TURQUIE - Le tribunal abandonne les poursuites contre le romancier Orhan Pamuk

Index AI : EUR 44/001/2006

DÉCLARATION PUBLIQUE

Amnesty International a appris avec satisfaction, ce lundi 23 janvier 2006, que les poursuites contre le romancier Orhan Pamuk avaient été abandonnées. L’écrivain était poursuivi aux termes de l’article 301 du Code pénal turc pour ses commentaires sur les morts kurdes et arméniens dans un entretien accordé au Tages Anzeiger, un journal suisse. Le tribunal de première instance n° 2 de Sisli attendait l’autorisation du Ministère de la Justice pour examiner cette affaire et aurait renoncé aux poursuites après avoir reçu du Ministère un courrier dans lequel celui-ci se déclarait juridiquement incompétent pour intervenir.

Amnesty International est opposée à l’article 301 du Code pénal turc car il représente une grave menace pour la liberté d’expression, que les autorités turques ont l’obligation légale de respecter. L’organisation a analysé cet article et exposé de façon détaillée ses préoccupations au sujet des poursuites engagées contre Orhan Pamuk et d’autres personnes dans une déclaration publique en date du 1er décembre 2005, intitulée Turquie. L’article 301 menace la liberté d’expression : il doit être immédiatement abrogé ! (index AI : EUR 44/035/2005).

L’abandon des poursuites contre Orhan Pamuk ne lève pas pour autant les inquiétudes d’Amnesty International quant au contenu et aux risques d’interprétation arbitraire de cet article du Code pénal. L’organisation pense en effet que la notoriété de l’écrivain a permis d’attirer l’attention sur les points faibles de l’article 301, mais craint à présent que d’autres affaires de personnes poursuivies au titre du même article ne passent relativement inaperçues.

Ainsi, des poursuites restent engagées contre Hrant Dink, Sehmus Ulek, Ragip Zarakolu, Fatih Tas, Murat Pabuc, Birol Duru et Ridvan Kizgin, dont Amnesty International a décrit les cas dans sa précédente déclaration. En outre, le 9 décembre 2005, le tribunal de première instance n° 2 d’Istanbul a condamné Fatih Tas à six mois de prison pour la publication d’un autre livre, Kayipsin Diyorlar [Ils disent que tu es porté disparu]. Cet ouvrage d’Ali Aydin est un recueil d’articles et de poèmes sur un journaliste porté disparu dans les années 90. Fatih Tas a fait appel de cette décision. Par ailleurs, Amnesty International est aussi préoccupée par le cas d’autres personnes poursuivies au titre du même article pour avoir exprimé pacifiquement leurs opinions, et dont voici quelques exemples.

Les journalistes Murat Belge, Ismet Berkan, Hasan Cemal, Erol Katircioglu et Haluk Sahin risquent des peines d’emprisonnement aux termes de l’article 301 pour avoir écrit des articles de journaux à propos d’une décision judiciaire d’interdire une conférence sur la situation des Arméniens sous l’Empire ottoman. La première audience de cette affaire est prévue le 7 février 2006 devant le tribunal de première instance n° 2 de Bagcilar.

Le procès d’Halil Altindere, organisateur de la 9e Biennale d’Istanbul, un festival d’art, doit s’ouvrir devant le tribunal pénal de première instance de Beyoglu le 13 avril 2006. Cet homme est inculpé au titre de l’article 301 en lien avec une exposition photographique jugée « insultante » pour les forces armées.

Le procureur de la République de Beyoglu a également engagé des poursuites, en vertu de ce même article, contre Abdullah Yildiz, directeur de la maison d’édition Literatur, pour la publication de la traduction d’un livre de l’auteure grecque Mara Meimaridi intitulé Izmir’in Falcilari (Les sorcières de Smyrne). Ce livre est accusé de donner une mauvaise image du peuple turc. L’affaire doit être examinée le 6 avril 2006.

Les professeurs Ibrahim Kaboglu et Baskin Oran, respectivement ancien directeur et ancien membre de la Commission consultative sur les droits humains rattachée au bureau du Premier ministre, seront jugés le 15 février 2006. Ils sont inculpés au titre des articles 216 et 301 du Code pénal pour un rapport sur les minorités et les droits culturels qu’ils avaient rédigé à la demande du Premier ministre lui-même.

Enfin, le 22 décembre 2005, le tribunal pénal de première instance n° 2 d’Istanbul a condamné l’auteur Zulkuf Kisanak à cinq mois d’emprisonnement pour « insultes à la République turque » dans son livre intitulé Bin Yillarin Mirasi Nasil Yakildi : Yitik Koyler [Comment l’héritage de plusieurs milliers d’années a été brûlé : les villages perdus]. Sa peine a été commuée en une amende de 3 000 lires turques (environ 1 850 euros).

L’abandon des poursuites contre Orhan Pamuk est une avancée insuffisante pour la liberté d’expression en Turquie. Amnesty International voit dans cette décision une nouvelle preuve du caractère arbitraire de l’article 301. Elle appelle les autorités turques à abandonner toutes les poursuites engagées en vertu de cet article, ainsi qu’à abolir totalement l’article lui-même.

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