TURQUIE : Il faut mettre un terme aux violences sexuelles contre les femmes en détention

Index AI : EUR 44/010/2003

Istanbul — En Turquie, les femmes en détention encourent le risque d’être soumises à des violences sexuelles infligées par les membres des forces de sécurité de l’État, a déclaré Amnesty International aujourd’hui (mercredi 26 février), à l’occasion de la publication de son rapport intitulé Turquie. Halte aux violences sexuelles contre les femmes en détention !

Ce rapport dénonce le fait que des femmes issues de tous les milieux sociaux et culturels sont brutalisées, agressées et violées en détention. Certaines catégories sont particulièrement exposées, notamment les femmes d’origine kurde vivant dans le sud-est du pays et celles qui défendent des opinions politiques jugées inacceptables par le gouvernement ou l’armée.

Amnesty International a mis en garde contre un redoublement de ces violations, si le gouvernement devait décréter l’état d’urgence en raison d’une guerre en Irak. Une grande partie de ces violences contre les femmes ayant été commises au cours d’une précédente période d’état d’urgence, l’organisation a fait savoir que ces pouvoirs ne devaient pas être utilisés abusivement aux dépens des femmes.

« Il serait vraiment regrettable que les droits humains en Turquie pâtissent d’un conflit affectant une autre partie du globe, a-t-elle indiqué.

« Nombre des événements décrits dans ce rapport se sont déroulés pendant qu’une législation d’exception avait été instaurée. Si l’état d’urgence était décrété du fait d’un conflit en Irak, nous espérons bien que les autorités prendraient toutes les mesures nécessaires pour veiller à ce que ces pouvoirs ne soient pas exercés au détriment des femmes. »

Ce document se fonde sur des recherches menées tout au long de l’année 2002 par Amnesty International, notamment lors de ses visites en Turquie, en juin et septembre. Depuis son achèvement, un nouveau gouvernement a pris le pouvoir en Turquie.

« Les conclusions de ce rapport mettent le gouvernement au défi de faire de ses déclarations sur l’engagement en faveur des droits humains une réalité, a déclaré Amnesty International.

« Le nouveau gouvernement n’a pas à poursuivre sur la même voie que le précédent. Il doit prendre des mesures concrètes pour que cessent les violences sexuelles infligées aux femmes. »

En Turquie, il est toujours extrêmement difficile pour les femmes victimes de sévices sexuels de parler et d’obtenir justice. La discrimination et l’ostracisme, ainsi que la notion d’« honneur », concourent à les réduire au silence. Lorsque les auteurs sont des agents de l’État, ils contribuent à renforcer une culture de la violence et de la discrimination qui place toutes les femmes en situation de danger.

Amnesty International est préoccupée par le fait que des représentants de l’État recourent à la torture sous forme de viol et de violences sexuelles, en sachant pertinemment que les victimes seront peu disposées à raconter ce qui s’est passé.

« Les responsables commettent alors un crime des plus efficaces, qui prend pour cibles à la fois la victime et sa communauté, et leur garantit l’impunité », a précisé Amnesty International.`

Selon les informations reçues par l’organisation, il est courant que des policiers de sexe masculin déshabillent entièrement les femmes au cours des interrogatoires menés en garde à vue ou en prison. Dans ces situations, les femmes sont fortement exposées aux violences et aux humiliations.
En Turquie, les femmes doivent se soumettre à des « tests de virginité » forcés, qui constituent une forme de sanction ou d’humiliation.

De nombreuses femmes pour qui cet examen a révélé l’absence d’hymen ont dû faire face à la violence, l’humiliation, voire la mort. La seule menace d’un test suffit parfois à générer des troubles psychologiques chez la victime de sévices sexuels. Le refus de s’y soumettre peut être perçu comme l’aveu d’un « honneur souillé » et accroître les risques de nouvelles violences.

Parfois, les femmes subissent des atteintes sexuelles en présence de leur mari ou de membres de leur famille, apparemment pour forcer ces derniers à « avouer » ou, dans une conception cynique de la notion d’« honneur », pour humilier leur famille et leur communauté.

Au cours d’entretiens réalisés auprès de plus de 100 femmes détenues dans les prisons de Diyarbak ?r, Mu_, Mardin, Batman et Midyat, l’Association des avocates de Diyarbak ?r a établi que presque toutes avaient dû effectuer un « test de virginité » et avaient enduré des violences sexuelles, verbales ou physiques, au cours de leur garde à vue.

« Le viol et autres atteintes sexuelles sont exacerbés par le manque de détermination dont le gouvernement fait preuve pour assurer le dédommagement et la protection des femmes », a commenté Amnesty International.

Les femmes victimes de violences sexuelles voient souvent leur détresse aggravée par l’ostracisme dont elles sont frappées. Certaines sont contraintes de fuir leur foyer, avec ou sans leur famille. Nombre d’entre elles choisissent de se taire, parce qu’elles sont convaincues que le fait de signaler ces atteintes sexuelles ne débouchera pas sur le châtiment des responsables.

En outre, les femmes qui dénoncent les sévices sexuels infligés par des représentants de l’État s’exposent à de nouvelles violences. Celles qui lèvent le voile sur leur calvaire sont poursuivies en justice, menacées d’emprisonnement ou incarcérées. Les avocats qui les représentent endurent eux aussi des persécutions de la part de leur entourage, de l’État et des médias.

Lorsque les responsables des violences sexuelles sont des agents de l’État, il s’avère particulièrement difficile d’obtenir réparation. D’une part, le taux de poursuites engagées est très faible ; d’autre part, la loi sur les poursuites contre des représentants de l’État fait que les fonctionnaires sont plus à même de tirer parti des prescriptions que toute autre personne ayant à répondre d’accusations pénales. Actuellement, l’auteur d’une infraction ne peut pas être condamné si un laps de temps suffisant s’est écoulé depuis la date du crime.

« Les atermoiements prolongés de la procédure contribuent à freiner le cours de la justice, mais surtout à éviter aux auteurs d’être seulement traduits devant les tribunaux », a expliqué Amnesty International.

Discrimination et violence sexuelle contre les femmes sont étroitement liées. Lorsque des agents de la fonction publique manifestent des attitudes discriminatoires, non seulement ils bafouent les droits des femmes, mais Amnesty International redoute qu’ils ne perpétuent également une culture de la violence à leur encontre.

« En commettant des violences contre les femmes, les agents de l’État délivrent un message clair qui cautionne cette violence dans toutes les sphères de la société - officielle, familiale et personnelle - et place toutes les femmes en situation de danger.

« Il est impératif de mettre un terme à cette situation », a conclu l’organisation de défense des droits humains.

Amnesty International a invité le gouvernement turc à entreprendre des réformes de grande ampleur pour que cessent les violences sexuelles contre les femmes, notamment :
 Interdire la pratique qui consiste à bander les yeux des détenues et à les déshabiller au cours des interrogatoires.
 Mettre un terme aux fouilles à corps des détenues par des fonctionnaires de sexe masculin et interdire la pratique qui consiste à bander les yeux des détenues en garde à vue.
 Traduire en justice les auteurs présumés des violations des droits humains, y compris ceux qui les ont ordonnées.

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