DECLARATION PUBLIQUE
ÉFAI-
5 novembre 2009
Le 29 octobre 2009, le tribunal de Dachogouz a condamné à cinq années d’emprisonnement Andreï Zatoka, défenseur de l’environnement et militant connu pour son engagement au sein de la société civile au Turkménistan, pour blessures volontaires de gravité moyenne infligées à autrui. Selon l’ONG Initiative turkmène pour les droits humains et plusieurs autres sources, les normes internationales d’équité des procès n’ont pas été respectées dans ce dossier. Amnesty International considère Andreï Zatoka comme un prisonnier d’opinion.
Andreï Zatoka a été arrêté le 20 octobre 2009 à Dachogouz. Selon son avocat, il faisait ses courses au marché de la ville vers 12h20 lorsqu’un inconnu s’est approché de lui et lui a décoché plusieurs coups de poing. Andreï Zatoka aurait d’abord essayé de le tenir à distance avant de réaliser que c’était une agression planifiée et d’appeler la police. Deux policiers qui se trouvaient à proximité ont conduit les deux hommes au poste de police le plus proche. Selon l’ONG Initiative turkmène pour les droits humains, une heure plus tard environ, à15 heures, un rapport médical était disponible sur les blessures de l’autre homme qui était ensuite relâché. Andreï Zatoka, qui avait pourtant reçu des coups de poing sur la place du marché, n’a subi aucun examen médical. Il a ensuite été emmené au centre de détention dépendant du ministère de l’Intérieur où des fonctionnaires lui ont indiqué qu’il serait détenu pendant quinze jours pour « hooliganisme ».
Dans la soirée, il a été informé qu’il resterait en détention car il était soupçonné d’avoir infligé des blessures « de gravité moyenne » à l’homme sur le marché. Les fonctionnaires lui ont dit que les déclarations d’experts médicaux et de deux témoins corroboraient ces accusations. Selon l’ONG Initiative turkmène pour les droits humains, « les vendeurs et clients présents sur le marché qui ont assisté à la scène n’ont pas été convoqués comme témoins » par la police. Amnesty International a appris le 23 octobre qu’Andreï Zatoka avait été inculpé pour avoir « infligé intentionnellement des blessures de gravité moyenne » (article 108, paragraphe 2 du Code pénal du Turkménistan) et encourait une peine pouvant aller jusqu’à cinq années d’emprisonnement.
L’épouse d’Andreï Zatoka, Ievguenïa Zatoka, a assisté à l’audience et déclaré dans une lettre ouverte publiée par l’Union sociale et écologique internationale que l’expertise médicale pratiquée sur la victime supposée de l’agression avait été rédigée en mai 2009 et qu’en conséquence les blessures constatées ne pouvaient être liées aux évènements du 20 octobre. Au cours du procès, l’avocat de la défense a mis en doute le fait qu’il s’agisse d’une blessure récente et s’est interrogé sur le fait de savoir si la radio présentée était bien celle du bras de la victime présumée, mais sa requête aux fins d’une nouvelle expertise par un médecin spécialiste de traumatologie et aux fins de comparution des témoins présents sur le marché au moment des faits a été rejetée par le juge sans aucune motivation. Aucun observateur international n’a pu assister au procès, faute d’avoir pu obtenir l’autorisation de voyage obligatoire pour se rendre à Dachogouz, la date du procès n’ayant été annoncée que quelques jours avant sa tenue, peu avant les 27 et 28 octobre, deux jours fériés à l’occasion de la Fête nationale.
Le faible nombre de jours écoulés entre l’arrestation et le procès témoigne d’une absence préoccupante d’enquête approfondie et impartiale. Dans sa plaidoirie, l’avocat d’Andreï Zatoka a déclaré : « L’enquête a été conclue en deux jours (22 et 23 octobre). Le 24 octobre, le dossier était bouclé et à 17h20, Andreï Zatoka était informé de son inculpation. L’affaire a été portée devant le tribunal à 17h40 et l’audience immédiatement fixée au 29 octobre. Cette rapidité inhabituelle donne l’impression que toute cette affaire a été commanditée. »
Le 27 octobre 2009, Amnesty International a diffusé une Action urgente (index AI : EUR 61/006/2009) concernant Andreï Zatoka, demandant instamment aux autorités de veiller à ce qu’il soit protégé de toute forme de torture ou autres mauvais traitements, qu’il puisse consulter régulièrement un avocat de son choix et recevoir les soins médicaux que son état pourrait exiger.
Amnesty International considère que la condamnation d’Andreï Zatoka repose sur une enquête qui n’a été ni efficace ni approfondie et qu’elle a été prononcée à l’issue d’un procès inéquitable ; l’organisation pense qu’il a été pris pour cible en raison de son action pacifique en faveur de la protection de l’environnement. Amnesty International considère donc Andreï Zatoka comme un prisonnier d’opinion, détenu uniquement pour ses actions en faveur des droits humains. L’organisation appelle les autorités à le libérer sans délai et sans condition.
En outre, Amnesty International appelle le président Gourbangouly Berdymoukhammedov à tenir ses promesses de réforme en faveur des droits humains et à libérer rapidement les prisonniers d’opinion, assurer la tenue de procès équitables, mettre fin aux disparitions forcées, actes de torture et autres mauvais traitements et lever les restrictions imposées à la liberté d’expression des journalistes et militants de la société civile ainsi qu’à la liberté de religion.
Complément d’information
Andreï Zatoka a quitté la Fédération de Russie pour s’installer avec sa famille au Turkménistan en 1982, et il a travaillé au parc national de Kaplankyr, dans le nord du pays, jusqu’en 1992. Il est membre du conseil de l’Union sociale et écologique internationale, une organisation réunissant plus de 340 groupes écologistes, établis principalement dans les pays de l’ancienne Union soviétique. Au Turkménistan, il a partagé la présidence d’un groupe de défense de l’environnement, le Club écologique de Dachogouz (CED), qui existe depuis décembre 1992 mais a été fermé en 2003 dans le cadre de mesures restrictives prises par le gouvernement envers les ONG.
En décembre 2006, Andreï Zatoka avait été arrêté par la police à l’aéroport de Dachogouz pour trouble à l’ordre public. Les origines de cette accusation n’ont pas été clairement établies. Il s’apprêtait à prendre un avion pour la capitale du Turkménistan, Achgabat, avant de se rendre à Moscou le lendemain pour y rejoindre des membres de l’Union sociale et écologique internationale et passer ses vacances avec sa famille en Russie. Par la suite, il a dû répondre de quatre chefs d’inculpation, dont l’acquisition ou la détention illicite d’armes ou d’explosifs, et la diffusion illicite de substances actives ou toxiques. Amnesty International et de nombreuses autres organisations de défense des droits humains avaient exprimé leur crainte qu’il n’ait été pris pour cible en représailles à ses activités, pourtant non violentes, de militant écologiste (voir l’Action urgente EUR 61/001/2007).
En janvier 2007, le tribunal municipal de Dachogouz a déclaré Andreï Zatoka coupable et l’a condamné à trois d’emprisonnement avec sursis. Cette peine a été annulée dans le cadre d’une grâce présidentielle collective concernant quelque 9 000 prisonniers. Cependant, depuis juin 2008, Andreï Zatoka a l’interdiction de quitter le pays. Alors qu’il possède la double nationalité turkmène et russe et que ses enfants vivent en Russie, il n’a pas pu voir ces derniers ni ses autres proches en Russie depuis plus de deux ans. Il a adressé plusieurs courriers au ministère de la Sécurité nationale et au service de l’immigration, dans lesquels il demandait pourquoi il ne pouvait pas se rendre à l’étranger, mais il n’a jamais obtenu d’explication.
Dans une lettre datée de juin 2008 qu’Andreï Zatoka a laissée à des personnes qu’il connaît pour le cas où il serait « arrêté ou victime d’une disparition forcée ou autre circonstance malheureuse », il a écrit qu’il pensait être surveillé par les services de sécurité et qu’il craignait que les autorités ne l’arrêtent sur la base d’accusations forgées de toutes pièces.
Les défenseurs de l’environnement figurent parmi les militants fréquemment soumis à des interrogatoires et d’autres formes de harcèlement par les autorités. Certains ont déjà été torturés ou victimes d’autres mauvais traitements, arrêtés arbitrairement ou emprisonnés. Défenseurs des droits humains, journalistes, avocats et autres continuent d’être confrontés à des actes d’intimidation, voire des poursuites lorsqu’ils osent critiquer les violations des droits humains au Turkménistan. À de nombreuses reprises, Amnesty International a appelé les autorités turkmènes à prendre des mesures concrètes pour faire respecter le droit à la liberté d’expression, d’association et de réunion et les normes garantissant l’équité des procès. Ces droits sont inscrits dans le droit international, notamment dans le Pacte international relatif aux droits civils et politiques auquel le Turkménistan est État partie.