Communiqué de presse

Turquie. L’enquête pénale menée sur un quotidien ayant traité de Charlie Hebdo porte un coup inquiétant à la liberté d’expression

L’enquête pénale lancée jeudi 15 janvier contre l’un des principaux quotidiens turcs pour « insulte aux valeurs religieuses » en raison de son traitement de dessins controversés publiés en France s’apparente à une censure des autorités et aura un effet néfaste sur le journalisme et la liberté d’expression, a déclaré Amnesty International.

L’enquête fait suite à une descente de police à l’imprimerie du quotidien Cumhuriyet, à Istanbul, mercredi 14 janvier, effectuée après qu’un procureur a découvert que celui-ci publiait une sélection de dessins extraits de l’hebdomadaire satirique français Charlie Hebdo.

Le Premier ministre turc a qualifié la reproduction des dessins de « grave provocation » et affirmé que « la liberté d’expression n’est pas la liberté d’insulter ».

« Faire une descente dans une imprimerie ou lancer des enquêtes pénales sur des journalistes en raison de ce qu’un journal a publié, c’est limiter sévèrement la liberté d’expression et appliquer une censure officielle », a déclaré Andrew Gardner, spécialiste de la Turquie à Amnesty International.

« Les journalistes ne peuvent couvrir l’actualité avec exactitude sans présenter le contexte et ne doivent pas faire l’objet d’enquêtes ou de poursuites pénales pour avoir simplement fait leur travail. Le droit international relatif aux droits humains n’autorise pas à restreindre la liberté d’expression uniquement au motif qu’elle peut potentiellement choquer ou insulter. »

Selon le droit international, le droit à la liberté d’expression s’applique aux informations et idées de toutes sortes, y compris celles qui peuvent être profondément choquantes.

Cumhuriyet a publié une sélection de dessins de Charlie Hebdo dans un supplément de quatre pages accompagnant son édition quotidienne mercredi 14 janvier.

Le journal a choisi de ne pas reprendre en couverture le dessin publié en une de l’hebdomadaire français, représentant le prophète Mahomet en larmes tenant une pancarte « Je suis Charlie » et surmonté du titre « Tout est pardonné ». Néanmoins, deux chroniqueurs de Cumhuriyet, Hikmet Çetinkaya et Ceyda Karan, ont accompagné leur rubrique de ce dessin. Selon le quotidien, des enquêtes pénales ont été ouvertes sur ces deux journalistes. Ces images ont depuis été retirées de l’édition en ligne de Cumhuriyet.

Le personnel du journal a également reçu des menaces de violence pour avoir publié les dessins, et un groupe de personnes a manifesté devant ses locaux à Istanbul.

Aucun autre titre de presse écrite en Turquie n’a publié les dessins de Charlie Hebdo, qui ont suscité une controverse internationale.

Un tribunal de Diyarbakir (sud-est du pays) a ordonné des mesures de blocage à l’encontre de plusieurs sites Internet ayant publié la une de Charlie Hebdo.

Depuis longtemps, la justice turque traite les critiques en tant qu’« insultes », ce qui entraîne des condamnations pénales bafouant le droit à la liberté d’expression. Des dispositions pénales réprimant la diffamation sont fréquemment utilisées à cet effet, alors que les plaintes pour diffamation ou insulte déposées contre des personnes devraient être traitées par le biais de procédures civiles, et non pénales.

On observe en particulier une tendance croissante qui consiste à engager des poursuites contre toute forme d’expression jugée insultante envers l’islam. Dans une affaire jugée en 2013, le pianiste Fazil Say a été reconnu coupable d’avoir « dénigré l’islam » en vertu d’un article du Code pénal interdisant l’« incitation à la haine ou à l’hostilité ». Aux termes du droit international relatif aux droits humains, la protection des convictions religieuses ou autres et de la sensibilité des croyants n’est pas une raison valable pour restreindre la liberté d’expression, et le « dénigrement » d’une religion ne constitue par une incitation à la haine.

Autre signe de la fragilité de la liberté d’expression en Turquie, jeudi 15 janvier également, des journalistes du quotidien Yeni Akit ont reçu des menaces et le siège du journal à Istanbul a été la cible de jets de pierre après la diffusion d’images considérées comme insultantes envers le président fondateur de la Turquie, Mustafa Kemal Atatürk.

Complément d’information

Pour en savoir plus sur le travail d’Amnesty International relatif à la liberté d’expression en Turquie, consultez le rapport publié en mars 2013, intitulé Decriminalize dissent : Time to deliver on the right to freedom of expression.

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