Ukraine : Il faut abandonner toutes les charges retenues contre le journaliste Vassyl Mouravytski et le libérer

Le journaliste ukrainien Vassyl Mouravytski, détenu depuis le 2 août pour des accusations de séparatisme, est un prisonnier d’opinion. Il est poursuivi uniquement pour avoir exercé sans violence son droit à la liberté d’expression, en lien avec ses activités professionnelles, et doit être libéré immédiatement et sans condition

Vassyl Mouravytski est un journaliste local bien connu, originaire de Zhytomyr, dans le nord-ouest de l’Ukraine. Depuis des années, il écrit des articles critiques à l’égard des autorités, avant comme après les manifestations de l’EuroMaïdan en 2013-2014 qui ont conduit à la chute du président de l’époque Viktor Ianoukovitch. Depuis l’occupation de la Crimée par la Russie et le déclenchement du conflit dans l’est de l’Ukraine, Vassyl Mouravytski s’est intéressé à la gestion de ces deux crises par le gouvernement de Kiev et a enquêté sur la corruption locale dans la région de Zhytomyr.

Le 2 août 2017, peu après la naissance de son enfant, des agents du Service de sécurité d’Ukraine (SBU) ont arrêté Vassyl Mouravytski à la maternité de l’hôpital en tant que suspect au titre des articles 111 (haute trahison), 110 (menace contre l’intégrité territoriale de l’Ukraine), 258-3 (appartenance à une organisation terroriste) et 161 (incitation à la haine) du Code pénal ukrainien. Le lendemain, le tribunal de Korolyovski, à Zhytomyr, a ordonné que Vassyl Mouravytski soit placé en détention provisoire pendant 60 jours, période qui a depuis été prolongée, la dernière fois le 20 décembre.

Amnesty International a suivi la procédure pénale visant Vassyl Mouravytski et noté plusieurs éléments inquiétants dans cette affaire qui vont à l’encontre des obligations incombant à l’Ukraine au titre du droit international relatif aux droits humains, notamment en ce qui concerne les droits à la liberté d’expression et à un procès équitable.

Poursuivi pour avoir exprimé son opinion

Les allégations très graves visant Vassyl Mouravytski s’appuient sur plusieurs publications, que le Service de sécurité d’Ukraine (SBU) a rendues publiques sur sa page Facebook le 11 septembre en tant que preuves l’incriminant. Après avoir analysé les éléments de preuve qui y sont répertoriés, Amnesty International estime que toutes les accusations visant Vassyl Mouravytski découlent du fait qu’il a exercé pacifiquement son droit à la liberté d’expression, ce qui est primordial pour ses activités professionnelles en tant que journaliste.

Dans les articles qu’il a rédigés et que le SBU a cités à titre de preuves, Vassyl Mouravytski livre une critique acerbe des autorités ukrainiennes et des représentants de l’État, et ce sans utiliser de pseudonyme ni cacher son nom. En particulier, il critique les déclarations publiques et la politique du gouvernement à Kiev vis-à-vis du conflit dans l’est de l’Ukraine et de la Crimée sous occupation russe. Si ces critiques peuvent déplaire fortement à ceux qu’elles visent, il importe de souligner que Vassyl Mouravytski n’incite pas à la violence et ne cherche pas à susciter la haine envers des groupes ethniques ou religieux.

L’article 19 du Pacte international relatif aux droits civils et politiques (PIDCP) et l’article 10 de la Convention européenne des droits de l’homme, auxquels l’Ukraine est partie, garantissent le droit à la liberté d’expression, qui ne peut être restreint que dans des circonstances précises et dans un but précis.

De telles restrictions doivent être fixées par la loi, formulées de manière suffisamment précise pour permettre de réglementer leur mise en place en conséquence, et doivent être nécessaires et proportionnées pour atteindre un objectif légitime (sauvegarde de la sécurité nationale, de l’ordre public, de la santé ou de la moralité publiques, ou respect des droits ou de la réputation d’autrui).

Il importe de noter que le droit à la liberté d’expression, au titre de l’article 10 de la Convention européenne des droits de l’homme et de l’article 19 du PIDCP, protège le droit de tous les citoyens de rechercher, de recevoir et de communiquer des informations et des idées de toute espèce, y compris des discours politiques, des commentaires sur ses propres opinons et sur les affaires publiques, le journalisme, l’expression culturelle et artistique, l’enseignement et les discours religieux. La protection internationale du droit à la liberté d’expression s’applique non seulement aux informations ou aux idées qui sont reçues favorablement ou considérées comme inoffensives, mais également à celles qui offensent, choquent ou dérangent l’État ou toute composante de la population.

Amnesty International a appris que, d’après l’acte d’accusation de Vassyl Mouravytski, le SBU a cité le contrat entre Vassyl Mouravytski et l’agence de presse russe RIA Novosti comme une preuve l’incriminant pour le chef de menace contre l’intégrité territoriale de l’Ukraine – ce que le bureau du procureur a validé. Comme l’établit l’article 19 du PIDCP, le droit de rechercher, de recevoir et de répandre des informations et des idées de toute espèce est protégé sans considération de frontières, qui ne doivent pas constituer des obstacles à la libre circulation de l’information. L’existence de relations contractuelles entre un journaliste et un organe de presse, invoquée par le SBU et le bureau du procureur dans l’affaire visant Vassyl Mouravytski, ne constitue pas en soi une infraction pénale.

En ce sens, comme l’a clairement établi le Groupe de travail des Nations unies sur la détention arbitraire, l’incarcération d’un journaliste découlant uniquement de l’exercice pacifique de son droit à la liberté d’expression constitue une forme de détention arbitraire. Dans cette affaire, les autorités doivent libérer Vassyl Mouravytski immédiatement et sans condition.

Violations du droit à un procès équitable

Amnesty International déplore les possibles violations du droit à un procès équitable dans l’affaire visant Vassyl Mouravytski, notamment du droit de l’accusé à disposer du temps et des moyens nécessaires à la préparation de sa défense.

À la connaissance d’Amnesty International, à ce jour, plus de quatre mois après l’arrestation de Vassyl Mouravytski, ni lui ni son avocat n’ont reçu de détails sur la nature et la cause des accusations portées à son encontre, notamment la liste complète de ses publications au cœur de la procédure pénale le visant.

Quelques semaines après son arrestation, son avocat a pu obtenir une copie du contrat avec RIA Novosti, cité comme l’une des pièces principales du dossier. En revanche, au moment où nous rédigeons ces lignes, son avocat n’a toujours pas reçu la liste complète des publications qui, selon l’accusation, ont été rédigées par Vassyl Mouravytski et bafouent le Code pénal ukrainien. Cela entrave sa capacité à préparer une défense adéquate et va à l’encontre du principe de l’égalité des armes, deux garanties essentielles du droit à un procès équitable.

Pressions exercées sur un témoin et le tribunal

Amnesty International a également eu connaissance de faits qui semblent relever de pressions injustifiées exercées sur un témoin possible, dans le but de l’obliger à témoigner contre Vassyl Mouravytski. D’après cet homme, des agents du SBU l’ont approché à plusieurs reprises, ainsi que son épouse et certains de ses proches, pour tenter de les convaincre de fournir un témoignage incriminant Vassyl Mouravytski. Dans le cadre de manœuvres de harcèlement et d’intimidation visant ce témoin potentiel, les agents du SBU ont mené deux perquisitions à son domicile, en présentant une autorisation la première fois seulement. Ce qui, à tout le moins, remet en cause la légalité de la deuxième perquisition. Par ailleurs, cet homme n’a jamais été interrogé officiellement en lien avec l’affaire visant Vassyl Mouravytski. Il a porté plainte au sujet de la deuxième perquisition auprès du bureau du procureur militaire de Zhytomyr, chargé d’enquêter sur les violations présumées commises par les organes chargés du maintien de l’ordre public, dont le SBU. Le bureau du procureur a répondu que le SBU n’avait commis aucun acte illégal et il n’a pris aucune autre mesure au sujet de cette plainte.

Amnesty International note également avec préoccupation certains événements qui pourraient remettre en cause l’intégrité de la procédure visant Vassyl Mouravytski. Le 2 novembre 2017, lors d’une session ordinaire du Parlement régional de Zhytomyr, un groupe d’hommes en tenue de camouflage, sous les ordres d’un membre du Corps des Volontaires Ukrainiens, un groupe paramilitaire, a fait irruption au Parlement et est monté au perchoir pour proférer des menaces de violence et de mort contre ceux qui « prônent le séparatisme » dans la région de Zhytomyr, et a exigé que les députés locaux « influencent des gens comme Mouravytski ». Le président de l’assemblée a alors déposé une motion adressant une requête officielle au SBU afin de vérifier les informations présentées par le groupe d’hommes en tenue de camouflage. Cette motion a été soumise au vote et adoptée à l’unanimité.

En outre, lors d’audiences de demande de remise en liberté dans le cadre de cette affaire, les 24 octobre et 2 novembre, un groupe d’hommes en tenue de camouflage a constamment interrompu la procédure en hurlant des injures à l’adresse de Vassyl Mouravytski et de ses soutiens présents dans la salle d’audience, notamment « Séparatistes ! » et « Tant que tu bosses pour Poutine, tu seras [en prison] ! ». L’objectif était semble-t-il d’influencer l’opinion des magistrats et de compromettre leur impartialité. Lors de la dernière audience, le 20 décembre, pas d’hommes en tenue de camouflage, mais un groupe de femmes : elles ont interrompu l’avocat en criant « Traîtres ! » lorsque celui-ci a mentionné le soutien que son client a reçu d’organisations internationales comme Reporters sans frontières.

À la connaissance d’Amnesty International, aucun de ces incidents n’a fait l’objet d’une véritable enquête de la part des autorités compétentes, compromettant d’autant plus le droit de Vassyl Mouravytski à un procès équitable.

Au moment où nous rédigeons cette déclaration, Vassyl Mouravytski demeure en détention provisoire. Les tentatives de son avocat de faire appel de cette mesure n’ont pas abouti, se heurtant à l’article 176 (5) du Code de procédure pénal ukrainien, qui prévoit la détention provisoire automatique pour les personnes inculpées au titre de plusieurs dispositions, notamment au titre des articles 110 et 111 (menace contre l’intégrité territoriale de l’Ukraine et haute trahison), au titre desquels il est inculpé.

Aux termes du droit international relatif aux droits humains et des normes en la matière, la détention provisoire doit rester une mesure exceptionnelle, décidée au cas par cas après avoir déterminé si elle est raisonnable et nécessaire. Elle doit être définie par la loi et ne pas s’appuyer sur des normes générales et vagues. Afin de justifier la détention d’une personne dans l’attente de son procès, l’État doit prouver qu’il existe des soupçons raisonnables indiquant qu’elle a commis une infraction passible d’emprisonnement, un réel intérêt public qui, nonobstant la présomption d’innocence, prime sur le droit à la liberté individuelle, et des raisons substantielles de croire que, si elle est libérée, cette personne risque de fuir, de commettre une infraction grave, de s’ingérer dans l’enquête ou le cours de la justice ou de poser une grave menace à l’ordre public, et que la détention est donc le seul moyen de répondre à ces préoccupations.

Amnesty International demande aux autorités ukrainiennes d’abandonner immédiatement et sans condition toutes les charges retenues contre Vassyl Mouravytski et de le libérer sans attendre.

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