TURQUIE - L’attentat à l’explosif de Semdinli : jusqu’où remonte la responsabilité ?

Index AI : EUR 44/033/2005

DÉCLARATION PUBLIQUE

Le 9 novembre 2005 à midi un quart, un homme a été tué et plusieurs autres ont été blessés à la suite d’un attentat à l’explosif perpétré contre la librairie Umut Kitabevi à Semdinli (province de Hakkari), dans le sud-est de la Turquie. Le propriétaire de la librairie et d’autres personnes ont réussi à appréhender l’auteur présumé de l’attentat ainsi que deux autres hommes qui l’attendaient apparemment dans une voiture garée à proximité. On a découvert dans le véhicule des armes, des listes d’opposants politiques, des renseignements à propos d’habitants de Semdinli, ainsi que des cartes, entre autres documents. Le nom du propriétaire de la librairie figurait apparemment sur une liste et un plan de son domicile et de son magasin a également été retrouvé. On a appris que les trois hommes appréhendés par la foule appartenaient aux services de sécurité ; selon leurs cartes d’identité, il s’agissait de membres des services de renseignements de la gendarmerie opérant en civil. La presse a révélé par la suite que l’auteur présumé de l’attentat était un informateur du Partiya Karkeren Kurdistan (PKK, Parti des travailleurs du Kurdistan) ; cette information n’a pas été démentie par les autorités. Les trois hommes ont été emmenés par la police et l’auteur présumé de l’attentat a été placé en détention.

Par la suite, alors que le procureur procédait à des investigations sur les lieux, des coups de feu ont été tirés depuis une voiture en direction de la foule. Un civil a été tué et plusieurs autres ont été blessés. L’enquête du procureur a été ajournée. Un sergent des forces spéciales de la gendarmerie a été placé en détention et poursuivi pour usage disproportionné de la force ayant entraîné la mort.

Le Premier ministre turc, ainsi que les ministres de la Justice et de l’Intérieur se sont déclarés déterminés à faire toute la lumière sur cette affaire et à tout mettre en œuvre pour traduire les responsables en justice. Le ministre de la Justice, M. Cicek, a décrit la période actuelle en Turquie comme une « ère dans laquelle de tels événements ne restent pas dans l’ombre ».

Étant donné les allégations graves à propos de l’implication directe des autorités dans les événements du 9 novembre à Semdinli, ainsi que les questions que suscite cette affaire, Amnesty International appelle le gouvernement turc à désigner une commission d’enquête indépendante. Les investigations doivent être menées conformément aux Principes des Nations unies relatifs à la prévention efficace des exécutions extrajudiciaires, arbitraires et sommaires et aux moyens d’enquêter efficacement sur ces exécutions. L’organisation attire tout particulièrement l’attention sur les articles 9, 10 et 11 :

« 9. Une enquête approfondie et impartiale sera promptement ouverte dans tous les cas où l’on soupçonnera des exécutions extrajudiciaires, arbitraires et sommaires, y compris ceux où des plaintes déposées par la famille ou des informations dignes de foi donneront à penser qu’il s’agit d’un décès non naturel dans les circonstances données. Il existera à cette fin des procédures et des services officiels d’enquête dans les pays. L’enquête aura pour objet de déterminer la cause, les circonstances et le jour et l’heure du décès, le responsable et toute pratique pouvant avoir entraîné le décès, ainsi que tout ensemble de faits se répétant systématiquement. Toute enquête devra comporter une autopsie adéquate, le rassemblement et l’analyse de toutes les preuves physiques ou écrites et l’audition des témoins. L’enquête distinguera entre les morts naturelles, les morts accidentelles, les suicides et les homicides.

« 10. L’autorité chargée de l’enquête aura tout pouvoir pour obtenir tous les renseignements nécessaires pour l’enquête et disposera de toutes les ressources budgétaires et techniques dont elle aura besoin pour mener sa tâche à bien. Elle aura aussi le pouvoir d’obliger les fonctionnaires dont on suppose qu’ils sont impliqués dans l’une quelconque des exécutions mentionnées à comparaître et à témoigner. La même règle s’appliquera en ce qui concerne les témoins. À cette fin, elle sera habilitée à citer les témoins - y compris les fonctionnaires en cause - à comparaître et à exiger que des preuves soient fournies.

« 11. Lorsque les procédures d’enquête établies seront inadéquates, soit que les compétences techniques ou l’impartialité nécessaires fassent défaut, soit que la question soit trop importante, soit encore que l’on se trouve en présence manifestement d’abus systématiques, lorsque la famille de la victime se plaint de ces insuffisances ou pour toute autre raison sérieuse, les pouvoirs publics feront poursuivre l’enquête par une commission d’enquête indépendante ou par un organe similaire. Les membres de cette commission seront choisis pour leur impartialité, leur compétence et leur indépendance personnelle. Ils seront, en particulier, indépendants à l’égard de toute institution ou personne qui peut faire l’objet de l’enquête. La commission aura tout pouvoir pour obtenir tout renseignement nécessaire à l’enquête et elle mènera l’enquête en application des présents principes. »

Le mandat de la commission d’enquête indépendante sur les événements qui se sont déroulés le 9 novembre à Semdinli doit comporter des investigations sur les points suivants :

 les motivations de l’attentat qui présente les caractéristiques d’un assassinat et qui aurait été perpétré par un informateur du PKK et deux membres des services de renseignements de la gendarmerie, qui ont tous été identifiés publiquement ;

 l’homicide d’un civil qui se trouvait sur les lieux, ainsi que les blessures infligées à d’autres passants, apparemment par un sergent des forces spéciales de la gendarmerie ;

 au vu des éléments légaux (listes de noms, cartes et armes) trouvés dans la voiture qui aurait été utilisée par les trois personnes impliquées dans l’attentat visant la librairie, cette affaire s’inscrit-elle dans le cadre d’une politique plus large menée par les services de sécurité contre les opposants politiques dans la région ;

 les questions soulevées dans le rapport de l’enquête préliminaire sur les événements du 9 novembre menée par huit organisations non gouvernementales, parmi lesquelles figurent l’Association des droits humains, Mazlum Der, ainsi que des organisations syndicales et professionnelles locales, entre autres, et notamment l’hypothèse selon laquelle des éléments légaux pourraient établir un lien avec un autre attentat perpétré le 1er novembre 2005 à Semdinli et qui a fait de nombreux blessés parmi les civils et occasionné des dommages matériels ;

 la chaîne de commandement et le niveau d’implication de responsables de l’armée et de la gendarmerie dans les événements du 9 novembre, ainsi que la possibilité que cet attentat s’inscrive dans le cadre d’un complot ou d’une politique plus vaste ;

 la profonde préoccupation à propos de l’utilisation d’armes à feu par la police au cours de manifestations de protestation contre les événements de Semdinli dans d’autres villes de la région, et notamment Yuksekova et Hakkari, ayant entraîné la mort de manifestants, ainsi que de l’usage apparemment excessif de la force à la suite duquel de nombreux manifestants ont été blessés.

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