Déclaration publique
EUR 61/009/2006
Président Saparmourad Niazov
Bureau du Président
744000 Achgabat
Turkménistan
Monsieur le Président,
Nous sommes une coalition d’organisations de défense des droits humains qui sont profondément préoccupées par le sort des prisonniers d’opinion Annakourban Amanklytchev, Ogoulsapar Mouradova et Sapardourdy Khadjiev, détenus au secret depuis leur arrestation il y a un mois. Nous pensons qu’ils risquent d’être torturés et maltraités en détention, et que les accusations dont ils font l’objet sont infondées, revêtent un caractère politique et visent uniquement à museler et discréditer la dissidence pacifique. Nous vous prions instamment de faire le nécessaire pour que ces personnes soient libérées immédiatement et sans condition.
Annakourban Amanklytchev a été arrêté le 16 juin, Ogoulsapar Mouradova et Sapardourdy Khadjiev le 18. Tous trois ont des liens avec la Fondation Helsinki du Turkménistan, organisation non gouvernementale basée en Bulgarie qui surveille la situation des droits humains au Turkménistan et dénonce les violations. Ogoulsapar Mouradova travaille également comme journaliste pour Radio Liberty.
Selon des allégations digne des foi, ces détenus auraient été maltraités et des substances psychotropes auraient été administrées à Annakourban Amanklytchev et Ogoulsapar Mouradova pour les contraindre à « avouer » des « activités subversives ». En tant qu’État partie à la Convention des Nations unies contre la torture et autres peines ou traitements cruels, inhumains ou dégradants, le Turkménistan est tenu de veiller à ce que nul ne soit torturé ou maltraité. Le maintien en détention au secret de ces personnes nous fait d’autant plus craindre pour leur sécurité.
À notre connaissance, aucun de ces détenus n’a été autorisé à entrer en contact avec un avocat, ce qui constitue une violation grave de leurs droits aux termes de l’article 9 du Pacte international relatif aux droits civils et politiques, auquel le Turkménistan est un État partie. Ces personnes n’ont été inculpées que le 12 juillet, c’est à dire bien après l’échéance du délai de trois jours prescrit par le Code de procédure pénale du Turkménistan.
Selon l’avocat des détenus, Annakourban Amanklytchev, Ogoulsapar Mouradova et Sapardourdy Khadjiev font l’objet d’une enquête pour détention d’armes illégale (article 287-2 du Code pénal du Turkménistan). Le ministre de la Sécurité nationale et l’agence de presse du Turkménistan ont suggéré publiquement qu’Annakourban Amanklytchev était impliqué dans une affaire de subversion et d’espionnage. Ces accusations se fondent sur le fait qu’Annakourban Amanklytchev a contribué à la production d’un documentaire sur le Turkménistan pour Galaxie Presse, une société de production télévisuelle française qui lui a par ailleurs fourni une caméra. Le documentaire traite de sujets comme le culte de la personnalité, la situation catastrophique de l’Éducation et de la Santé et d’autres thèmes ayant un lien avec les droits humains. Annakourban Amanklytchev a filmé à caméra cachée des hôpitaux, des centres de santé et l’extérieur d’une prison. Cette caméra lui a été remise par un diplomate rattaché à l’Organisation pour la sécurité et la coopération en Europe (OSCE). Dans ses commentaires du 19 juin, le ministre turkmène de la Sécurité nationale a déclaré qu’Annakourban Amanklytchev avait tenté sans succès de filmer des bâtiments appartenant à l’armée et aux services des forces de l’ordre, accusation que dément Galaxie Presse.
Nous considérons que ces accusations sont sans fondement et qu’elles revêtent un caractère politique. Filmer en caméra cachée ne relève du journalisme classique mais ce n’est pas inhabituel. Il s’agit d’une solution de dernier recours acceptable lorsqu’il est impossible de filmer autrement et lorsque l’intérêt public le justifie. En raison des restrictions sans précédent que votre gouvernement impose à la liberté d’expression et d’information, en violation de ses obligations aux termes de l’article 19 du PIDCP, il n’est pas excessif d’affirmer qu’il était impossible d’obtenir par un autre moyen des images pour ce documentaire qui ne soient pas des images officielles. Les autorités turkmènes n’ont fourni aucun élément prouvant qu’Annakourban Amanklytchev ait enfreint la loi en utilisant sa caméra. Au lieu de cela, le ministre turkmène de la Sécurité nationale l’a accusé de « planification d’activités déstabilisatrice » en invoquant la présence dans sa voiture d’armes et de munitions, déposées à dessein selon des témoins.
De même, il n’est pas illégal pour un diplomate étranger de donner une telle caméra à un citoyen turkmène. Les insinuations selon lesquelles Annakourban Amanklytchev se serait rendu coupable d’« espionnage » sont par conséquent également sans fondement, et elles ont été vigoureusement démenties par l’OSCE, Galaxie Presse et le ministère des Affaires étrangères de la France.
Enfin, la réputation de votre gouvernement en matière de harcèlement des représentants de la société civile incite également à considérer avec le plus grand scepticisme les charges retenues contre les journaliste indépendant et défenseurs des droits humains Annakourban Amanklytchev, Ogoulsapar Mouradova et Sapardourdy Khadjiev. Votre gouvernement réduit systématiquement au silence ceux qui évoquent les violations des droits humains très largement commises dans votre pays. Pour ce faire, il a recours aux coups ; aux arrestations et détentions arbitraires ; aux incarcérations dans des établissements psychiatriques sans justification médicale ; aux assignations à domicile ; à la surveillance ;aux menaces, et à la torture.
Dans vos propres médias, il est indiqué qu’Annakourban Amanklytchev, Ogoulsapar Mouradova et Sapardourdy Khadjiev sont détenus non pas parce qu’ils ont enfreint la loi mais pour les punir de leurs activités en faveur des droits humains, activités pourtant pacifiques et légales. L’agence de presse d’État du Turkménistan a affirmé qu’après avoir suivi une formation sur les droits humains en Pologne et en Ukraine, Annakourban Amanklytchev avait été « utilisé par des services de sécurité étrangers pour des menées subversives ». Une formation dans le domaine des droits humains devrait être quelque chose que votre gouvernement encourage plutôt qu’il l’invoquer comme preuve de subversion. La Fondation Helsinki du Turkménistan et les commanditaires de cette formation, l’antenne de Donetsk de l’organisation Memorial et la Fondation Helsinki de Pologne pour les droits humains, ont tous confirmé que leur participation avait pour seul objectif la formation dans le domaine des droits humains. La Fondation Helsinki du Turkménistan a confirmé que l’argent qu’elle avait donné à Annakourban Amanklytchev ne correspondait pas à la rémunération de « menées subversives », comme cela avait été allégué par le ministre de la Sécurité, mais au paiement d’indemnités journalières et au remboursement de ses frais de transport.
En outre, le journal Neutral Turkmenistan a accusé Annakourban Amanklytchev, Ogoulsapar Mouradova et Sapardourdy Khadjiev d’avoir transmis à la Fondation d’Helsinki du Turkménistan des « informations à caractère diffamatoire » afin de provoquer le mécontentement de la population. Le ministre turkmène de la Sécurité nationale a accusé Ogoulsapar Mouradova et Sapardourdy Khadjiev d’avoir collaboré avec Annakourban Amanklytchev pour mener des « activités illégales » sur lesquelles il n’a pas donné de précisions. Il faisait sans doute référence à l’aide que ces personnes ont fournie à la BBC pour la collecte d’informations sur la crise du système de santé au Turkménistan. Le reportage radiophonique auquel a donné lieu cette collaboration montrait le rôle que l’État avait joué dans la dévastation des infrastructures sanitaires déjà fragiles du pays et dans la propagation d’une maladie infectieuse.
Nous vous prions instamment de faire en sorte qu’Annakourban Amanklytchev, Ogoulsapar Mouradova et Sapardourdy Khadjiev soient libérés sans condition. En attendant leur libération, nous vous demandons de les autoriser à entrer immédiatement en contact avec l’avocat de leur choix et leur famille ; à recevoir des soins médicaux ; à bénéficier d’une alimentation conforme aux normes internationales minimales concernant le traitement des détenus ; à recevoir la visite d’observateurs internationaux. Nous vous demandons également de respecter leur droit à l’intégrité physique.
Nous vous remercions de l’attention que vous apporterez aux préoccupations urgentes exprimées dans cette lettre.
Veuillez agréer, Monsieur le Président, l’assurance de notre considération distinguée.
Amnesty International
Comité Helsinki de Bulgarie
Memorial (section de Donetsk)
Human Rights Watch
Fédération internationale Helsinki pour les droits de l’homme
Reporters sans frontières
Fondation Helsinki du Turkménistan
Turkmenistan Initiative for Human Rights.