nous appelons en outre les autorités tunisiennes à lever les
mesures arbitraires imposées à des centaines d’anciens prisonniers », a
ajouté Amnesty International. "En Tunisie, le cycle de l’arbitraire se
poursuit en effet souvent après la libération".

Contrairement à la loi tunisienne qui encourage la réinsertion du
prisonnier, les témoignages recueillis par Amnesty International conduisent
au constat que l’arsenal de mesures arbitraires empêche
la réinsertion des anciens prisonniers politiques ou d’opinion. Des
centaines d’anciens prisonniers semblent être dans l’impossibilité de se
réinscrire à l’Université pour poursuivre des études. De nombreux anciens
prisonniers sont astreints à signer à un ou des postes de police, mesure
arbitraire imposée sous couvert de la peine complémentaire du Contrôle
administratif. Reprendre une vie professionnelle est souvent impossible
pour les anciens prisonniers, notamment à cause des pressions exercées sur
les employeurs. Pour certains anciens prisonniers, l’arsenal des mesures va
jusqu’à de nouvelles arrestations et détentions arbitraires.

" Les récents procès inéquitables, notamment devant des tribunaux
militaires, font craindre que le cycle de l’arbitraire ne continue à se
reproduire. Les autorités tunisiennes peuvent, et doivent, briser ce cycle
et faire en sorte que les dispositions du droit tunisien et des traités
internationaux soient appliquées", a ajouté Amnesty International.

"Reconnaître et réparer le tort des mesures arbitraires passées est
la condition sine qua non pour réaliser en Tunisie l’exigence d’une justice
équitable, droit fondamental du citoyen", a conclu Amnesty International.
"Nous appelons les autorités tunisiennes à faire preuve d’un véritable
changement dans la garantie et la protection des droits humains."

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