À l’occasion du dixième anniversaire des événements survenus en novembre 2002 au Turkménistan, Salil Shetty, le secrétaire général d’Amnesty International, a appelé le président du Turkménistan à révéler ce qu’il était advenu des personnes accusées, lors de procès inéquitables, d’avoir participé à une tentative d’assassinat visant le président de l’époque ; à enquêter sur tous les cas de disparitions forcées, et à faire en sorte que les auteurs de ces actes soient traduits en justice, conformément aux normes internationales en matière de procès équitables.
Il y a dix ans, le 25 novembre 2002, le cortège de Saparmourad Niyazov, président du Turkménistan à l’époque, a été attaqué. Selon les autorités, des partisans de l’opposition ont attaqué le cortège présidentiel dans la capitale du pays, Achgabat, afin de l’assassiner et de renverser le régime. Cette prétendue tentative d’assassinat a laissé indemne le président et déclenché une nouvelle vague de répression. Nombre de violations des droits humains ont entaché le processus d’enquête sur l’attaque en question et les procès qui y ont fait suite. Amnesty International craint que des dizaines de personnes n’aient été victimes de disparition forcée après ces événements.
Au moins 59 personnes ont été condamnées au cours de procès inéquitables entre décembre 2002 et janvier 2003, notamment Boris Chikhmouradov, ministre des Affaires étrangères de 1995 à 2000, son frère, Konstantin Chikhmouradov, et Batyr Berdev, ministre des Affaires étrangères de 2000 à 2001 et ancien représentant du Turkménistan à l’OSCE (Organisation pour la sécurité et la coopération en Europe). Ces personnes ont reçu des peines allant de cinq ans de prison à la perpétuité pour leur implication supposée dans la tentative d’assassinat. Nombre d’entre elles ont été qualifiées de « traîtres à la patrie ». Dans la plupart des cas, ces personnes étaient accusées d’avoir « comploté en vue de renverser le gouvernement par la violence et/ou de changer la Constitution », d’avoir « tenté d’assassiner le président » et d’avoir « mis en place une organisation criminelle ou participé à ses agissements ». Boris Chikhmouradov a été condamné à vingt-cinq ans d’emprisonnement lors d’un procès à huis clos le 29 décembre 2002. Sa peine aurait été changée en détention à perpétuité le lendemain par le Conseil du peuple. Son frère Konstantin a été condamné à dix-sept ans d’emprisonnement et Batyr Berdev à vingt-cinq ans d’emprisonnement.
Les autorités se refusent toujours à révéler le lieu de détention de ces prisonniers, à laisser leur famille et des organes indépendants tels que le Comité international de la Croix-Rouge leur rendre visite, et à répondre aux allégations selon lesquelles au moins huit d’entre eux seraient morts en détention. Les membres et les avocats de la famille n’ont pas pu rendre visite à ces personnes, ni avoir connaissance de leur situation. Depuis l’arrestation de son mari, Boris Chikhmouradov, le 25 décembre 2002, Tatiana Chikhmouradova a écrit à plusieurs reprises aux pouvoirs publics afin d’évoquer le cas de son époux et de son beau-frère. Elle n’a cependant reçu aucune information et ses lettres sont restées sans réponse. Selon certaines informations, les autorités harcèlent et menacent les proches des détenus qui se manifestent.
Dans une autre affaire de détention au secret, Tirkish Tyrmyev, ancien commandant des troupes frontalières du Turkménistan, a été condamné à dix ans d’emprisonnement pour abus de pouvoir en 2002. Ses proches sont sans nouvelles de lui depuis mai 2002. En mars de cette année, ils ont été informés que Tirkish Tyrmyev avait reçu une condamnation supplémentaire de sept ans et onze mois alors que sa date de libération était proche, pour une prétendue infraction contre un gardien de prison.
Amnesty International a reçu des informations selon lesquelles de nombreuses personnes accusées d’être impliquées dans la prétendue tentative d’assassinat, ainsi que leurs proches, avaient été soumis à des tortures, à divers mauvais traitements et à des pressions psychologiques. Ces pressions visaient à extorquer des « aveux » aux détenus concernant leur implication dans l’attentat, à incriminer d’autres personnes ou à renseigner la police sur la situation de personnes recherchées. Plusieurs détenus ont ainsi dû « avouer » publiquement ou dénoncer publiquement des proches. Les « aveux » de Batyr Berdev et de Boris Chikhmouradov ont été diffusés à la télévision les 18 et 29 décembre 2002 respectivement. Selon les sources, le texte de leurs « aveux » leur aurait été dicté. Il semblerait que plusieurs dizaines d’accusés condamnés au cours de procès à huis clos n’ont pas été représentés par des avocats indépendants. Plusieurs avocats auraient en effet commencé leur plaidoirie par « J’ai honte de défendre quelqu’un comme vous. »
Les accusés auraient dû signer un document disant qu’ils avaient connaissance de leur cas et des chefs d’accusation les concernant, sans avoir pu réellement étudier ces informations. On aurait également refusé un traitement médical à un grand nombre de détenus. À la connaissance d’Amnesty International, aucune enquête n’a été menée à la suite de ces allégations. Les représentants des ambassades et les organisations internationales n’ont pas été autorisés à assister aux audiences.
Complément d’information
Arrêter quelqu’un tout en dissimulant les informations concernant la situation de cette personne, ce qui place cette dernière en-dehors de la protection de la loi, constitue une disparition forcée, et donc une violation du droit international.
La disparition forcée est définie comme suit dans la Convention internationale pour la protection de toutes les personnes contre les disparitions forcées : « l’arrestation, la détention, l’enlèvement ou toute autre forme de privation de liberté par des agents de l’État ou par des personnes ou des groupes de personnes qui agissent avec l’autorisation, l’appui ou l’acquiescement de l’État, suivi du déni de la reconnaissance de la privation de liberté ou de la dissimulation du sort réservé à la personne disparue ou du lieu où elle se trouve, la soustrayant à la protection de la loi ». Les disparitions forcées violent toute une série de droits fondamentaux, tels que le droit de ne pas être soumis à la détention arbitraire, le droit d’être reconnu en tant que personne devant la loi et le droit de ne pas être soumis à la torture et à d’autres peines ou traitements cruels, inhumains ou dégradants.