Quelque 50 000 personnes, peut-être plus, ont été expulsées de force de leur domicile dans le cadre d’une initiative visant à « valoriser » la capitale du Turkménistan en prévision des Jeux asiatiques des sports en salle et des arts martiaux de 2017, révèle Amnesty International mercredi 28 octobre en rendant publiques des images satellite donnant à voir l’étendue de la destruction.
L’analyse effectuée par Amnesty International montre que 5 000 maisons, chacune logeant en moyenne cinq personnes, ont été détruites dans le quartier de Tchoganly, près d’Achgabat, entre mars 2014 et avril 2015. L’organisation a appris depuis lors que ce quartier - soit plus de 10 000 maisons - a été entièrement rasé avant le mois de septembre et que les démolitions se poursuivent désormais dans d’autres secteurs de la capitale, privant de nombreuses familles de domicile.
« Au lieu de mettre les Jeux à profit pour assainir le bilan du Turkménistan sur le terrain des droits humains, les autorités locales ont dégradé les conditions de vie des résidents, dont beaucoup avaient quitté des zones rurales pour s’installer à Achgabat afin de trouver du travail ou parce qu’ils avaient déjà été expulsés ailleurs », a déclaré Denis Krivosheev, directeur adjoint du programme Europe et Asie centrale d’Amnesty International.
« La manière dont ils ont été expulsés est contraire aux normes internationales en matière de droits humains. Le gouvernement turkmène doit immédiatement mettre fin aux expulsions forcées et démolitions illégales, indemniser les victimes et leur proposer de toute urgence des solutions de relogement. L’hiver approche et elles sont donc particulièrement vulnérables. »
Amnesty International a analysé des images satellite qui donnent un aperçu inédit d’une des sociétés les plus entourées de mystère au monde. Le président Gourbangouly Berdymoukhammedov, comme son autocrate prédécesseur, est à la tête d’un gouvernement qui contrôle la population par la peur. La surveillance est partout et l’opposition est rare au Turkménistan, où les quelques voix qui osent s’exprimer mettent en péril leur sécurité et celle de leurs proches.
Il est interdit à Amnesty International et à d’autres observateurs des droits humains de se rendre dans le pays. Les chercheurs ont toutefois pu confirmer certaines informations en relation avec les expulsions visibles sur les images satellite à l’aide de témoignages recueillis au téléphone et d’autres sources confidentielles. D’anciens résidents de Tchoganly ont expliqué que les autorités, y compris la police, « ont fait irruption sur place comme des tanks » et ont expulsé les habitants de force.
« Maintenant les gens y vont pour pleurer », a déclaré une ancienne résidente de Tchoganly, qui a ajouté que leurs permis d’habitation n’avaient pas été pris en compte et que certains, portant le deuil de leur vie d’avant, retournent sur la parcelle de terre où se dressait leur logement avant d’être détruit par un bulldozer. Elle a décrit à Amnesty International la scène de chaos qu’elle et ses proches ont vécue lorsque les autorités ont pris leur maison d’assaut, expulsant la famille de force, y compris des enfants affolés.
Le président Berdymoukhammedov a personnellement supervisé les projets d’urbanisation ayant pour but de moderniser Achgabat avant les Jeux, qui sont organisés par le Conseil olympique d’Asie. Après les démolitions de Tchoganly et Chor, les expulsions forcées n’ont pas faibli, les autorités ayant poursuivi en septembre avec la destruction de logements dans d’autres zones d’Achgabat.
Le régime du président Berdymoukhammedov est soutenu par les amples réserves de pétrole et de gaz du pays, et les Jeux sont vus comme une occasion d’améliorer sa réputation sur la scène internationale. Amnesty International demande aux entreprises et gouvernements étrangers de veiller à ce que la coopération avec le Turkménistan, tant sur le plan politique qu’économique, ne contribue pas aux violations des droits humains en général.
« Les menaces et la répression font malheureusement partie du quotidien au Turkménistan. La communauté internationale et les entreprises mondiales doivent faire tout ce qui est en leur pouvoir pour inciter le président Berdymoukhammedov à mettre fin aux violations des droits humains perpétrées dans le pays », a déclaré Denis Krivosheev.
« Les expulsions forcées ne sont jamais justifiables. Une expulsion ne doit être effectuée qu’en dernier ressort et dans le respect total des normes internationales relatives aux droits humains. Cela inclut le respect du droit au logement, des garanties juridiques et de procédure correspondantes, et du droit de s’opposer à de telles expulsions sans crainte ni harcèlement. »