TURQUIE - La liberté de la presse menacée par le nouveau Code pénal

DÉCLARATION PUBLIQUE

Ces jours derniers, les groupes de presse turcs ont exprimé leur préoccupation au sujet du nouveau Code pénal, qui doit entrer en vigueur le 1er avril 2005. Des organismes professionnels, tels que le Conseil de la presse et la Société des journalistes de Turquie, ont appelé le gouvernement à revoir de toute urgence la nouvelle législation, dont ils craignent qu’elle ne limite la liberté de la presse. Le ministre de la Justice, Cemil Cicek, a déclaré que le gouvernement pourrait revoir cette législation. Amnesty International partage les préoccupations des organismes de presse et exhorte le gouvernement à prendre des mesures pour mettre le droit turc en conformité avec le droit et les normes internationaux relatifs aux droits humains concernant la liberté d’expression.

Certes, le nouveau Code pénal introduit beaucoup de changements positifs - tout particulièrement en supprimant les articles discriminatoires à l’égard des femmes - mais il contient encore de nombreuses restrictions aux droits fondamentaux. Certaines dispositions, que les autorités ont déjà utilisées par le passé en violation des normes internationales relatives à la liberté d’expression, ont été conservées. Par exemple, l’article 159 de l’ancien Code pénal, qui qualifiait d’infraction le fait « d’insulter ou de dénigrer » diverses institutions publiques, et dont Amnesty International avait demandé l’abrogation à plusieurs reprises, réapparaît à l’article 301 du nouveau Code pénal, dans un chapitre intitulé « Crimes contre les symboles de la souveraineté de l’État et contre l’honneur de ses organes » (articles 299 à 301). Amnesty International craint que ce chapitre ne soit utilisé pour poursuivre des personnes pour la seule expression légitime de leurs désaccords et opinions.

Par ailleurs, certains nouveaux articles semblent introduire de nouvelles restrictions aux droits fondamentaux. Par exemple, l’article 305 du nouveau Code pénal qualifie d’infraction les « actes contraires à l’intérêt fondamental de la nation ». L’explication écrite qui accompagnait le projet de Code pénal lors de son examen par le Parlement citait, à titre d’exemple, des actes tels que « la propagande en faveur du retrait des soldats turcs de Chypre ou d’un règlement de ce problème au détriment de la Turquie [...] ou le fait de prétendre, contrairement à la vérité historique, que les Arméniens ont été victimes d’un génocide après la Première Guerre mondiale ». Amnesty International considère que toute condamnation pénale pour de tels propos - sauf en cas de volonté ou de probabilité de déclencher des violences dans un délai imminent - constituerait une violation flagrante des normes internationales relatives à la liberté d’expression.

En outre, beaucoup des articles du nouveau Code pénal prévoient des peines plus élevées lorsque le « crime » a été commis par voie de presse et laissent entrevoir la possibilité de condamner des journalistes à des peines de prison. Le président du Conseil de la presse, Oktay Eksi, a qualifié la nouvelle législation de « revers fâcheux pour la liberté d’expression et la liberté de la presse ».


Complément d’information

Le nouveau Code pénal a été présenté par le gouvernement comme moins restrictif et plus démocratique ; il a été adopté précipitamment par le Parlement en septembre 2004 sous la pression de l’Union européenne. Cette pression semble avoir eu pour conséquence de limiter les consultations avec les membres de la société civile, tels que les représentants de la presse et les groupes de défense des droits humains, et pourrait avoir contribué à la persistance de certains problèmes dans la nouvelle législation.

Amnesty International est aussi préoccupée par des aspects du Code pénal portant sur d’autres domaines que la liberté d’expression. Par exemple, l’article 122 du nouveau Code pénal, qui interdit la discrimination pour des raisons « de langue, de race, de couleur, de genre, d’opinion politique, de croyance philosophique, de religion, de confession, etc. », a été amendé au dernier moment afin que l’« orientation sexuelle » n’y figure pas. Amnesty International déplore donc le fait que la discrimination fondée sur la sexualité ne soit pas considérée comme une infraction dans la nouvelle législation.

En outre, l’organisation s’inquiète du maintien d’un délai de prescription pour les affaires de torture. En effet, même si le nouveau Code pénal allonge ce délai, les procès d’auteurs présumés de torture sont souvent reportés délibérément jusqu’à ce que les poursuites soient abandonnées pour cause de prescription, ce qui contribue à créer un climat d’impunité. Étant donné que cette situation se produit souvent et que la torture est une norme impérative du droit international général, Amnesty International considère qu’il ne devrait pas exister de prescription pour ce crime.

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