Communiqué de presse

Turquie. Un projet législatif risque de bafouer les droits des prisonniers

Amnesty International a écrit au ministre de la Justice turc pour lui faire part de ses préoccupations concernant un projet de modification de loi qui devrait être soumis au Parlement et qui pourrait bafouer le droit des prisonniers de rencontrer leurs avocats et leurs proches.

Entre autres dispositions, le projet de modification de la Loi sur l’application des peines et des mesures de sécurité définit les circonstances dans lesquelles une personne incarcérée pourrait ne pas être autorisée à s’entretenir avec son avocat et ses proches. Les modifications proposées prévoient que s’il existe des éléments concrets prouvant qu’un condamné transmet des instructions à une organisation criminelle par le biais des personnes qui lui rendent visite, notamment son avocat, il peut se voir refuser le droit d’entrer en contact avec ces personnes sur décision d’un juge, à la demande du procureur.

Cette interdiction pourrait être prononcée pour une durée maximale de six mois. Toutefois, les détenus auraient le droit de former un recours. Pendant la période où ils ne seraient pas autorisés à consulter leurs avocats, les détenus pourraient demander à être assistés par un avocat de l’aide judiciaire, désigné par l’Association des avocats turcs. Un agent de la fonction publique devrait être présent lors des consultations.

Amnesty International craint que ces modifications, si elles sont adoptées, soient appliquées de façon arbitraire sans que les détenus aient accès à des voies de recours effectives, ce qui porterait atteinte à leur droit de consulter leurs avocats et de s’entretenir avec leurs proches. Sans l’aide d’un avocat, les prisonniers verraient leurs possibilités de former un recours fortement limitées, et toute assistance juridique alternative pourrait ne pas être impartiale. Le droit d’accès à une assistance juridique confidentielle ne doit pas faire l’objet de restrictions déraisonnables. Depuis longtemps, Amnesty International s’inquiète de ce que, en vertu de la législation en vigueur, les droits des prisonniers sont bafoués, les peines appliquées de façon arbitraire et les voies de recours inefficaces. Les modifications proposées n’offrent pas de garanties suffisantes contre l’application arbitraire de la disposition interdisant à un prisonnier de consulter un avocat ou de s’entretenir avec d’autres personnes qui lui rendent visite.

Il est fréquent que les réglementations autorisant les prisonniers à se réunir jusqu’à 10 heures par semaine ne soient pas appliquées dans les prisons de haute sécurité, ce qui a pour conséquence d’isoler les détenus, individuellement ou en petits groupes. Ce problème est aggravé par le fait que des périodes de détention à l’isolement sont imposées de façon arbitraire, en guise de punition. Bien que les détenus aient le droit de former un recours contre ces pratiques, ils sont privés d’un accès effectif aux mécanismes permettant de réaliser cette démarche.

Des dispositions autorisent les prisonniers à bénéficier de soins médicaux en dehors de la prison lorsqu’ils ne peuvent recevoir de traitement adéquat sur place. Mais ces dispositions ne sont généralement pas appliquées, ce qui porte atteinte au droit qu’ont les détenus de recevoir des soins médicaux adaptés à leur état.

Les déclarations du gouvernement indiquent que le projet législatif vise à empêcher le dirigeant du PKK Abdullah Öcalan, actuellement incarcéré, de rencontrer ses avocats et ses proches. Amnesty International a exposé ses préoccupations concernant le fait qu’Abdullah Öcalan se soit vu refuser à plusieurs reprises la possibilité de s’entretenir avec ses avocats ou des membres de sa famille. Les mauvaises conditions météorologiques ou la panne du bateau permettant d’accéder à la prison située sur l’île de Ýmralý auraient été invoquées pour justifier ce refus. Dans ce contexte, Amnesty International craint que les modifications proposées ne servent de prétexte supplémentaire pour interdire à Abdullah Öcalan de voir ses avocats ou sa famille. De plus, par le passé, les affirmations d’Abdullah Öcalan indiquant qu’il avait été victime de mauvais traitements avaient été relayées par ses avocats. Toute disposition lui interdisant de consulter ses avocats compromettrait sérieusement ses possibilités de dénoncer de telles pratiques à l’avenir.

Dans sa lettre, Amnesty International a souligné les responsabilités incombant aux autorités turques concernant le respect des droits des prisonniers, conformément à l’Ensemble de principes des Nations unies pour la protection de toutes les personnes soumises à une forme quelconque de détention ou d’emprisonnement.

Le principe 18-3 dispose : « Le droit de la personne détenue ou emprisonnée de recevoir la visite de son avocat, de le consulter et de communiquer avec lui sans délai ni censure et en toute confidence ne peut faire l’objet d’aucune suspension ni restriction en dehors de circonstances exceptionnelles, qui seront spécifiées par la loi ou les règlements pris conformément à la loi, dans lesquelles une autorité judiciaire ou autre l’estimera indispensable pour assurer la sécurité et maintenir l’ordre. »

Le principe 19 dispose : « Toute personne détenue ou emprisonnée a le droit de recevoir des visites, en particulier de membres de sa famille, et de correspondre, en particulier avec eux, et elle doit disposer de possibilités adéquates de communiquer avec le monde extérieur, sous réserve des conditions et restrictions raisonnables que peuvent spécifier la loi ou les règlements pris conformément à la loi. »

Amnesty International a affirmé que les modifications proposées et leur application potentiellement arbitraire ne correspondaient pas aux principes cités ci-dessus, et a appelé le ministre de la Justice turc à garantir que toute nouvelle législation définisse clairement les circonstances dans lesquelles le droit qu’ont les détenus de choisir librement leur avocat pourrait faire l’objet de restrictions, qu’elle établisse des procédures de recours bien définies et effectives et qu’elle préserve pleinement le droit à bénéficier d’une assistance juridique efficace et indépendante.

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