Dans une lettre ouverte publiée cet après-midi, Amnesty International appelle les chef·fe·s d’État à déclencher cette procédure rarement utilisée à la suite du refus de la Turquie de mettre en œuvre un arrêt contraignant majeur rendu par la Cour européenne des droits de l’homme en 2019.
« Les justifications de la Turquie quant au refus de libérer Osman Kavala s’essoufflent, a déclaré Nils Muižnieks, directeur pour l’Europe à Amnesty International.
« Le refus de la Turquie de mettre en œuvre l’arrêt contraignant de la Cour européenne est une violation inadmissible du droit à la liberté d’Osman Kavala et représente une grave menace pour l’intégrité du système européen de défense des droits humains. »
Osman Kavala est détenu arbitrairement depuis plus de quatre ans dans la prison de très haute sécurité de Silivri, à Istanbul, conséquence d’une persécution politique à peine voilée.
« Le refus de la Turquie de mettre en œuvre l’arrêt contraignant de la Cour européenne est une violation inadmissible du droit à la liberté d’Osman Kaval »
L’audience du 26 novembre s’inscrit dans le nouveau procès kafkaïen dans le cadre duquel l’affaire d’Osman Kavala a été jointe aux cas de 51 autres personnes, dont des supporters de football, pour de graves accusations pénales, dont « tentative de renversement de l’ordre constitutionnel », « tentative de renversement du gouvernement » et « espionnage militaire et politique ».
« Ce procès est un nouvel épisode de la persécution politique implacable pour laquelle la Cour européenne a condamné la Turquie. Lorsqu’un État montre un tel mépris pour ses obligations découlant de la Convention européenne des droits de l’homme, le Comité des ministres du Conseil de l’Europe doit passer à l’action et engager une procédure d’infraction, a déclaré Nils Muižnieks.
« Le Conseil de l’Europe et ses États membres doivent faire tout leur possible afin de garantir la libération d’Osman Kavala. »
LETTRE OUVERTE
Mesdames et messieurs les chef·fe·s d’État des États membres du Conseil de l’Europe,
La semaine prochaine, le Comité des ministres du Conseil de l’Europe se réunira pour débattre du lancement de la procédure d’infraction, une procédure rarement utilisée prévue par la Convention européenne des droits de l’homme, dans le cas d’Osman Kavala. En tant que dirigeant·e·s des États membres du Conseil de l’Europe, vous avez un rôle crucial à jouer. En jeu, la liberté d’Osman Kavala, un défenseur des droits humains enfermé arbitrairement dans la plus grande prison de très haute sécurité d’Europe, à Silivri, à Istanbul, du fait d’une persécution politique à peine voilée, depuis plus de quatre ans. Il est confronté chaque jour à la réalité écrasante d’un système judiciaire pas plus désireux que capable de lui rendre justice.
« Le gouvernement doit prendre toutes les mesures nécessaires pour mettre un terme à la détention du requérant et faire procéder à sa libération immédiate »
Aujourd’hui, un tribunal turc a de nouveau statué qu’Osman Kavala devait rester derrière les barreaux. Et cela malgré un arrêt contraignant de la Cour européenne des droits de l’homme en décembre 2019, qui avait conclu que la détention d’Osman Kavala pour avoir prétendument dirigé et financé les manifestations du parc Gezi de 2013 et participé au coup d’État manqué de juillet 2016 était motivée par des « motifs cachés », à savoir réduire ce défenseur des droits humains au silence. La Cour a pointé des violations de la Convention européenne des droits de l’homme, notamment du droit à la liberté (article 5.1) et du droit de faire statuer à bref délai sur la légalité de sa détention (article 5.4), et a statué que sa détention impliquait une restriction de ses droits pour des motifs non prévus (article 18). Elle a estimé que « le gouvernement doit prendre toutes les mesures nécessaires pour mettre un terme à la détention du requérant et faire procéder à sa libération immédiate ».
Cette dernière audience fait partie du nouveau procès élargi dans lequel Osman Kavala et 51 coaccusés, dont des supporters de football, doivent répondre de graves accusations pénales. Ces nouvelles poursuites démontrent que l’utilisation abusive répétée du système de justice pénale n’a d’autre but que de le faire taire et d’écraser la société civile en Turquie.
Au lieu de libérer Osman Kavala, la Turquie recourt à toutes sortes de manœuvres dilatoires, inacceptables pour un État qui prétend respecter les droits humains. Elle a fait valoir à maintes reprises et à tort que la décision contraignante de la Cour avait déjà été mise en œuvre, que la détention d’Osman Kavala relève d’un article différent du Code pénal, l’article 328 (« espionnage »), et non de ceux que la Cour de Strasbourg avait pris en considération, à savoir des accusations au titre des articles 309 et 312 du Code pénal concernant la « tentative de renversement de l’ordre constitutionnel » et la « tentative de renversement du gouvernement ». Cette justification a été donnée à plusieurs reprises au Comité des ministres, tandis qu’Osman Kavala était maintenu derrière les barreaux.
« La Turquie recourt à toutes sortes de manœuvres dilatoires, inacceptables pour un État qui prétend respecter les droits humains »
En réponse, le Comité des ministres a rappelé à plusieurs reprises à la Turquie son obligation d’exécuter l’arrêt de la Cour et de libérer Osman Kavala de sa détention provisoire.
Le refus persistant de la Turquie de mettre en œuvre cet arrêt aggrave encore l’impunité pour la violation flagrante du droit à la liberté d’Osman Kavala constatée par la Cour. Le Conseil de l’Europe et ses États membres doivent faire tout leur possible pour garantir la libération d’Osman Kavala et le fonctionnement efficace du système de la Convention concernant les arrêts contraignants de la Cour.
En tant que parties à la Convention, il est de votre responsabilité collective de protéger et de défendre le système de la Convention et ses valeurs. Nous comptons donc sur votre vote en faveur de l’ouverture d’une procédure d’infraction lors de la réunion du Comité des ministres la semaine prochaine. Vous n’êtes pas sans savoir que chaque vote compte : une absence ou une abstention comptera de facto comme un vote contre l’ouverture de cette procédure cruciale. Justice doit être rendue à Osman Kavala, victime de l’arbitraire abject que le Conseil de l’Europe entend éradiquer.