Tunisie. Une vague de répression s’abat sur les défenseurs des droits humains

Déclaration publique

ÉFAI-
7 juillet 2009

À l’approche des élections présidentielle et législatives prévues en octobre 2009, Amnesty International s’inquiète du nombre croissant d’actes d’intimidation, de harcèlement et de brutalité perpétrés contre des personnes exprimant des opinions critiques vis-à-vis du gouvernement tunisien. Sur fond d’intensification de la répression contre les défenseurs des droits humains, notamment des avocats et des journalistes, par des agents de la sûreté de l’État au cours du mois dernier, Amnesty International insiste sur le fait que la liberté d’expression, d’association et de réunion est une condition préalable à l’instauration d’un débat libre, indispensable dans la période préélectorale et souligne que le mauvais bilan de la Tunisie en matière de droits humains ne doit pas être un sujet tabou. Amnesty International appelle les autorités tunisiennes à mettre fin au harcèlement et aux attaques menées contre les défenseurs des droits humains et à autoriser la tenue d’un débat libre sur la situation des droits humains dans le pays.

Les défenseurs des droits humains en Tunisie sont confrontés à diverses formes de harcèlement par les autorités, notamment des filatures et une surveillance étroite de leurs bureaux et domiciles ainsi que le brouillage ou blocage de leurs lignes téléphoniques, de leur accès internet et de leurs courriels. Les membres locaux des organisations de défense des droits humains ont également été ouvertement mis sous surveillance des agents de la sûreté de l’État qui cherchent à dissuader et intimider les membres et sympathisants de ces organisations, ainsi que les victimes d’atteintes aux droits humains qui pourraient chercher à les contacter. Les avocats dénonçant des violations des droits humains sont également pris pour cible. Ils font l’objet d’une surveillance étroite, d’actes d’intimidation et de harcèlement. Leurs clients ou clients potentiels sont l’objet d’actes d’intimidation de la part des responsables de la sûreté de l’État qui font pression sur eux pour qu’ils changent d’avocat. Des campagnes de dénigrement sont organisées dans les médias contrôlés par l’État pour salir la réputation des défenseurs des droits humains. Des organisations indépendantes de défense des droits humains et d’autres organisations de la société civile se voient refuser le droit de se faire enregistrer légalement ou sont confrontées à des poursuites judiciaires à caractère politique qui paralysent pratiquement leur action.

Au cours de ces dernières semaines, la répression contre les défenseurs des droits humains semble s’être intensifiée.

Le 1er juillet 2009, Lotfi Amdouni, membre d’Amnesty International Tunisie et de l’Association internationale de soutien aux prisonniers politiques (AISPP) s’est vu empêcher de quitter son domicile à deux reprises. Les cinq agents de la sûreté de l’État encerclant sa maison lui ont dit agir conformément aux ordres qui leur avaient été donnés d’empêcher sa participation à l’Assemblée générale annuelle d’Amnesty International Tunisie. Ils l’ont mis en garde contre toute tentative de quitter son domicile. Au cours de la semaine passée, le domicile de Lotfi Amdouni a été ouvertement sous surveillance et des membres de sa famille ont fait l’objet d’actes d’intimidation et ont été interrogés sur leurs activités. Tout comme un certain nombre d’autres membres d’Amnesty International, il n’a pu assister à l’Assemblée générale annuelle d’Amnesty International qui a eu lieu les 4 et 5 juillet 2009.

Depuis son retour en Tunisie, après un séjour en France et en Belgique en juin 2009, à l’invitation d’Amnesty International, au cours duquel il a rencontré des représentants des autorités et de la presse pour dénoncer la situation des droits humains en Tunisie, Mohammed Abbou fait l’objet d’une campagne de dénigrement dans la presse tunisienne.

Le 23 juin 2009, les avocats et défenseurs des droits humains Radhia Nasraoui, Abdelraouf Ayadi et Abdelwahed Maatar ont été malmenés par les agents de la sûreté de l’État tunisiens à leur retour de Genève où ils avaient assisté à une conférence donnée par des exilés tunisiens pour dénoncer les atteintes aux droits humains en Tunisie. Ils ont été soumis à une fouille corporelle, leurs bagages et tous leurs documents ont été inspectés. Abdelraouf Ayadi, cinquante-neuf ans, a été bousculé, frappé, a reçu des coups de pied des membres des forces de sécurité alors qu’il se trouvait au sol ; quatre policiers l’ont ensuite soulevé de terre pour l’emmener dans un bureau où il a été fouillé et où ses bagages ont été inspectés. Après cette bousculade, les vêtements d’Abdelraouf Ayadi étaient déchirés et un de ses genoux saignait. Un agent de la sûreté de l’État a tordu le bras de Radhia Nasraoui lorsqu’elle a essayé d’appeler son mari et a fait tomber son téléphone au sol – son porte-documents, qui contenait son ordinateur portable, a aussi été jeté par terre. Abdelwahed Maatar a été insulté par quatre agents des forces de sécurité à l’aéroport de Sfax, giflé (ses lunettes se sont cassées en deux) et retenu pendant deux heures parce qu’il refusait de se soumettre à une fouille corporelle.

Radhia Nasraoui, avocate et défenseure des droits humains, est la cible d’une campagne d’intimidation depuis quelques mois. Elle avait déjà subi une fouille corporelle et avait été insultée à l’aéroport à son retour de Paris le 19 mai 2008. Sa maison avait reçu la visite d’agents de la sûreté de l’État dans la nuit du 24 avril, les clés de la maison, de sa voiture et de son bureau avaient été volées alors qu’elle se trouvait à Kampala pour participer à la Conférence panafricaine des défenseurs des droits humains. Elle avait déposé plainte mais n’a pas eu de nouvelles depuis.

Un autre défenseur des droits humains, Ammar Amroussia, a été agressé par six agents de la sûreté de l’État le 15 mai 2009 dans la ville de Gafsa où il était venu voir l’épouse de Adnan Hajji, prisonnier d’opinion (injustement emprisonné pour avoir été à la tête des manifestations qui ont éclaté dans la région de Gafsa l’année dernière). Un peu plus tard, le 21 mai, il a été empêché par la violence de rencontrer Radhia Nasraoui, son avocate, à Gafsa.

Lors de la présentation d’un rapport du Syndicat national des journalistes tunisiens (SNJT) sur la liberté de la presse le 4 mai 2009, des journalistes connus pour être favorables au gouvernement ont interrompu la conférence de presse. Trois membres du bureau exécutif, proches du gouvernement, ont donné leur démission dans le but de provoquer de nouvelles élections et ont fait circuler une pétition, avec l’appui semble-t-il du ministère des Communications, appelant à la révocation des membres du bureau exécutif et réclamant une réunion extraordinaire pour élire un nouveau bureau. Des membres du syndicat ont fait l’objet de pressions et d’intimidation pour signer la pétition, certains ont été menacés de licenciement et une campagne de dénigrement a été lancée contre les membres du bureau exécutif du syndicat.

Le début de la vague de répression actuelle remonte à janvier 2009, lorsque les autorités tunisiennes ont fermé la radio indépendante, Radio Kalima. Le 27 janvier 2009, des policiers en civil ont encerclé les studios de Kalima Radio qui avait commencé la veille à émettre par satellite. Après trois jours de blocus, les locaux de la radio ont été fermés et placés sous scellés et tout le matériel saisi. Plusieurs actes d’intimidation et de harcèlement ont été perpétrés au cours du blocus. Sihem Ben Sedrine, rédactrice en chef de Kalima Radio et défenseure des droits humains, fait l’objet d’une enquête pour avoir fourni des services de télécommunication sans autorisation préalable.

Tous ces évènements s’inscrivent dans un contexte de violations des droits humains des défenseurs, notamment des avocats, journalistes et autres militants qui osent montrer leur désaccord avec le statu quo politique et dénoncent les atteintes aux droits fondamentaux des personnes en Tunisie. En juin 2009, tandis que Mohamed Abbou, avocat et défenseur des droits humains, était finalement autorisé à voyager après presque deux années de refus répétés, les autorités tunisiennes s’opposaient aux actions des défenseurs des droits humains par des actes d’intimidation et de répression, tout en affirmant à l’AFP que les défenseurs des droits humains, les membres de partis politiques et d’associations jouissent pleinement de tous leurs droits et mènent leurs actions sans rencontrer le moindre obstacle, qu’ils peuvent circuler et exprimer leur opinion librement.

Amnesty International craint qu’en dépit de ces déclarations, les actes d’intimidation, de harcèlement et de répression ne se multiplient à l’approche des élections présidentielle et législatives dans le but de faire taire les critiques.

Amnesty International appelle les autorités tunisiennes à respecter leurs obligations au titre de l’article 8 de la Constitution tunisienne et des articles 19, 21 et 22 du Pacte international relatif aux droits civils et politiques, auquel la Tunisie est État partie, garantissant le droit à la liberté d’expression de réunion et d’association. L’organisation demande instamment aux autorités tunisiennes de mettre fin immédiatement à la répression de l’opposition et aux actes d’intimidation, de harcèlement et de brutalité contre les défenseurs des droits humains.

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