« Le 1er juillet à minuit, la Turquie a tourné le dos à une référence absolue en matière de sécurité pour les femmes et les filles. Son retrait envoie un message inconsidéré et dangereux à ceux qui maltraitent, mutilent et tuent, leur disant en substance qu’ils peuvent continuer en toute impunité », a déclaré Agnès Callamard, secrétaire générale Amnesty International.
« La Turquie revient 10 ans en arrière sur le terrain des droits humains et établit un précédent terrifiant. Cette décision déplorable a déjà servi de signal de rassemblement à des militant·e·s en faveur des droits des femmes du monde entier, et nous devons nous unir afin de résister à de nouvelles attaques contre nos droits. »
Cette décision a suscité une condamnation générale dans le monde et donné lieu à des manifestations nationales dans un pays où la violence domestique est très répandue et où au moins 300 femmes ont été tuées l’an dernier.
« La Convention d’Istanbul a un impact direct et pratique sur la manière dont les États appréhendent la protection contre les violences basées sur le genre, ainsi que sur la façon dont la prévention et les poursuites peuvent être améliorées. Ainsi, en Belgique, le Plan d’action national de lutte contre toutes les formes de violences basées sur le genre a été greffé sur le texte de la Convention et les centres de prise en charge des victimes de violence sexuelle y trouvent également une base juridique, explique Philippe Hensmans, directeur de la section belge francophone d’Amnesty International. Beaucoup d’efforts restent à fournir dans la lutte contre les violences basées sur le genre, également en Belgique, mais grâce à la Convention et à ses outils de mise en œuvre, le suivi national et international des mesures prises pour mener cette lutte est beaucoup mieux assuré. Il est très regrettable que le gouvernement du président Erdoğan prive la Turquie de cette perspective. »
Cette sortie survient trois mois après que le président Erdoğan a annoncé sa décision par décret présidentiel, en dépit d’une mobilisation massive de la part des femmes et des personnes lesbiennes, gays, bisexuelles, transgenres et intersexuées à travers la Turquie et dans le monde. Cette décision a été fermement condamnée par des gouvernements, des organes internationaux et des dirigeants mondiaux, y compris Joe Biden et Ursula von der Leyen, la présidente de la Commission européenne.
« Le retrait de la Turquie de la Convention d’Istanbul n’est que la partie émergée d’un dangereux iceberg menaçant les droits »
Le traité a été ouvert à la signature par le Conseil de l’Europe en mai 2011 à Istanbul. Il propose un cadre juridique pour la protection des femmes contre la violence, et promeut l’égalité des genres par le biais de la législation, de l’éducation et de la sensibilisation. Les quatre principes au cœur de la Convention - prévention, protection, poursuites, et politiques intégrées - visent à fournir une structure globale pour lutter contre les violences liées au genre.
Avec la ratification et la mise en œuvre de la Convention, de fortes améliorations ont été observées dans la manière dont les États traitent les personnes victimes de violences liées au genre. Cela va de la mise en place de numéros d’assistance téléphonique disponibles 24 h/24 pour les victimes de violence domestique en Finlande, à l’introduction de définitions du viol fondées sur le consentement en Islande, en Suède, en Grèce, en Croatie, à Malte, au Danemark et en Slovénie depuis 2018.
La Convention d’Istanbul est un instrument des droits humains largement accepté, qui vise à répondre au fléau des violences contre les femmes en Europe. En juin, le Liechtenstein est devenu le 34e pays du Conseil de l’Europe à ratifier la Convention.
La Convention fait toutefois l’objet de réactions brutales inquiétantes à travers de nombreuses zones d’Europe, et est présentée sous un faux jour par divers gouvernements pour répandre des informations erronées et diaboliser l’égalité des genres, ainsi que les droits des femmes et des personnes LGBTI.
« Le combat se poursuit pour le respect des droits fondamentaux de toutes les personnes touchées par le fléau des violences liées au genre »
La sortie de la Turquie de la Convention d’Istanbul est une évolution extrêmement préoccupante, avec en toile de fond l’érosion continue des droits dans ce pays. Le 26 juin, des policiers antiémeutes ont recouru à une force excessive contre les participant·e·s à la marche des fiertés d’Istanbul, qui ont vu cette célébration annuelle des droits des personnes LGBTI interdite pour la sixième année consécutive. Des centaines de participant·e·s à cet événement ont été visés par du gaz lacrymogène et des projectiles en plastique. Au moins 47 personnes ont été arrêtées, notamment deux mineur·e·s et un journaliste de l’AFP qui a été soumis à la torture et à d’autres formes de mauvais traitements lorsque plusieurs policiers l’ont plaqué au sol. Un policier a appuyé avec son genou sur le cou du journaliste, restreignant fortement sa capacité à respirer.
« Le retrait de la Turquie de la Convention d’Istanbul n’est que la partie émergée d’un dangereux iceberg menaçant les droits. Mais il a aussi galvanisé des militant·e·s du monde entier, les incitant à prendre la défense des droits des femmes et des personnes LGBTI+ », a déclaré Agnès Callamard.
« Ces derniers mois, depuis que le président Erdoğan a adopté son décret, les femmes de Turquie et d’ailleurs parlent de la Convention plus que jamais, et descendent dans la rue pour défendre ce qu’elle représente. Le combat se poursuit pour le respect des droits fondamentaux de toutes les personnes touchées par le fléau des violences liées au genre. »
COMPLÉMENT D’INFORMATION
La Turquie est le premier et seul pays du Conseil de l’Europe à se retirer d’une convention internationale relative aux droits humains. Sur les 47 pays membres du Conseil de l’Europe, 34 ont signé et ratifié la Convention d’Istanbul.
L’Azerbaïdjan et la Russie sont les seuls membres du Conseil à ne pas avoir encore signé ce traité. La semaine dernière, l’Ukraine et le Royaume-Uni ont annoncé qu’ils étaient déterminés à le ratifier. Le Mexique, qui a un statut d’État observateur au Conseil de l’Europe, a aussi fait part de son intention de rejoindre la Convention.
Le gouvernement turc et ses sympathisant·e·s affirment que la Convention menace les « valeurs familiales » et « normalise l’homosexualité », propos repris par plusieurs gouvernements, notamment en Pologne et en Hongrie, pour justifier leurs tentatives d’opérer un retour en arrière sur certains droits.