Ces derniers jours, les motifs de préoccupation se sont aggravés en raison des informations [1] et images partagées sur les médias sociaux montrant apparemment des cages installées dans la Philharmonie de Marioupol qui serviraient à enfermer les prisonniers qui vont être jugés. Le Laboratoire de preuves du programme Réaction aux crises d’Amnesty International a confirmé que les images postées sur Facebook par la municipalité de Marioupol [2] correspondaient bien à l’intérieur du bâtiment de la Philharmonie de Marioupol.
Le droit international interdit à la puissance qui détient des prisonniers de guerre de les poursuivre en justice pour leur participation aux hostilités, ou pour des actes de guerre commis légalement pendant un conflit armé. La Troisième Convention de Genève prévoit que les prisonniers de guerre inculpés d’infractions doivent bénéficier d’une procédure régulière et d’un procès équitable, qui ne peuvent se dérouler que devant un tribunal régulièrement constitué.
« Toute tentative des autorités russes visant à faire juger des prisonniers de guerre ukrainiens devant de soi-disant "tribunaux internationaux" créés par des groupes armés placés sous le contrôle effectif de la Russie à Marioupol est illégale et inacceptable, a déclaré Marie Struthers, directrice pour l’Europe de l’Est et l’Asie centrale à Amnesty International.
« Le droit international humanitaire interdit de créer un tribunal exclusivement chargé de juger des prisonniers de guerre. Le fait de priver délibérément des prisonniers de guerre de leur droit à un procès équitable, ce à quoi aboutiront les mesures prises par la Russie, constitue un crime de guerre. Les Conventions de Genève prévoient aussi clairement que les prisonniers de guerre sont protégés contre les poursuites pour leur participation aux hostilités.
« En organisant de tels simulacres de procès, la Russie, en tant que puissance occupante, se livre à une parodie de justice et transforme le processus judiciaire en instrument de propagande.
« Toute tentative des autorités russes visant à faire juger des prisonniers de guerre ukrainiens devant de soi-disant "tribunaux internationaux" créés par des groupes armés placés sous le contrôle effectif de la Russie à Marioupol est illégale et inacceptable »
« Le fait d’avoir choisi Marioupol pour y mettre en place ces "tribunaux" est particulièrement choquant dans la mesure où les attaques russes et le siège qu’elle a récemment subis ont transformé en champ de ruines cette ville, qui a été prise au mois de mai. Amnesty International a enquêté sur une frappe aérienne russe contre le théâtre d’art dramatique régional de Donetsk, à Marioupol, et en a conclu que les forces russes avaient délibérément visé des civil·e·s, cette attaque constituant manifestement un crime de guerre. »
Les droits des prisonniers de guerre ukrainiens
Les forces russes et les groupes armés soutenus par la Russie doivent permettre à des observateurs/trices indépendants un accès total aux prisonniers de guerre ukrainiens. Amnesty International partage les motifs de préoccupation exprimés par l’agence de l’ONU chargée des droits humains (le HCDH) [3] concernant le fait que des prisonniers de guerre ukrainiens n’ont pas pu avoir accès à des observateurs/trices indépendants, ce qui les « expose au risque d’être soumis à la torture pour qu’ils fassent des aveux ».
Amnesty International partage également les motifs de préoccupation du HCDH quant au fait que les déclarations publiques de hauts responsables russes qualifiant des prisonniers de guerre ukrainiens de « criminels de guerre » sapent le principe de la présomption d’innocence, qui est une garantie fondamentale pour l’équité des procès.
Ces dernières années, Amnesty International a rassemblé des informations sur de nombreux cas de violations du droit à un procès équitable en Russie, notamment sur l’utilisation endémique de la torture, la fabrication de preuves et les poursuites judiciaires motivées par des considérations politiques. Ces motifs de préoccupation sont encore plus vifs quand il s’agit de « procès » organisés par des groupes armés dans les territoires sous occupation russe.
Amnesty International a également réuni par le passé des informations sur de nombreuses atteintes aux droits humains commises par de tels groupes depuis qu’ils ont pris le contrôle de régions de l’est de l’Ukraine sous patronage russe, notamment des enlèvements, des homicides, des privations illégales de liberté, des actes de torture et d’autres mauvais traitements, et la répression de la dissidence.
Amnesty International demande par ailleurs qu’une enquête soit immédiatement ouverte sur d’autres crimes de guerre présumés, notamment sur l’explosion qui a eu lieu le 29 juillet dans le village d’Olenivka et qui a tué plus de 50 prisonniers de guerre ukrainiens détenus par les forces de la République populaire autoproclamée de Donetsk, dans l’est de l’Ukraine. Il est absolument nécessaire que les autorités russes permettent à des enquêteurs/trices internationaux de se rendre sur ce site pour mener un examen exhaustif.
La Troisième Convention de Genève
Les dispositions concernant la protection des prisonniers de guerre poursuivis en justice figurent aux articles 82 à 108 de la Troisième Convention de Genève (CGIII). Aux termes de l’article 84 : « En aucun cas, un prisonnier de guerre ne sera traduit devant quelque tribunal que ce soit qui n’offrirait pas les garanties essentielles d’indépendance et d’impartialité généralement reconnues... ».
De plus, l’article 13 de la CGIII contient les dispositions suivantes : « Les prisonniers de guerre doivent être traités en tout temps avec humanité. Tout acte ou omission illicite de la part de la Puissance détentrice entraînant la mort ou mettant gravement en danger la santé d’un prisonnier de guerre en son pouvoir est interdit et sera considéré comme une grave infraction à la présente Convention. [...] Les prisonniers de guerre doivent de même être protégés en tout temps, notamment contre tout acte de violence ou d’intimidation, contre les insultes et la curiosité publique. Les mesures de représailles à leur égard sont interdites. »
Obligation de rendre des comptes pour les crimes de guerre
Depuis le début du conflit, Amnesty International rassemble des informations sur les crimes de guerre et les violations du droit international humanitaire commis par la Russie dans le cadre de la guerre d’agression qu’elle mène contre l’Ukraine. Tous les documents qu’elle a publiés jusqu’à présent (nouvelles, rapports, enquêtes…) sont disponibles ici [4].
Amnesty International a demandé à plusieurs reprises que les forces russes responsables de violations soient amenées à rendre des comptes et se félicite de l’enquête actuellement menée par la Cour pénale internationale en Ukraine. L’établissement complet des responsabilités concernant la situation en Ukraine requiert des efforts concertés de la part des Nations unies et de ses organes, ainsi que des initiatives au niveau national en application du principe de compétence universelle.