Un professeur d’université kidnappé

L’augmentation régulière des enlèvements commis par des milices en Libye illustre à quel point l’absence d’état de droit dans ce pays contribue au chaos et au non-respect des lois, faisant vivre la population civile dans la peur, a déclaré Amnesty International le lundi 8 mai. Les kidnappings de civils imputables à des milices, souvent perpétrés en vue d’obtenir une rançon, sont en forte hausse depuis 2014, en particulier dans l’ouest du pays, où des centaines de personnes ont été portées disparues et où les enlèvements font désormais partie du quotidien.

Salem Mohamed Beitelmal, professeur à l’Université de Tripoli, est l’une des dernières victimes en date de ce phénomène. Il a été kidnappé il y a plus de deux semaines à proximité de son domicile, dans la zone de Siyyad (périphérie de Tripoli). On ignore où il se trouve et sa famille n’a eu aucun contact avec lui depuis son enlèvement.

« Le cas de Salem Beitelmal illustre les dangers constants que représentent pour les civils des milices qui continuent à intimider la population, semant cruellement la terreur par toute une série d’enlèvements. Ce cas met également en évidence la complicité des responsables politiques et des agents de l’État qui, jusqu’à présent, se sont abstenus de mettre un terme à cette pratique lucrative des milices », a déclaré Heba Morayef, directrice des recherches pour l’Afrique du Nord à Amnesty International.

« Les autorités doivent prendre toutes les mesures qui s’imposent pour briser le cercle infernal de la violence et de la peur que les civils subissent quotidiennement en Libye, en enquêtant efficacement sur ces crimes et en traduisant en justice les responsables présumés. »

Salem Beitelmal, qui enseigne au Département d’ingénierie maritime de l’Université de Tripoli, a disparu sans laisser de traces alors qu’il se rendait à son travail, le 20 avril 2017. Vers 10 heures, ce matin-là, des voisins ont trouvé sa voiture abandonnée dans une rue, non loin de son domicile. Tous les efforts que sa famille a déployés pour le retrouver sont restés vains jusqu’ici.

Siyyad, la zone où l’enlèvement a eu lieu, est sous le contrôle de plusieurs milices. Certaines d’entre elles opèrent officiellement sous l’autorité du ministère de l’Intérieur et du ministère de la Défense. Aucun groupe n’a revendiqué l’enlèvement de Salem Beitelmal, et on ignore quelle milice le détient.

Sa santé suscite également des inquiétudes grandissantes, car il suit habituellement un traitement médicamenteux qui ne doit pas être interrompu.

Pour les militants libyens comme pour les journalistes de ce pays, les enlèvements sont une des réalités les plus angoissantes de la vie quotidienne en Libye. D’après des informations relayées par les médias, citant le Service des enquêtes criminelles de Tripoli, qui relève du ministère de l’Intérieur, au moins 293 enlèvements ont été commis entre le 15 décembre 2016 et le 31 janvier 2017. Beaucoup de familles choisissent de ne pas signaler les kidnappings, par peur de représailles ; en conséquence, de nombreux cas ne sont pas recensés.

La plupart des enlèvements sont perpétrés dans le but d’extorquer aux familles des rançons d’un montant le plus élevé possible.

Dans certains cas, l’objectif est de négocier un échange de détenus. Les milices recourent également aux enlèvements pour réduire au silence les opposants, les journalistes et les défenseurs des droits humains qui dénoncent leurs agissements. Les victimes sont prises pour cible en raison de leur appartenance politique ou tribale perçue, de leur activité professionnelle ou de leur fortune supposée, le but étant de leur soutirer des informations sensibles ou de fortes sommes d’argent.

En Libye, les groupes armés rivaux et les milices commettent des atteintes flagrantes aux droits humains dans une impunité quasi totale. Même ceux qui opèrent sous l’autorité du gouvernement soutenu par l’ONU, affiliés au ministère de la Défense ou sous le contrôle officiel du ministère de l’Intérieur, ne sont pas soumis à des mesures efficaces de surveillance ou de contrôle par les autorités centrales.

« La multiplication des enlèvements montre qu’aucune des parties revendiquant une légitimité sur le terrain n’exerce un contrôle efficace », a déclaré Heba Morayef.

« Rétablir l’état de droit doit être une priorité absolue. Pour y parvenir, les autorités doivent veiller à ce que les responsables présumés d’enlèvements, de disparitions forcées et d’autres crimes de droit international soient poursuivis dans le cadre de procédures équitables et enfin traduits en justice. Il est temps d’éradiquer la culture de l’impunité généralisée qui a jusqu’ici encouragé les auteurs de ces crimes. »

Amnesty International demande instamment au gouvernement libyen d’union nationale de mener une enquête approfondie sur tous les enlèvements de civils commis dans le pays afin que les otages, y compris le professeur Salem Beitelmal, soient libérés rapidement et en toute sécurité.

« La communauté internationale ne doit plus faire l’impasse sur le problème des enlèvements lors de ses entretiens avec différentes milices et divers acteurs politiques. » Fermer les yeux sur ces crimes odieux ne fera que perpétuer l’impunité », a déclaré Heba Morayef.

Amnesty International prie également les acteurs politiques en Libye d’aider à mettre un terme aux atteintes aux droits humains en privant de soutien financier les milices responsables d’activités criminelles.

Amnesty International continue à appeler la Cour pénale internationale (CPI), qui s’est engagée à donner la priorité aux investigations concernant les exactions auxquelles les groupes armés se livrent actuellement, à enquêter sur les crimes commis par toutes les parties depuis 2011. Jusqu’à présent, aucune enquête digne de ce nom n’a été menée sur les crimes qui, selon les informations recueillies, ont été perpétrés par les groupes armés affiliés aux gouvernements qui se sont succédé en Libye. La communauté internationale a également un rôle déterminant à jouer en apportant son soutien à l’enquête de la CPI et en veillant au rétablissement de l’état de droit en Libye.

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