Turquie. Déplacés et dépossédés

Plus d’un an s’est écoulé depuis que les habitants de Sur, au sud-est de la Turquie, ont dû quitter leur domicile après la reprise des affrontements armés entre la branche armée du Parti des travailleurs du Kurdistan (PKK) et l’État.

En juillet 2015, un cessez-le-feu en vigueur depuis deux ans a été rompu, et le quartier de Sur, centre historique de Diyarbakır, est devenu la scène de nombreux affrontements. Rien que dans cette zone, des dizaines de milliers de personnes ont été déplacées de force, tandis qu’au niveau régional ce chiffre semble s’approcher du demi-million.

Craignant de devoir survivre dans des conditions difficiles avec des couvre-feux en vigueur jour et nuit pour une durée indéterminée, de ne plus pouvoir envoyer leurs enfants à l’école, de manquer de nourriture et de soins médicaux, de subir des coupures de courant et d’eau, et de risquer leur vie à cause de l’utilisation d’armes lourdes, les habitants ont préféré l’exode.

Cependant, les combats sont terminés depuis mars 2016, alors pourquoi la majorité des habitants de Sur n’a-t-elle toujours pas pu rentrer chez elle ?

Les déplacés de Sur

Le contexte politique global

En juillet 2016, dans le cadre de la répression menée en réaction à une violente tentative de coup d’État, les autorités ont commencé à cibler l’opposition kurde, à interdire des centaines d’organes de presse et d’autres organisations, et à remplacer des élus par leurs propres personnes de confiance.

Ainsi, les fonctionnaires qui soutenaient les familles déplacées de Sur ont été remplacés et les organisations qui fournissaient une aide humanitaire ont été fermées, provoquant une dégradation brutale de la situation en matière de droits humains.

De nombreux habitants n’ont pas eu la possibilité d’accéder à des logements de substitution adaptés et un retour à leur domicile semble sérieusement compromis.

Après avoir pris possession d’au moins 60 % du quartier de Sur, le gouvernement a annoncé un projet de rénovation urbaine, qui est en cours de développement sans qu’ils n’aient procédé à la consultation nécessaire des habitants concernés.

Bien que les autorités aient à plusieurs reprises promis de reconstruire les infrastructures, y compris les logements, il n’est toujours pas clair si les personnes déplacées pourront rentrer chez elles.

Endommagés et détruits

En 2016 : Sur n’est plus que l’ombre d’elle-même.

Obligés de fuir

« Depuis la rue principale, la police a annoncé que, pour notre sécurité, nous ferions mieux de partir… »

Lorsque la violence a éclaté à Sur, des couvre-feux en vigueur jour et nuit ont commencé à être mis en place dès septembre 2015. À cela se sont ajoutées les coupures d’eau et d’électricité, l’impossibilité pour les enfants d’aller à l’école, et comme personne ne pouvait sortir pour acheter de la nourriture fraîche, certains ont dû survivre pendant des jours en se partageant de maigres rations de pain rassis.

Pendant ce temps, les affrontements continuaient autour de la population. Certains habitants ont déclaré à Amnesty International que des balles avaient traversé les murs extérieurs de leur maison et qu’ils n’arrivaient plus à dormir à cause des explosions. Une personne a indiqué qu’un obus avait partiellement détruit sa maison alors que toute sa famille était encore à l’intérieur.

En décembre 2015, la plupart des familles avec lesquelles Amnesty International s’est entretenue avaient quitté leur domicile.

Détérioration des conditions de vie

Les habitants déplacés ont indiqué que leurs conditions de vie s’étaient brutalement détériorées après leur départ. Nombre d’entre eux ont eu à peine quelques heures pour partir et n’ont pu emmener que quelques affaires. Certains se sont installés chez des proches, d’autres ont dû louer un logement.

De nombreuses familles, qui étaient déjà dans une situation financière précaire, se sont retrouvées à devoir payer un loyer plus élevé pour un logement de moins bonne qualité, où elles devaient parfois cohabiter dans un espace saturé avec d’autres familles déplacées.

Le bureau du préfet de Diyarbakır a bien mis en place une aide financière au paiement du loyer, mais les habitants ont déclaré à Amnesty International que le système ne fonctionnait pas.

Destruction et pillage

Les familles qui ont pu rentrer chez elles en juin, après la levée de certains couvre-feux, ont trouvé des scènes de dévastation. Les maisons avaient été pillées, les biens brûlés et détruits, des objets de valeur monétaire et sentimentale volés.

Certaines familles ont déclaré à Amnesty International qu’elles avaient accepté une compensation inférieure de plusieurs milliers d’euros à la valeur réelle de leurs biens, parce qu’on leur avait dit qu’elles ne recevraient rien d’autre.

« … comment voulez-vous montrer des reçus quand tout a brûlé ? »

Le droit au retour

Les familles déplacées de force ont droit au retour. Un an après, quelque 24 000 personnes dont le domicile se trouvait dans une zone de couvre-feu n’ont toujours pas pu rentrer chez elles.

Malgré la fin des opérations militaires en mars 2016, une partie de Sur reste soumise au couvre-feu et les habitants ne sont pas autorisés à revenir. Certaines maisons ont subi des pillages ou des dégradations tels, qu’elles sont désormais inhabitables.

D’autres ont été démolies par les autorités sans même consulter les habitants ou sans que ceux-ci aient reçu la moindre évaluation des dégradations qui aurait pu justifier cette destruction.

« Nous ne savons toujours pas ce qu’il va advenir de notre maison… [les autorités] ne peuvent pas nous dire si elle fera partie du projet [de développement]... »

Cette situation coïncide avec un projet de rénovation que les autorités planifient depuis 2012. Les habitants craignent désormais de ne pas pouvoir revenir chez eux à cause de la réalisation de ce projet, à la suite des affrontements.

Ce processus de restructuration urbaine, qui touche l’ensemble de la région, semble suggérer la mise en place d’un plan prémédité visant à déplacer les habitants pour détruire, puis reconstruire ces zones à des fins de sécurité via de nouvelles infrastructures et des transferts de populations.

Les autorités doivent de toute urgence adopter un plan d’action concret pour les habitants déplacés de Sur et pour les centaines de milliers de personnes déplacées des différentes zones sous couvre-feu de la région. Ce plan d’action doit être élaboré très rapidement, en consultation avec les habitants concernés.

L’État doit par ailleurs permettre aux personnes déplacées à l’intérieur du territoire turc de revenir chez elles ou, le cas échéant, sur les lieux où elles résident habituellement, en préservant leur dignité et leur sécurité.

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