Communiqué de presse

Turquie : il faut assurer la sécurité des réfugiés syriens et autoriser les observateurs nationaux et internationaux à rencontrer ces personnes

Amnesty International a écrit aux autorités turques pour leur faire part de ses préoccupations quant à certains aspects de la protection accordée aux réfugiés syriens en Turquie. Plus de 26 500 réfugiés vivent dans des camps situés dans 10 endroits différents du pays.

Outre ces 26 500 personnes accueillis en Turquie, des Syriens se sont réfugiés dans d’autres pays voisins, comme la Jordanie et le Liban. Même si l’on ne dispose pas de chiffres exacts, le Haut-Commissariat des Nations unies pour les réfugiés (HCR) et des ONG locales estiment qu’il y a entre 25 000 et 50 000 Syriens au Liban, et entre 15 000 et 20 000 en Jordanie. Amnesty International surveille également de près la situation des réfugiés syriens dans les pays voisins.

Dans le courrier adressé au ministre turc des Affaires étrangères, Amnesty International a noté avec satisfaction que les réfugiés étaient autorisés à entrer en Turquie et à y séjourner, conformément au principe de non-refoulement consacré par le droit international. L’organisation a également salué les efforts déployés par le gouvernement pour répondre aux besoins les plus urgents des réfugiés syriens, et leur offrir un logement, de la nourriture, une aide matérielle et des soins médicaux.

Amnesty International s’est cependant dite inquiète au sujet de l’emplacement des camps, situés à proximité de la frontière syrienne, de défaillances relevées lors de l’enregistrement et du filtrage des nouveaux arrivants, de l’accès limité du HCR et d’organisations indépendantes de défense des droits humains aux camps, et de certains aspects du régime de protection.

L’EMPLACEMENT DES CAMPS

À l’heure actuelle, les réfugiés syriens sont répartis dans 10 camps, situés dans quatre départements frontaliers : Hatay, Gaziantep, Kilis et Urfa. La proximité de la frontière syrienne représente une grave menace pour la sécurité des personnes vivant dans ces camps. Les blessures dont auraient souffert en avril 2012 des réfugiés dans le camp de Kilis, ou à proximité de ce camp, et qui auraient été occasionnées par des balles perdues lors d’affrontements en Syrie sont une illustration tragique des dangers que courent les réfugiés en raison de la proximité de la frontière.

Selon les normes internationales, pour que la sécurité physique des réfugiés soit assurée, les camps doivent être établis à une distance raisonnable des frontières des pays d’origine, soit à 50 km au minimum de la frontière.

Amnesty International note que, même s’il peut exister des difficultés et des considérations d’ordre pratique et logistique dans le choix de l’emplacement des camps, l’élément fondamental à prendre en compte devrait être la sécurité physique des réfugiés. Insistant sur le fait que la responsabilité principale d’assurer la sécurité des réfugiés syriens dans le pays incombe au gouvernement turc, l’organisation engage les autorités à déplacer ces camps à une distance raisonnable et sûre de la frontière syrienne, afin de limiter les menaces et les risques – qu’ils soient réels ou potentiels – qui pèsent sur la sécurité des réfugiés en raison des combats menés près de la frontière, et afin de protéger suffisamment ces personnes.

Par ailleurs, Amnesty International pense que la proximité de la frontière syrienne porte directement préjudice à la capacité des autorités turques à maintenir le caractère civil et humanitaire de l’asile et des camps de réfugiés.

Amnesty International estime qu’il serait bien plus facile d’assurer le maintien du caractère civil et humanitaire de l’asile et des camps de réfugiés, ainsi que la sécurité et la protection des réfugiés, si les camps étaient déplacés à une distance raisonnable de la frontière. En outre, le renforcement des procédures d’enregistrement et de filtrage des nouveaux arrivants aiderait les autorités turques à mieux prévenir l’infiltration et la présence d’activités subversives dans les camps.

LES PROCEDURES D’ENREGISTREMENT ET DE FILTRAGE

Participant au maintien du caractère civil et humanitaire de l’asile et des camps de réfugiés, les procédures d’enregistrement et de filtrage – qui, pour être efficaces, doivent incorporer le désarmement des éléments armés et l’identification et la séparation des combattants – constituent également un outil de protection important à différents niveaux, comme l’a reconnu le HCR. Ces procédures peuvent par exemple être utilisées pour prévenir des cas de refoulement et de recrutement forcé, pour garantir l’accès aux droits fondamentaux et la réunification des familles, et pour identifier les réfugiés présentant des vulnérabilités particulières ou des besoins de protection spécifiques et les prendre en charge.

Qui plus est, l’amélioration des procédures d’enregistrement et de filtrage permettrait de mettre en place des mesures spéciales pour les réfugiés exposés à des risques spécifiques ou particulièrement vulnérables, notamment les femmes, les enfants, les personnes âgées et celles souffrant d’un handicap. L’amélioration de ces procédures pourrait aussi profiter aux personnes ou aux groupes de personnes qui continuent de courir des risques ou sont préoccupés par leur sécurité dans les camps, ou ont besoin d’une protection à long terme. Dans ces circonstances en particulier, les personnes doivent avoir un accès rapide, sûr et libre au HCR et aux procédures individualisées de détermination du statut de réfugié, accès qui doit leur être offert en sus du régime actuel de protection temporaire, si elles souhaitent en bénéficier.

L’ACCES AUX CAMPS

Amnesty International engage le gouvernement à prendre des dispositions officielles pour que les enquêteurs des organisations intergouvernementales ou les équipes d’enquête gouvernementales puissent se rendre dans les camps afin d’enquêter sur les allégations de crimes de droit international et d’autres atteintes aux droits humains commises par toutes les parties en Syrie, et mener à bien leur mission sans mettre en danger les personnes qui coopèrent dans le cadre de ces enquêtes.

Amnesty International est toutefois préoccupée par le fait que l’accès aux camps du HCR est limité et que celui des organisations de la société civile, notamment de défense des droits humains, est interdit.

Le HCR a pu se rendre dans les camps pour y prodiguer des conseils techniques. Cependant, il semble que la gestion des camps ainsi que l’organisation des procédures d’enregistrement et de filtrage soient assurées uniquement par le gouvernement, par l’intermédiaire du Croissant-Rouge turc, sans que des représentants du HCR ne procèdent à un contrôle officiel, systématique et institutionnalisé de ces différents aspects.

Selon le Statut du Haut-Commissariat des Nations unies pour les réfugiés, le HCR est considéré comme l’organisme compétent pour protéger les réfugiés, leur porter assistance et rechercher des solutions aux problèmes qu’ils rencontrent. Les États sont tenus de coopérer avec le HCR, qui ne peut accomplir efficacement sa mission que s’il peut entrer en contact avec les populations dans les camps.

À la lumière de ces principes, Amnesty International est préoccupée par l’impossibilité pour le HCR d’avoir accès à la population dans les camps. Cette situation l’empêche de contrôler de façon systématique la mise en œuvre par la Turquie de ses obligations internationales envers les réfugiés syriens actuellement hébergés dans les camps, et notamment de superviser et de conseiller les personnes chargées d’enregistrer et de filtrer les nouveaux arrivants. Ces activités constituent un aspect essentiel du mandat du HCR.

Dans les circonstances actuelles, les réfugiés vulnérables et en danger ne bénéficient pas des conseils ni de l’assistance du HCR. Ils ne peuvent pas non plus accéder aux procédures individualisées de détermination du statut de réfugié.

Autre motif de préoccupation : le gouvernement n’a toujours pas autorisé les organisations de défense des droits humains, y compris Amnesty International, à se rendre dans les camps pour rencontrer des réfugiés syriens et recueillir des informations sur la crise que traverse la Syrie. Amnesty International a écrit au ministère des Affaires étrangères les 10 juin 2011, 28 juin 2011, 11 octobre 2011 et 30 mars 2012 pour demander l’accès aux camps. À ce jour, cette autorisation ne lui a pas été accordée. Dans la seule réponse qu’elle a reçue à ses courriers, en date du 4 avril 2012, le ministère a indiqué que, au vu de la coopération de la Turquie avec la communauté internationale, aucune demande individuelle d’accès aux camps ne serait acceptée.

Depuis plus d’un an, des violations graves et systématiques des droits humains, constituant des crimes contre l’humanité, sont commises contre des civils en Syrie. Amnesty International pense que, parmi les réfugiés vivant actuellement dans les camps en Turquie, beaucoup ont peut-être été témoins de ces violations ou disposent d’informations à leur sujet. Ils devraient donc pouvoir entrer en contact avec des organisations de défense des droits humains, dont Amnesty International, pour leur faire part de leur témoignage s’ils le souhaitent.

Amnesty International demande à ce que les organisations de défense des droits humains aient accès à tous les sites où sont accueillis des réfugiés pour recueillir leur témoignage, mener des recherches sur les atteintes aux droits fondamentaux perpétrées en Syrie et effectuer un contrôle indépendant des conditions et structures offertes dans les camps.

Amnesty International craint que la position actuelle du gouvernement ne restreigne injustement les droits des réfugiés et ne soit contre-productive. En interdisant l’accès aux camps des organisations indépendantes de la société civile, la Turquie limite injustement le droit des réfugiés syriens de s’exprimer sur la situation dans leur pays. Qui plus est, même si les informations reçues laissent entendre que les camps sont bien gérés et que les conditions y sont satisfaisantes, il est possible que des suspicions soient éveillées du fait du refus de tout contrôle indépendant, les autorités turques cherchant peut-être à empêcher la divulgation de conditions éventuellement préoccupantes dans les camps.

UNE PROTECTION TEMPORAIRE

Conformément aux directives du HCR dans ce domaine, dans certains cas de déplacement de population à grande échelle, il est important de mettre en place au minimum un régime de protection temporaire. Même si Amnesty International est consciente qu’il peut exister des difficultés et des considérations d’ordre pratique et logistique dans le choix de l’emplacement des camps, l’élément fondamental à prendre en compte devrait être la sécurité physique des réfugiés. À cette fin, tout régime de protection doit inclure au minimum des garanties en matière d’admission, de protection contre le refoulement et d’accès à des services de base. Amnesty International prend acte du régime de protection temporaire mis en place par les pouvoirs publics turcs. Toutefois, elle craint que ce régime ne soit pas approprié pour les réfugiés qui ont besoin d’une protection à long terme et de solutions durables de déplacement, solutions auxquelles ils ont droit. Ces personnes devraient être identifiées le plus tôt possible et avoir la possibilité de bénéficier pleinement des procédures de détermination du statut de réfugié et de se voir offrir une solution durable satisfaisante. Amnesty International craint que, si elles ne sont pas identifiées, les personnes ayant besoin d’une protection durable ne soient refoulées à moyen ou long terme.

RECOMMANDATIONS

Amnesty International prie instamment le gouvernement de :

 ? faire en sorte que tous les camps de réfugiés soient déplacés à une distance raisonnable et sûre de la frontière syrienne pour que soit garantie la sécurité physique des réfugiés ;

 ? renforcer et améliorer le contrôle, le filtrage et l’enregistrement des nouveaux arrivants afin de maintenir le caractère civil et humanitaire de l’asile et des camps de réfugiés ;

 ? veiller à ce que les tâches de filtrage et d’enregistrement visent à identifier et aider des groupes spécifiques qui sont peut-être en danger ou ont besoin d’une protection à long terme ;

 ? fournir à tous les nouveaux arrivants des informations sur le régime de protection temporaire et sur leurs droits en tant que réfugiés ;

 ? garantir l’accès entier et sans entrave au HCR de tous les réfugiés, en particulier de ceux qui souhaitent bénéficier d’une procédure individualisée de détermination du statut de réfugié ou contacter le HCR pour une autre raison ;

 ? permettre au HCR d’accomplir efficacement sa mission à l’égard des réfugiés et, en particulier, d’exercer ses fonctions de protection de ces personnes ;

 ? faire en sorte que les enquêteurs des organisations intergouvernementales et les équipes d’enquête gouvernementales puissent enquêter librement sur les allégations de crimes de droit international et d’autres atteintes aux droits humains commises par toutes les parties en Syrie ;

 ? informer les réfugiés de la présence d’enquêteurs et de la procédure à suivre pour leur communiquer des informations en toute sécurité ;

 ? autoriser les organisations de la société civile, notamment de défense des droits humains comme Amnesty International, à se rendre dans tous les endroits où sont accueillis des réfugiés syriens.

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