Une attaque délibérée contre les droits des réfugiés et des migrants

Amnesty International déplore l’adoption par l’Assemblée nationale hongroise, le 7 mars 2017, d’un ensemble de modifications à la législation nationale en matière d’asile. Si ces dispositions portant modification de cinq textes de loi sont promulguées par le chef de l’État et publiées au journal officiel, tous les demandeurs d’asile se trouveront confinés dans des « zones de transit » pendant toute la durée de la procédure, y compris en cas de dépôt d’un recours. Ces dispositions permettront aussi le renvoi sommaire de toutes les personnes interpellées en situation irrégulière en Hongrie de l’autre côté des barbelés qui clôturent une large part des frontières du pays.

Déposées par le ministre de l’Intérieur le 14 février 2017 et adoptées sans consultation des spécialistes en matière d’asile ni de la société civile, ces modifications permettent, lors d’une « situation de crise due à une immigration massive », le placement automatique des demandeurs d’asile en détention de fait, sans possibilité de contrôle du juge judiciaire, dans des « zones de transit » hautement surveillées. Il s’agit pour l’essentiel de camps de conteneurs installés aux frontières de la Hongrie, mais aussi de toute zone à l’intérieur du territoire hongrois et désignée « zone de transit ». Cette « situation de crise » est invoquée en permanence depuis septembre 2015 et restera en vigueur au moins jusqu’à septembre 2017, bien que le nombre d’arrivées en Hongrie demeure faible depuis l’adoption, en juillet 2016, d’une loi autorisant les expulsions sommaires. Aux termes des dispositions modifiées, qui ont abaissé le seuil de déclenchement et de maintien d’une « situation de crise due à une immigration massive », le gouvernement pourra invoquer une telle situation dans toute circonstance « mettant en péril la protection des frontières externes ».

Amnesty International appelle le président de la Hongrie à exercer son droit de veto et empêcher l’entrée en vigueur de ces modifications, soit les soumettant à un contrôle de constitutionnalité, soit en les renvoyant devant l’Assemblée nationale.

Les mesures récemment adoptées, qui frappent et punissent collectivement les réfugiés et les migrants qui pénètrent sur le territoire hongrois sur la seule base de leur situation au regard du séjour, constituent de toute évidence un nouveau risque clair de violations graves des valeurs de l’Union européenne (UE), notamment des droits humains.

L’organisation appelle la Commission européenne ainsi que les États membres de l’UE à tout mettre en œuvre pour faire en sorte que la législation hongroise soit conforme aux normes européennes et internationales, notamment en soumettant au Conseil européen une proposition motivée en vue de l’activation du mécanisme de prévention prévu à l’article 7(1) du traité sur l’Union européenne.

Les États qui participent au règlement de Dublin doivent s’abstenir de renvoyer des demandeurs d’asile en Hongrie, en raison des défaillances systémiques des conditions d’accueil et de la procédure d’asile. Il existe en particulier un risque réel de détention arbitraire et illégale, ainsi qu’un risque réel de « refoulement », la Serbie étant considérée par la loi comme un pays tiers sûr, d’une part, et la Hongrie ayant tenté de renvoyer des demandeurs vers la Grèce dans le cadre du règlement de Dublin, d’autre part.

DÉTENTION DE FAIT AUTOMATIQUE DES DEMANDEURS D’ASILE VIA L’ASSIGNATION À RÉSIDENCE

Les nouvelles dispositions en matière de détention étendent le champ d’application des dispositions sur l’assignation à résidence. Il s’agit de maintenir de fait en détention tous les demandeurs d’asile, y compris les mineurs isolés âgés de 14 à 18 ans, pendant toute la durée de la procédure d’asile, recours compris.

Il est prévu que les demandeurs soient obligatoirement assignés dans des conteneurs placés dans une « zone de transit ». La seule sortie possible s’effectue vers un pays tiers (la Serbie ou la Croatie), et le départ implique l’abandon de la procédure d’asile. Ces camps de conteneurs ne sont pas adaptés à un hébergement dans la durée et ne garantissent pas l’accès aux services de base. La détention de fait sera prononcée sur décision administrative du Bureau de l’immigration et de l’asile (anciennement Bureau de l’immigration et de la nationalité) au moment du dépôt d’une demande d’asile à la frontière.

Les mesures privatives ou non privatives de liberté qui restreignent le droit des réfugiés et des demandeurs d’asile à la liberté ne doivent être appliquées que dans des circonstances exceptionnelles et sur la base d’une évaluation individualisée et approfondie de la situation de la personne concernée, notamment de son parcours personnel et, le cas échéant, du risque qu’elle prenne la fuite. Le placement en détention des demandeurs d’asile ne devrait intervenir qu’en dernier recours, sur une base strictement individuelle et lorsque les autres mesures ne sont pas appropriées pour atteindre un objectif légitime, comme le prévoit la législation nationale et le droit de l’UE. Le placement en détention obligatoire est une forme de châtiment collectif.

La Convention des Nations unies relative au statut des réfugiés, que la Hongrie a ratifiée, indique que les États ne doivent pas placer les réfugiés en détention pour les sanctionner de leur entrée ou de leur séjour irrégulier sur le territoire, et que les demandeurs d’asile enregistrés doivent bénéficier de la liberté de circulation. La directive de l’UE sur les conditions d’accueil, applicable en Hongrie, prévoit que les États membres de l’UE « ne peuvent placer une personne en rétention au seul motif qu’elle est un demandeur ». Elle précise également que le placement en détention peut être prononcé « si d’autres mesures moins coercitives ne peuvent être efficacement appliquées ». Ceci doit faire l’objet d’un examen au cas par cas de la part des autorités, qui sont tenues d’apporter des éléments de preuve. La directive énonce par ailleurs une série de garanties offertes aux demandeurs placés en détention, ainsi que les normes minimales pour la détention des demandeurs d’asile, dont la plupart ne seront pas appliquées dans le cadre des nouvelles dispositions. La décision d’assignation à résidence dans la « zone de transit » ne peut être contestée et ne sera pas soumise sans délai à un réexamen judiciaire. La détention est en outre prononcée pour une durée potentiellement illimitée. Les « zones de transit » qui fonctionnent déjà ne sont pas conçues pour la détention. Elles ne disposent pas d’espaces à ciel ouvert appropriés. Les proches et les conseils juridiques des demandeurs ne bénéficient que d’un accès très limité – voire n’y ont pas du tout accès.

Toute personne arrêtée ou placée en détention au seul motif de son statut au regard de la législation sur l’immigration doit être présentée sans délai à un juge ou à un autre agent habilité par la loi à exercer le pouvoir judiciaire de réexamen de la légalité de l’arrestation et/ou du placement en détention, et de la nécessité de maintien de celle-ci ; et à ordonner la remise en liberté immédiate et/ou des mesures moins coercitives. En outre, un contrôle de la légalité du placement en détention et de la nécessité de son maintien doit être mené à intervalles réguliers par un juge ou un autre agent légalement habilité à exercer le pouvoir judiciaire. La présomption en faveur de la liberté implique que la charge de la preuve incombe aux autorités chargées de la détention, qui doivent apporter la preuve de la nécessité et de la légalité du maintien en détention.

En vertu du principe de proportionnalité, les États ne sont autorisés à placer en détention les réfugiés et les demandeurs d’asile qu’en dernier recours et lorsque cela est strictement nécessaire ; ils doivent donner la préférence à des mesures moins coercitives, à savoir des mesures non privatives de liberté, chaque fois que de telles mesures sont suffisantes pour atteindre l’objectif légitime. Les dispositions adoptées par l’Assemblée nationale sont contraires à ces exigences.

DÉTENTION DES ENFANTS

Il est prévu que les familles avec enfants, ainsi que d’autres personnes vulnérables, soient détenues dans les « zones de transit ». À rebours des principes fondamentaux du droit international établissant que les enfants ne doivent pas être détenus, les modifications adoptées étendent l’application de cette forme de détention aux mineurs isolés âgés de 14 à 18 ans. La détention d’enfants migrants sur la base de leur statut au regard de la législation sur l’immigration n’est jamais dans l’intérêt supérieur de l’enfant et ne peut être justifiée. Les enfants de cette catégorie d’âge se trouvent ainsi exclus de la protection générale accordée aux mineurs en vertu de la loi sur la protection de l’enfant et la tutelle publique. La Loi fondamentale de la Hongrie interdit toute discrimination fondée non seulement sur les motifs de « race » et de nationalité, mais aussi sur « toute autre situation ». La discrimination à l’égard des enfants demandeurs d’asile en raison de leur statut au regard de la législation sur l’immigration et de leur âge est illégale.

RENVOIS SOMMAIRES DEPUIS LA HONGRIE

Les modifications adoptées permettront de reconduire sans délai de l’autre côté de la frontière (en Serbie) toute personne interpellée en situation irrégulière en Hongrie, ce qui étend à l’ensemble du territoire national le champ d’application de la règle dite « des 8 kilomètres » – une forme d’expulsion collective qui est contraire à la Constitution et au droit international. Cette mesure est mise en œuvre sans procédure et sans que soit examiné le besoin de protection, sauf en cas de suspicion d’un acte criminel. Les renvois sommaires sont contraires à la Convention des Nations unies relative au statut des réfugiés, à l’acquis communautaire en matière d’asile et de frontières, à la Charte des droits fondamentaux et à la Convention européenne des droits de l’homme, entre autres.

En vertu du droit international et du droit de l’UE, toute personne qui fait l’objet d’une tentative de transfert de compétence d’un État à un autre a droit à des garanties de fond et procédurales. Sur le fond, le principe de « non-refoulement » interdit aux États de renvoyer, directement ou indirectement, une personne dans un endroit où elle peut légitimement craindre d’être persécutée ou serait confrontée à un risque réel d’autres violations graves des droits humains. En matière procédurale, les États sont dans l’obligation de donner à la personne concernée une possibilité réelle de contester ce transfert.

La loi actuelle, telle que modifiée, ne comporte pas de garanties contre le « refoulement » et ne prévoit pas que la situation individuelle de chaque personne et les risques qu’elle encourt en cas de renvoi soient évalués. Aucune disposition ne prévoit la possibilité de déposer un recours contre l’expulsion et de solliciter l’asile sur le champ. Cette mesure constitue une discrimination directe à l’égard des réfugiés et des migrants en situation irrégulière en Hongrie, et les expose au risque de « refoulement » vers la Serbie.

« ZONES DE TRANSIT » : STATUT ET COMPÉTENCE

Il ressort clairement de l’exposé des motifs des nouvelles dispositions que les demandeurs d’asile ne doivent pas être autorisés à circuler librement sur le territoire hongrois – en réalité, les modifications désormais adoptées entendent assigner aux « zones de transit » un statut territorial spécifique. Amnesty International est préoccupée par le fait que la Hongrie cherche à exclure arbitrairement une partie de son territoire de sa juridiction et de l’application des obligations relatives aux droits humains.

Les « zones de transit », qui sont dans les faits des camps fermés de conteneurs situés du côté hongrois de la frontière, sont toutefois sous l’entière compétence des autorités hongroises. Les réfugiés et les migrants placés dans ces structures, qui ne sont pas adaptées à un séjour prolongé, ne disposent pas de la liberté de circulation. Lors d’une « situation de crise due à une immigration massive », les réfugiés et les migrants seraient assignés à résidence dans les « zones de transit » existantes ou dans n’importe quel lieu ou structure désigné comme étant une « zone de transit ». Ceci permet au Bureau de l’immigration et de l’asile de désigner, n’importe où en Hongrie, des territoires placés sous un statut spécial et d’en faire des lieux de résidence obligatoire pour les demandeurs d’asile.

La Hongrie est soumise aux mêmes obligations envers les demandeurs d’asile placés dans les « zones de transit » qu’envers les demandeurs d’asile présents dans le reste de son territoire. Les garanties contre le « non-refoulement » figurent au nombre de ces obligations. Bien qu’il n’existe aucune limite officielle au nombre de dossiers de demande d’asile pouvant être traités dans les « zones de transit », les autorités hongroises ont adopté à la fin janvier 2017 une pratique arbitraire et dissuasive consistant à n’enregistrer que cinq demandeurs d’asile par jour ouvré, dans chacune des deux structures qui fonctionnent actuellement à la frontière avec la Serbie. Des milliers de personnes se trouvent ainsi coincées de l’autre côté de la frontière.

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