Communiqué de presse

Turquie : les réformes juridiques ne répondent pas aux attentes en ce qui concerne la liberté d’expression

La condamnation en avril de Fazýl Say, un pianiste turc, pour « insulte aux valeurs religieuses » n’est que la partie émergée de l’iceberg, qui laisse augurer de la manière dont les autorités turques pourraient appliquer une nouvelle série de réformes pouvant potentiellement limiter la liberté d’expression, a souligné Amnesty International.

Le « quatrième paquet judiciaire », un projet de loi de réforme confirmé lundi 29 avril par le président de la Turquie et adopté mardi 30 avril, n’atteint pas l’objectif déclaré du gouvernement de rendre la législation turque conforme aux normes internationales en matière de droits humains, notamment à la jurisprudence de la Cour européenne des droits de l’homme relative à la liberté d’expression.

« Cette réforme juridique restera dans les livres d’histoire comme une énième occasion manquée pour le gouvernement de présenter une véritable réforme en matière de droits humains
, a déclaré John Dalhuisen, directeur du programme Europe et Asie centrale d’Amnesty International.

« C’est un petit pas dans la bonne direction, mais encore bien en deçà des obligations internationales de la Turquie sur le plan des droits humains et de ce que le peuple turc attend de ses législateurs. »

Amnesty International pense que cet ensemble de réformes permettra que les procès abusifs continuent et exposera donc encore plus de militants politiques, de journalistes et de défenseurs des droits humains à des peines de prison pour avoir mené leurs activités.

Besoin de mesures urgentes

L’organisation engage le gouvernement à abroger la disposition relative à l’« insulte aux valeurs religieuses », utilisée contre le pianiste Fazil Say, qui a été condamné à 10 mois de prison avec sursis pour avoir publié des commentaires jugés insultants sur Twitter. Elle souhaite également l’abrogation de l’article 301 du Code pénal relatif au « dénigrement de la nation turque » et de l’article 125 réprimant la diffamation. Aucune de ces trois dispositions ne figurait dans les récentes réformes du gouvernement.

« La condamnation du pianiste Fazil Say pour “insulte aux valeurs religieuses” montre bien le besoin de changer les lois dépassées et restrictives de la Turquie, a ajouté John Dalhuisen.

« Il ne suffit pas que le gouvernement affirme que le processus de réforme est en cours ; il faut prendre maintenant des mesures urgentes. »

Risque d’abus

Amnesty International relève que plusieurs autres articles du Code pénal modifiés dans le cadre du paquet de réformes pourraient encore donner lieu à des abus, qui entraîneraient de nouvelles violations du droit à la liberté d’expression.

Il s’agit notamment de l’article 215, qui condamne l’« éloge d’un crime ou d’un criminel », et de l’article 318 portant sur le fait de « susciter l’hostilité de la population à l’égard du service militaire » – que l’organisation souhaite voir abrogés tous les deux.

Le paquet de réformes modifie aussi deux articles de la Loi antiterroriste : l’article 6-2 relatif à « l’impression ou la publication de déclarations ou de propos d’organisations terroristes » et l’article 7-2 portant sur la « propagande en faveur d’une organisation terroriste ». En vertu des réformes, seules les déclarations caractérisées par la contrainte, la violence ou les menaces peuvent faire l’objet de poursuites au titre de ces dispositions. Cependant, bien que les modifications proposées restreignent les infractions visées et puissent donc empêcher certains des abus constatés par le passé, elles sont encore trop vagues car elles incluent les concepts flous de contrainte et de menaces sans indiquer de lien avec la violence.

Selon les normes internationales, seules les personnes faisant des déclarations qui s’apparentent à de la propagande en faveur de la guerre ou à toute autre sorte d’apologie de la violence peuvent être poursuivies.

Amnesty International demande aux autorités turques de modifier l’article 7-2 conformément aux normes internationales et de supprimer l’article 6-2, qui ne prévoit pas de poursuites légitimes à part celles visées à l’article 7-2.

Les modifications empêchent en revanche l’utilisation de ces articles et de certaines infractions prévues par la Loi relative aux manifestations conjointement avec l’article 220-6 du Code pénal portant sur le fait de « commettre une infraction pour le compte d’une organisation terroriste », qui permet de sanctionner des personnes comme si elles étaient membres d’une organisation terroriste.

Cette modification est bienvenue car elle devrait empêcher certains des procès abusifs pour « infraction pour le compte d’une organisation terroriste », au cours desquels des personnes ont notamment été jugées et condamnées pour avoir légitimement exprimé des opinions divergentes, en particulier au sujet des droits et de la politique kurdes, à travers des discours, en participant à des manifestations et en s’associant avec certains groupes et organisations politiques reconnus.

Cependant, elle ne résout pas le problème plus vaste des poursuites similaires engagées pour « appartenance à une organisation terroriste » au titre de l’article 314 du Code pénal ou d’autres dispositions liées.

Amnesty International prie instamment les autorités turques de supprimer le chef d’« infraction pour le compte d’une organisation terroriste » et de traiter les abus plus vastes commis dans le cadre des poursuites pour terrorisme en modifiant la définition trop large et vague du terrorisme afin qu’elle soit conforme aux normes internationales.

« Les lois formulées de manière excessivement large et vague qui sont appliquées en violation du droit à la liberté d’expression ne sont pas un fait nouveau en Turquie. Les législateurs du pays auraient dû y mettre fin, a indiqué Andrew Gardner, spécialiste de la Turquie au sein d’Amnesty International.

« Ce projet de loi de réforme a fourni aux autorités turques une occasion de faire cesser les poursuites à l’encontre de personnes pour appartenance à une organisation terroriste fondées simplement sur le fait qu’elles ont écrit un livre ou donné une conférence soutenant soi-disant les objectifs d’une organisation terroriste. Doit-on maintenant comprendre que le gouvernement veut que ces poursuites abusives continuent ?

« Il est essentiel de mettre fin aux poursuites abusives et inéquitables engagées au titre des lois antiterroristes pour parvenir à la paix et la justice en Turquie. »

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