Communiqué de presse

Ukraine. Il faut que les autorités amènent la police à rendre des comptes et éradiquent la torture

Les autorités ukrainiennes doivent tirer parti du climat politique actuel afin de mettre un terme au recours massif de la police à la torture et à d’autres formes de mauvais traitements, en créant un organe véritablement indépendant, impartial et efficace qui serait chargé d’enquêter sur les plaintes déposées contre des policiers, écrit Amnesty International dans un rapport rendu public jeudi 11 avril.

« Les passages à tabac et les actes de torture continuent sans faiblir en Ukraine, en dépit de l’adoption d’un nouveau Code de procédure pénale par le gouvernement à la fin de l’année dernière. Aucune mesure concrète n’a été prise afin d’instaurer un mécanisme indépendant visant à obliger la police à rendre des comptes, ce qui dans les faits permet à celle-ci d’échapper aux sanctions malgré l’ampleur choquante des mauvais traitements infligés aux détenus », a déploré David Diaz-Jogeix, directeur du programme Europe et Asie centrale d’Amnesty International.

Dans un nouveau rapport, intitulé Ukraine : Don’t stop halfway : Government must use new Criminal Procedure Code to end torture, Amnesty International se penche sur de nouveaux cas de torture et d’autres formes de mauvais traitements, et exhorte le gouvernement à saisir l’occasion créée par l’adoption du nouveau Code de procédure pénale pour mettre sur pied un Bureau d’enquête national visant à dissuader les policiers susceptibles d’employer la torture de le faire.

Le rapport met au jour de nouveaux cas de torture imputés à la police, soulignant le fait que les problèmes soulevés dans des rapports précédents restent d’actualité en Ukraine. Sur les 114 474 plaintes pour violences policières déposées auprès du ministère public en 2012, seules 1 750 ont donné lieu à une enquête, débouchant sur l’ouverture de poursuites dans à peine 320 cas (contre 438 policiers).

Le ministère public ne mène pas d’enquêtes dignes de ce nom sur ces allégations de torture ou d’autres formes de mauvais traitements. Les procureurs travaillent quotidiennement avec la police afin d’élucider des crimes de droit commun, d’où un conflit d’intérêt inévitable lorsqu’on leur demande d’examiner des plaintes déposées contre des policiers.

Amnesty International recommande qu’une agence indépendante dotée de toutes les ressources requises soit établie afin d’enquêter sur l’ensemble des violations des droits humains attribuées à des policiers.

« Les abus perpétrés par des représentants de l’État ne pourront être combattus que lorsque ces derniers sauront qu’ils devront rendre des comptes pour leurs agissements et risqueront des sanctions disciplinaires ou pénales s’ils sont reconnus coupables de torture ou d’autres formes de mauvais traitements », a ajouté David Diaz-Jogeix.

Le nouveau Code de procédure pénale, introduit en novembre 2012, a le potentiel de limiter le recours généralisé à la torture car il réduit la durée maximale du maintien en détention sans inculpation des suspects, période pendant laquelle ceux-ci sont particulièrement exposés aux abus ou à des pressions aux mains de policiers. Les « aveux » recueillis par des policiers en garde à vue en-dehors des tribunaux ne sont par ailleurs plus recevables par la justice.

Le Code envisage la création d’un Bureau d’enquête national qui, s’il est établi en bonne et due forme, pourrait garantir que de véritables enquêtes impartiales soit menées dans les meilleurs délais sur les allégations selon lesquelles des policiers se sont rendus coupables de graves violations des droits humains.

« La création d’un mécanisme indépendant d’obligation de rendre des comptes pour la police marquera le début d’une ère nouvelle pour la justice pénale en Ukraine, où les droits des détenus seront respectés et les représentants de l’État seront tenus de rendre des comptes pour leurs agissements illégaux, le cas échéant », a poursuivi David Diaz-Jogeix.

« Cela constitue autant une chance qu’un défi pour les Ukrainiens. Ils doivent comprendre comment le nouveau Code protège leurs droits et avoir le courage de se mobiliser pour revendiquer ces droits. »

Exemples de cas

Vitali Levtchenko et Andreï Melnitchenko travaillaient sur un chantier de construction dans la ville de Ladyjyn (sud du pays) depuis trois mois sans avoir été rémunérés. Le 20 novembre 2012, ils sont allés réclamer leur paye au responsable. Des agents de sécurité ont appelé des policiers, qui auraient commencé à frapper les deux hommes à coups de matraque et les auraient plus tard emmenés, menottes aux poignets, au poste de police où les coups et d’autres formes de mauvais traitements ont continué. Andreï Melnitchenko a eu un tympan percé et Vitali Levtchenko les deux bras cassés. Ils étaient tous deux couverts d’hématomes. Ils ont porté plainte mais l’affaire a été classée en février 2013, après que la police eut affirmé que Vitali Levtchenko s’était cassé les bras en cognant contre une porte et qu’Andreï Melnitchenko avait fait une chute.

Le 16 octobre 2012, Alexandre Popov a été empoigné dans la rue et forcé à monter à bord d’une voiture par des hommes qui lui ont dit qu’ils étaient policiers. Ils l’ont menotté, lui ont mis un sac plastique sur la tête et l’ont conduit dans une forêt. Là, ils l’ont torturé à électricité pendant plusieurs heures, en utilisant différents voltages, alternant entre ses pieds et ses auriculaires pour administrer les décharges. Après plusieurs heures de ce traitement, Alexandre Popov a été emmené au poste de police de la ville de Marioupol, où des inspecteurs l’ont interrogé au sujet du meurtre d’une personne qu’ils ont nommée « Akhman » et qu’il ne connaissait pas. À la suite de sa libération, des médecins ont relevé sur son corps des hématomes causés par au moins 12 coups donnés à l’aide d’un objet contondant.

Alexandre Popov a porté plainte auprès du parquet de Marioupol, accusant la police de la ville de torture. En mars 2013, le procureur chargé de l’enquête a classé l’affaire au motif que le témoignage des policiers contredisait celui d’Alexandre Popov.

Le 18 avril 2012, Artem Geraymovytch-Megalyas a été arrêté à Simferopol, en Crimée, pour n’avoir pas répondu à une convocation du tribunal en relation avec le vol d’une perceuse et deux téléphones portables. Au poste de police de l’arrondissement de Jeleznodorojnyi, des policiers l’ont frappé, lui ordonnant d’« avouer » toutes sortes d’infractions. Artem Geraymovytch-Megalyas a déclaré qu’un officier lui a lacéré le nez avec un crochet en métal. Il a perdu connaissance et s’est réveillé dans un hôpital une semaine plus tard. La police a affirmé qu’un détenu souffrant de troubles mentaux avait agressé Artem Geraymovytch-Megalyas avec un tuyau métallique, puis elle a engagé des poursuites contre cet homme.

Artem Geraymovytch-Megalyas est resté à l’hôpital jusqu’en juin, le temps que les médecins soignent les lésions infligées à son cerveau, traitent ses fractures au crane et essaient de réparer son visage. Le 1er novembre, il a déposé plainte auprès du parquet, accusant la police de l’avoir torturé. Le parquet a rejeté la plainte pour « absence d’éléments prouvant l’existence d’un crime ». Artem Geraymovytch-Megalyas est défiguré à vie, et souffre de dépression et de stress post-traumatique. Il est actuellement hospitalisé et n’est pas en mesure de parler normalement. Il affirme qu’il serait capable d’identifier les policiers qui l’ont selon lui torturé, mais on ne lui en a pas donné l’occasion.

Voir également :

No evidence of a Crime : paying the price for police impunity in Ukraine

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